À la veille du sommet G-20 de Londres, le premier ministre du Canada, Stephen Harper, s’est laissé aller à chanter les louanges des grandes banques canadiennes devant la presse financière de la capitale britannique.
«Nous avons le secteur financier reposant le plus sur la libre entreprise. Nous sommes les seuls à ne pas nationaliser ou nationaliser en partie notre système financier» [1]. Selon le prestigieux Financial Times, qui a publié en première page les déclarations de M. Harper, celui-ci aurait ajouté que les banques canadiennes devraient profiter de la force relative de leurs bilans financiers pour faire des acquisitions aux États-Unis et ailleurs dans le monde et que son gouvernement appuierait de tels efforts car ce serait «l’occasion pour le Canada d’accroitre son rôle dans dans le secteur financier international». [2]
Effectivement, les banques canadiennes vont très bien ces temps-ci. Profitant des déboires des banques américaines plombées par les créances toxiques (toxic assets) de la crise dessubprimes, la Banque Royale s’est hissée au septième rang des banques nord-américaines, suivie de la Toronto-Dominion, de la Banque Scotia et de la Banque de Montréal, respectivement aux 8e, 9e et 10e rangs. La cinquième banque du pays, la CIBC, serait aussi parmi les 50 premières du continent. [3]
Alors pourquoi leur allonger une aide tournant autour de 125 milliards de dollars? Car c’est bien la somme allouée aux banques canadiennes par le gouvernement fédéral au courant des 6 derniers mois via le Programme d’achat des prêts hypothécaires assurés (PAPH). [4] Bien que ne prenant pas la forme d’injection directe de capitaux ou d’achat d’actifs toxiques, comme l’on fait les programmes de sauvetage des gouvernements étatsunien ou britannique, il n’en reste pas moins que cela est un programme d’appui massif au secteur financier local. Ce qui est loin d’être passé inaperçu à l’international. Selon l’hebdomadaire français Le Point, qui cite une étude du Fonds monétaire international (FMI) du 18 février, le Canada serait au 3e rang mondial quant au coût de l’ensemble des mesures de soutien public aux banques en % du PIB. Il s’élèverait ici à 8,8%, devant les États-Unis à 6,3% et derrière le Royaume-Uni qui aurait englouti pas moins de 19,8% de son PIB dans le sauvetage de ses institutions bancaires. [5]
Selon le ministre des Finances Flaherty, il ne s’agissait avec ce programme d’achat que de donner une chance égale aux banques canadiennes aux prises avec une concurrence «déloyale» des autres grandes banques de la planète qui bénéficieraient, elles, des programmes d’aide de leur gouvernement respectif. Et, bien sûr, ajoutait-il, c’est aussi un acte d’intérêt public que d’injecter de la liquidité dans le système financier pour qu’il ne se grippe pas, ce qui créerait une panique chez les entreprises et les épargnants. Mais voilà que les déclarations intempestives de Harper lors de son périple londonien lèvent le voile sur les vraies raisons motivant ce soi-disant acte «d’intérêt public». Il ne s’agit, ni plus ni moins, que de permettre aux banques canadiennes de consolider leur position et de se constituer un trésor de guerre pour monter à l’assaut de leurs concurrentes américaines en difficulté. Le tout aux frais des contribuables.
Appréhendant une grogne publique devant les propos imprudents du premier ministe, Ed Clark, le p.-d.g. de la Toronto Dominion, la 8e banque du continent, a décidé de tempérer les ardeurs des politiciens en rappelant que la crise sera aussi sévère ici qu’ailleurs dans le monde et que la force des banques canadiennes n’était que relative face au déclin des concurrents américains et internationaux. [6] D’autres s’empressent d’ajouter que les institutions canadiennes n’ont utilisé que 40 milliards du programme d’aide annoncé par Ottawa jusqu’à présent. Il n’en reste pas moins que ce programme d’aide aux banques est trois fois plus important que le programme de soutien à l’économie de 40 milliards dévoilé par Ottawa lors du budget de janvier dernier.
Face à ce flagrant déséquilibre en faveur des banques, quelques voix courageuses s’élèvent. Les professeurs Gindin et Panitch de l’Université York à Toronto posent le problème clairement: si les banques sont considérées comme des institutions d’intérêt public justifiant un tel apport massif de capitaux, pour quoi ne pas les nationaliser et en faire de vrais organismes publics soumis à un contrôle populaire? [7] Pierre Beaulne, l’économiste de la CSQ, ajoute que le problème avec cette injection de liquidités est qu’elle n’est pas assortie de conditions quant à son utilisation au Canada, que ce soit pour garantir les prêts locaux ou bien pour maintenir les emplois. [8] L’organisme ATTAC-Québec y va, quant à lui, de plusieurs suggestions pertinentes. Il propose notamment de [9]
• «Établir un contrôle public des banques et du secteur financier. Il faut établir un contrôle public des banques au moyen de strictes limites de leurs activités, de l’interdiction de spéculer et d’avoir des filiales dans les paradis fiscaux ou ailleurs à l’étranger, et d’un plafond de la rémunération de leurs dirigeants. Mieux encore serait la nationalisation des banques commerciales.
• «Éliminer les retraites par capitalisation boursière. Il faut nationaliser les fonds de pension et les caisses de retraites et établir un système universel et égalitaire de retraite par répartition. Il faut éliminer les retraites par capitalisation boursière, qui forcent les citoyenNEs à s’intégrer dans l’économie casino et entraînent des pertes considérables à l’occasion des krachs.»
Il y a là matière à réflexion pour la gauche politique et sociale au Québec. Face à la «multi-crise» (structurelle, environnementale et sociale) qui s’abat sur la planète, un programme audacieux de lutte et de revendications s’impose. La question de l’avenir du secteur financier devrait être plus que jamais au coeur de cette démarche.
Notes
[1] «Harper inquiet pour les banques?» Radio Canada, 31 mars 2009.
[2] «PM tells Canada’s banks to expand overseas.» Financial Times, 30 mars 2009. Repris dans le Globe and Mail du 31 mars 2009.
[3] «Canada’s banks climb in rankings as U.S. giants stumble.» Financial Post, 16 mars 2009.
[4] Voir Michel Chossudovski, «Canada: Opération “Relance économique”, $200 milliards pour les banques», Mondialisation.ca, 28 janvier 2009.
[5] «Le prix exorbitant du sauvetage des banques», Le Point.com, 12 mars 2009.
[6] «Banks facing new challenges: TD’s Clark», Financial Post, 6 avril 2009. Paru également dansThe Gazette, 6 avril 2009.
[7] Leo Panitch et Sam Gindin, «From Global Finance to the Nationalization of the Banks: Eight Theses on the Economic Crisis», The Bullet, 25 février 2009.
[8] Pierre Beaulne, «Examen du budget fédéral du 27 janvier 2009», Économie autrement, 10 février 2009.
[9] «Des idées citoyennes pour contrer la crise. Appel soumis à la signature des individus, organismes, syndicats et mouvements sociaux», ATTAC-Québec