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Le syndicalisme : quel pouvoir avons-nous ?

Le 14 octobre dernier, nous avions convié les professeurs à une demi-journée de réflexion autour du thème Le syndicalisme… Quel pouvoir avons-nous ? Vous trouverez ici un certain regard sur les discussions de ce moment. Ce compte-rendu est partagé par l’exécutif du SPCVM qui prend note des propositions informelles à l’égard de son rôle dans les instances fédératives.

Les résultats de la dernière négociation nous ont tous laissés perplexes, qu’on parle des résultats ou de la vitesse à laquelle s’est déroulé le « sprint » final. Sans parler du discours de nos représentants syndicaux qui ont réclamé l’assentiment des syndiqués à coups de « Nous n’aurions pas pu aller chercher plus! », sur fond de crise économique mondialisée, de finances publiques à sec, d’attaques patronales contrées. Le fatalisme des représentants au regroupement CÉGEP de la FNEEQ-CSN avait laissé l’exécutif du SPCVM pantois… quel pouvoir avions-nous comme membres de la base syndicale pour contrer un discours partagé à la fois par les représentants syndicaux du Front commun et l’État employeur ?

Il faut « ÉDUQUER » !

Plusieurs participants ont évoqué la nécessité de faire connaître les luttes syndicales, le contexte socio-politique qui entourait certaines d’entre elles, les enjeux inhérents aux batailles historiques. Ainsi, de nombreuses personnes ignorent l’histoire entourant par exemple les demandes syndicales pour contrer l’effritement des services publics au Québec. Plusieurs syndiqués manquent en effet d’informations et de liens concrets entre les enjeux de nature politiques et la qualité des services publics. Ce qui expliquerait notamment le peu de motivation à résister aux attaques patronales en temps de négociation.

« Comment transmettre l’histoire liée aux acquis, la mémoire de ce qu’on a fait ? » La question de François Cyr pose sans doute ici le principal défi des centrales syndicales lorsqu’il s’agit d’informer pour mieux mobiliser. Quand on sait que nos revendications trouvent leur origine dans des luttes historiques et que le bien commun de toute une population est en jeu, il est sans doute plus facile de se rallier et de s’engager dans l’action sociale et syndicale.

Charles Guilbert (département de français) a renchérit en disant que « les gens n’ont pas conscience des impacts d’une démobilisation sociale. » À partir du moment où on baisse les bras, où on s’en remet, comme syndiqué du secteur public, à l’action menée par les dirigeants syndicaux, qu’on s’installe dans un état d’attentisme des résultats possibles d’une ronde de négociation, pouvons-nous vraiment prétendre être impliqué comme citoyen ? Pour Jean Lacharité, la mobilisation sociale « ça passe par l’éducation politique ! »

Pour mobiliser, il faut INFORMER. Audrey Lamy (Soins infirmiers) rappelle qu’elle était étudiante militante au Cégep du Vieux Montréal et qu’elle est contente d’enseigner ici. « J’enseigne dans un cégep mobilisé! J’ai ainsi un sentiment d’appartenance qui m’invite à l’investissement, à la mobilisation. » Selon elle, il faut que les départements soient interpellés par la « chose syndicale », informés des actions et des enjeux qui les justifient, de telle sorte à discuter en assemblée départementale de participation active à la vie syndicale et citoyenne.

L’exécutif du SPCVM retient là une piste importante d’action locale concrète. Les cinq prochaines années de notre contrat de travail devraient être mises à profit pour ÉDUQUER autour des enjeux sociaux et politiques qui ont un lien direct avec nos conditions de travail. Les représentants syndicaux élus par les professeurs du Cégep du Vieux Montréal devront faire en sorte de rappeler les luttes historiques en matière d’enseignement supérieure, les impacts sur l’échiquier de l’éducation « mondialisée » des reculs et des avancées qui parsèment l’histoire syndicale de l’éducation au Québec. Les revendications que nous portons comme syndiqués FNEEQ-CSN sont directement connectées à des enjeux beaucoup plus « macros » que le nombre d’élèves dans les classes. Nos demandes s’inscrivent dans des perspectives de qualité de la formation pour le mieux être global de la société québécoise. À nous de bien camper la prochaine négo !

Le discours syndical

On ne peut passer sous silence des interventions qui portent à la réflexion. Le micro s’est ouvert sur la problématique du « langage syndical ». Les mots « luttes », « combat », « pouvoir » ont été pointés du doigt comme des agents de démobilisation pour les jeunes. « Ce n’est pas ça qui nous anime, nous les jeunes! » Jean-Philippe Gadbois (département de loisirs) se dit ici le porte-parole de plusieurs jeunes professeurs qui désertent les instances syndicales parce qu’ils « ne se sentent pas représentés. » Se regrouper, oui, mais envisager les patrons comme des adversaires, là… c’est non! Pour lui, la solution aux problématiques vécues par les enseignants passe d’abord par les supérieurs, pas par le syndicat. Il en a largement fait l’expérience. François Cyr lui répondra, plus tard, que si au Vieux Montréal les patrons sont gentils, « c’est parce que le syndicat est puissant! ». C’est en examinant l’histoire du syndicalisme au Québec qu’on peut en effet affirmer que l’arbitraire patronal s’est estompé là où les syndicats ont été les plus actifs et combatifs.

« Il ne faut pas avoir peur du langage » a rétorqué notre « jeune » invitée, Karine Lécuyer. Si comme syndiqués, on devait bannir des mots comme « lutte » ou « projet de société », elle prévient qu’on ne s’en sortira pas. Les « attaques » patronales sont tellement gigantesques qu’on a peine à croire qu’il nous faille aller sur un autre terrain que la « lutte ». À preuve…

D’autres enseignants ont rapporté des propos de certains collègues qui ajoutent au discours dominant.

– « On fait un travail génial et en plus, on est payé pour ça et bien payé, en plus! »

– « On n’a pas de patron, tout près, pour nous observer. »

– « Se battre pour le salaire est une idée de droite! »

– « On est dans une économie de surconsommation. Il faudrait songer à se voter des baisses salariales. »

– « Les syndicats n’ont pas de vision globale, une perspective plus élargie que les revendications autour des conditions de travail. »

François Cyr n’est pas étonné par ces affirmations. Il parle de contamination généralisée par le discours des Desmarais et Péladeau. Il pointe également les journalistes qui ont de plus en plus de difficultés à faire de la critique sociale… les journaux appartenant aux Desmarais et Péladeau. On se doute qu’il y a ici un lien direct à faire avec la grande difficulté que nous avons à influencer l’opinion publique lorsque vient le temps de faire valoir les points de vue des intervenants en éducation.

On le constate, le discours patronal a fait sa marque. Depuis les années ‘70, les outils de propagande pour relayer ce discours se sont multipliés. On assiste, chez les syndiqués, à une intériorisation du réquisitoire néolibéral qui décourage les plus militants d’entre eux. Selon monsieur Cyr : « Ce qui domine, c’est le capital financier. Les patrons ne veulent plus d’obligation de composer avec les syndicats parce que ceux-ci ne produisent rien alors qu’eux, ils oeuvrent dans le réel. » Que faire alors ? « Plusieurs batailles laissent des traces. Il faut transmettre l’histoire », rétorque-t-il. Les centrales ont développé des outils d’information assez puissants et efficaces, mais on dirait qu’elles n’ont pas réussi à bien les diffuser. « On ne s’en sort pas, ça passe par l’éducation. » selon Jean Lacharité.

Sommes-nous encore un mouvement social ?

François Cyr pose la question d’entrée de jeu. Pour lui, l’histoire confirme que le mouvement syndical a été porteur d’une utopie, d’un certains projet de société. Mais une inquiétude se pointe : plusieurs salariés syndiqués ne sont pas syndicalistes. Et on parle, selon lui, d’une partie importante des travailleurs syndiqués. On n’a qu’à regarder la proportion des membres qui se sont prévalus de leur droit de vote en assemblée générale lors de l’acceptation des ententes de principes : 23% des membres de la FNEEQ ont investi les assemblées locales pour se prononcer quant à l’entente sectorielle et 23% pour l’entente de table centrale. Quel message envoyons-nous ?

Selon lui, il faut éviter de déserter le syndicalisme. Les dirigeants syndicaux doivent réactiver le débat sur le « partenariat », remettre à l’ordre du jour l’éducation sociale et politique. Et pour sa part, les membres doivent développer une réflexion plus critique, un examen plus soigneux des choix de leurs dirigeants syndicaux. « Il faut réhabiliter la ligne de risque! » Yvan Perrier (département de Sciences sociales) l’appuie : « Il faudra questionner les dirigeants du Front commun sur les opportunités manquées » lors de la dernière ronde de négociation. Et François Bédard (département de mathématiques) qui renchérit : « On a assisté à de « l’appleuventrisme » syndical ! »

Alors que la mobilisation a été « historique » aux dires mêmes de Louis Roy (vice-président de la CSN), comment expliquer que le Front commun ait choisi de « régler sur les chapeaux de roues » le 24 juin 2010 ? Alors que la Loi 37 prévoyait des contrats de travail de trois ans pour les travailleurs du secteur public, comment expliquer que les dirigeants du Front commun aient accepté de présenter à leurs membres des ententes de principe de cinq ans en leurs expliquant simplement que le gouvernement allait modifier la Loi ? Et comment expliquer surtout que les syndiqués aient avalé le règlement qui leur était proposé? Le Conseil du patronat annonçait récemment que pour l’année 2011-2012, les augmentations salariales moyennes dans le secteur privé devraient se situer autour de 2,5%. Pour paraphraser notre président du syndicat : « On devait dormir au gaz !!! » Ou alors, on n’était pas assez mobilisés! Ou alors on n’était pas assez au fait des enjeux et que, se déplacer pour aller voter, ne nous allumait pas outre mesure ! Allez donc essayer de comprendre!

Mobilisation

Les cinq années de décret représentent une « épine dans le pied de tous les syndicats du secteur public et une attaque à la vitalité de notre mobilisation. » Karine Lécuyer considère que si le décret a fait mal, à tout le moins a-t-il eu l’avantage de cultiver l’indignation. Entendre Gagnon-Tremblay, en conférence de presse, avouer qu’elle avait envie de crier sa joie a de quoi étonner, sinon de quoi inquiéter. Pour Karine, les syndicats doivent avoir du pouvoir. « N’ayons pas peur des mots ! » Et pour elle, la mobilisation passe par le militantisme qui, lui, passe par l’éducation syndicale. Le militantisme s’apprend et les syndicats locaux ont leur part de responsabilité dans cet apprentissage. Faire en sorte, par exemple, que les jeunes profs, ceux qui arrivent dans le paysage collégial, trouvent leur place, soient dynamiques et participatifs, en assemblée générale comme dans la vie syndicale en général. Nous avons cinq années pour mobiliser les membres, soutenir les luttes sociales comme celle qui se dessine contre la hausse des tarifs dans les services publics. Se coaliser avec les autres secteurs de la société devient un choix incontournable.

L’un des problèmes fondamentaux, selon Jean Lacharité, c’est que le discours néolibéral propose un glissement dangereux lorsqu’il pose la question du prix des services publics. Qui bénéficie des services publics payés par les impôts des contribuables… contribuables dont les travailleurs du secteur public font partie ?! Pour lui, « la qualité se paye ! » et les conditions de travail ainsi que les fondements de ce travail avec des humains mérite qu’on les insère au coeur d’une éducation politique. Encore une fois, contrer le discours néolibéral est une clé de mobilisation. Mais comment faire concrètement ?

Pierre Paiement (sciences sociales) parle d’un « langage en processus de défragmentation ». Comment mobiliser alors que même le discours de nos dirigeants syndicaux, lors de la présentation des ententes de principe était, en soi, démobilisant ? « Même pour les grands militants, les propos de Louis Roy (vice-président de la CSN) avait de quoi faire frémir. » s’étonne Lyne Dessureault (Travail social et représentante au regroupement cégep). Pour le professeur de français, Charles Guilbert, « il faut prendre acte qu’il y a une démobilisaton sociale généralisée. » Des débats importants sont à mettre à l’ordre du jour. Michèle St-Denis s’exprime : « Au-delà de nos conditions de travail, que faisons-nous d’un projet de société ? » Et si le sens du mot « solidarité » s’était perdu ! Et si la notion même de projet de société avait été abandonnée ! Faut-il baisser les bras et jouer la carte du défaitisme?

« Il faudra se pencher sur l’action politique, pas comme syndicat mais comme salariés.», dit François Cyr. Et pas sur un seul champ. On est mûrs pour des États généraux du syndicalisme. » Jean Lacharité rappelle, quant à lui, que le cynisme ambiant traverse toute la société. « Le gouvernement est complètement en contradiction sous une multitude d’aspects, les citoyens se lancent dans une désaffection politique hors du commun… une « décitoyennisation » est en cours ! » Il ajoute que « si nous n’investissons pas le mouvement, ce ne sont pas les absents, ici, aujourd’hui, qui vont faire la différence et changer les choses. » On ne s’en sort pas, ce sont les militants qui feront la différence. Et ces militants, on les retrouve dans les comités syndicaux, dans les instances paritaires, dans les exécutifs et surtout, dans les assemblées générales et les conseils syndicaux. Le SPCVM doit non seulement continuer à investir les lieux de pouvoir locaux mais aussi à sensibiliser ses membres autour des questions sociales de l’heure.

Qu’en conclure ? Pour le SPCVM, Jean-Marc Petit (président) souhaite que le syndicat du Vieux se questionne sur l’implication compte tenu de la mobilisation. « Et nous devons nous questionner ensemble. C’est toute l’assemblée générale qui doit continuer à travailler à la mobilisation, tant sur le plan citoyen que sur le plan strictement syndical. On en échappe trop ! »

Ce texte, je le rappelle, se veut un certain regard sur les propos entendus lors de la demi-journée syndicale organisée par le SPCVM. Il n’a pas la prétention d’apporter des réponses mais de rendre compte des échanges qui ont eu cours.

Danielle Carbonneau, membre de l’exécutif du Syndicat des professeurs du Cégep du Vieux Montréal

Publié par le journal du Syndicat des professeurs du Cégep du Vieux Montréal, Pédagogie entre autres, 30 novembre 2010 — volume 18, no 4

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