Le mouvement des indignés n’est pas un feu de paille. Son extension rapide sur le planisphère atteste qu’il touche des ressorts profonds dans la conscience des citoyens du monde. Ce mouvement est appelé à marquer le climat politique des années à venir. La raison en est simple : la crise actuelle met à nu les mécanismes de confiscation du pouvoir et des richesses construits depuis trente ans par le néolibéralisme. La fusion des élites financières et étatiques éclate au grand jour, ce qui suscite des résistances sociales. Mais le mouvement des indignés n’est pas un simple mouvement social. Il n’exprime pas seulement le point de vue de catégories spécifiques de la population. C’est avant tout un mouvement citoyen radicalement démocratique, dont le sens est clair : le compromis entre capitalisme et démocratie permis depuis deux siècles par le système représentatif est aujourd’hui épuisé.
On dit du mouvement des indignés qu’il n’a pas de revendications. Même si des assemblées populaires ont pu élaborer des listes de revendications, le mouvement en lui-même ne porte aucune exigence positive fédératrice. L’important est dans le refus par les simples citoyens que des représentants élus prennent des décisions contraires à la volonté populaire. Il est dans l’exigence que chacun-e puisse peser, contrôler, participer aux décisions. Il est dans l’exigence de la démocratie réelle.
On dit aussi que les indignés n’ont pas de porte-paroles ! Les indignés expriment une critique radicale de la confiscation « démocratique » du pouvoir par des élites autoproclamées. Le refus de tout porte-parole permanent, le souci d’éviter qu’un ou plusieurs individus s’élèvent au-dessus du mouvement en prétendant le représenter, reflètent une compréhension profonde des mécanismes de la domination politique dans tout système représentatif. On dit enfin des indignés qu’ils rejettent la politique. En réalité, les citoyens ne veulent pas abdiquer leur libre-arbitre au bénéfice d’un groupe politique constitué qui les instrumentaliserait dans sa conquête de places ou dans la compétition politique institutionnelle.
Les aspirations des indignés ne peuvent se concrétiser que par l’introduction de réformes fondamentales qui abolissent la privatisation de l’État non seulement par la finance mais par la classe politique elle-même. Les places publiques sont aujourd’hui les laboratoires où les citoyens-chercheurs construisent des pratiques radicalement démocratiques pour éviter la confiscation représentative : tirage au sort des animateurs ou des orateurs parmi des volontaires, rotation systématique des charges fonctionnelles, construction d’une pensée collective par l’écoute active et le refus de la dictature de l’urgence, préservation d’une structure horizontale d’organisation… Ces pratiques prolongent des innovations portées par le mouvement altermondialiste depuis dix ans. Ces innovations doivent et peuvent déboucher, dans les années qui viennent, sur des innovations institutionnelles radicales qui arracheront l’État des mains des oligarchies. Sur l’invention d’un troisième âge de la démocratie, où la représentation serait enserrée dans l’étau du contrôle populaire.
Extraits d’un texte publié par Mouvements, le 3 novembre 2011.