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Le précaire état de santé économique des États-Unis

Officiellement, selon les compilations du National Bureau of Economic Research qui est considéré comme l’autorité en la matière, la récession aux États-Unis est terminée depuis quinze mois. Pourtant, comme chacun est en mesure de le constater, rien dans la situation économique de ce pays ne tend à confirmer ce verdict. Le signe le plus éloquent de ce que la léthargie perdure est incontestablement le taux très élevé du chômage qui, à près de 10%, n’a pas bougé depuis le début de cette prétendue reprise et ne manifeste aucune tendance à une réduction prochaine. Il en est de même du taux de croissance du PIB, dont il est prévu qu’il avoisinera le niveau anémique de 2-2,5 % en ce dernier trimestre de 2010 après avoir à peine dépassé 1,5 % au cours des deux trimestres précédents.

Consommation, investissement, exportations : même bilan négatif

Incertaines quant aux perspectives de profits, les entreprises se tiennent loin du réinvestissement et tout aussi loin de la relance de l’embauche, même si elles disposent d’une surabondance de liquidités. Je reviendrai plus loin sur cette surabondance. Quant aux consommateurs, dont le surendettement a mené au cauchemar avec l’éclatement de la crise, ils sont principalement préoccupés par la précarité de l’emploi, la réduction de leurs dettes et la reconstitution de leurs épargnes. Ils procèdent, selon le jargon économique, à la « déleviérisation » de leur situation financière. La dette des ménages, qui était de 85 % du revenu personnel disponible en 1990, est aujourd’hui de 126 % après avoir frôlé les 140 % en 2008, et le taux d’épargne des individus, qui avait chuté à moins de 2 % en 2005 est revenu au niveau moyen de 6 % des années 1990.

Paradoxalement, ce qui a les apparences d’un assainissement est au contraire perçu comme un problème. La relance de la consommation étant vue comme le moyen incontournable d’une reprise qui se fait attendre, on cherche, dans l’incitation des consommateurs à emprunter de nouveau et à renouer avec l’endettement, le moyen magique de la stimuler. À peine sorti des conséquences catastrophiques de cette politique qui a été mise en œuvre après la crise des valeurs technologiques du début de la décennie 2000, on tente désespérément de renouer avec les mêmes pratiques pour faire redécoller l’économie, avec les mêmes conséquences à prévoir.

D’autant plus que la crise immobilière qui a été l’élément déclencheur de la crise financière amorcée en 2007 est loin de s’être résorbée. D’abord parce que de nouveaux prêts hypothécaires à risque ont vu le jour, ceux qui ont été octroyés aux nombreux travailleurs dont la situation financière était saine, mais dont la récession a supprimé les emplois. En deuxième lieu, parce qu’un très grand nombre de propriétés, 11 millions selon une évaluation du Fonds monétaire international, valent moins que les soldes hypothécaires dont elles sont grevées, et que près de 8 millions d’entre elles sont sujettes à une reprise en main par les créanciers.

Alors que les saisies immobilières se déroulaient au rythme impressionnant de 100 000 pour le seul mois de septembre, de grands pourvoyeurs de prêts hypothécaires, parmi lesquels JPMorgan Chase et Bank of America ont décrété le gel de leurs saisies en raison de ce qu’elles ont appelé des « erreurs de procédure » qui auraient mené à des saisies non justifiées. Une vague de protestations de la part d’associations de consommateurs et de politiciens dans le cadre de la campagne en cours pour les élections de mi-mandat a réclamé un moratoire généralisé sur les saisies et amené les autorités de 50 États ainsi que les autorités fédérales à lancer une enquête. Il va sans dire qu’un moratoire généralisé sur les saisies aurait des effets dévastateurs sur les banques prêteuses, comparables, selon le Washington Post du 14 octobre, à ceux de 2008 qui ont fait suite à la faillite de Lehman Brothers.

Si une éventuelle reprise ne semble pas devoir surgir de la demande intérieure, y aurait-il des signes plus encourageants sur le plan des exportations ? Ce n’est pas ce que laissent entrevoir les résultats de la balance commerciale dont le déficit a été de 605 milliards de dollars de juillet 2009 à juillet 2010, soit 4,2 % du PIB.

Déficit budgétaire et dette publique

Un déficit plus préoccupant encore est le déficit budgétaire de 10 % du PIB, prévu pour 2010. En 2007, il était inférieur à 2 %. Cet important déficit est le double résultat des dépenses accrues des deux dernières années (plan de relance, sauvetages de banques et d’entreprises) et des réductions massives d’impôts de la dernière décennie, dont le résultat promis était une croissance économique forte ! En raison de ces réductions d’impôts survenues en 1997 (sous la présidence de William Clinton), en 2001 et 2003 (sous la présidence de George Bush) et en 2009 (sous la présidence de Barack Obama), ainsi que du ralentissement économique, les revenus budgétaires de 2010 compteront pour moins de 15 % du PIB, leur plus bas niveau depuis 1950[1]. De leur côté, les dépenses, qui représentaient 21 % du PIB en 2008, représenteront 25 % du PIB en 2010.

Il va sans dire que le débat électoral actuel sur le sort à réserver aux réductions d’impôt, en particulier celles qui ont été concédées aux plus riches par George Bush, est loin d’être dénué d’intérêt. Les Républicains et l’aile droite de ce parti qu’est le Tea Party mènent, on le sait, une farouche campagne pour le maintien de toutes les réductions d’impôts qui arrivent à échéance à la fin de l’année, ainsi que pour une réduction des dépenses budgétaires de 100 milliards de dollars en 2011. À l’encontre de ces propositions, le Congressional Budget Office évalue qu’une extension des réductions d’impôts serait une mauvaise option en raison de son effet négatif sur la dette publique, alors qu’une extension des avantages accordés aux chômeurs aurait un effet positif.

Les lourds déficits budgétaires des dernières années ont porté la dette publique à 13 000 milliards de dollars (90 % du PIB) en 2010, soit 20 points de pourcentage au-dessus des 70 % du PIB de 2008. Pour obtenir la juste mesure de l’endettement global des États-Unis, il faut ajouter à cet endettement public l’endettement privé de 40 000 milliards de dollars à la même date, dont 13 000 milliards pour les ménages, 11 000 milliards pour les entreprises non financières et 16 000 milliards pour le secteur financier. Cet endettement privé, qui représente 280 % du PIB en 2010 (près de 300 % en 2008) n’en représentait que 50 % en 1950[2].

En désespoir de cause, recours à la planche à billets

Comme tous les pays du monde, les États-Unis ont utilisé pour faire face à la crise, en plus des instruments de la politique fiscale dont il vient d’être question (dépenses publiques, allégements fiscaux, déficits budgétaires et dette publique), ceux de la politique monétaire (baisse des taux d’intérêt, création de liquidités). L’intervention de la Banque centrale (la Réserve fédérale) dans les premiers moments de la crise en 2007 a d’abord été motivée par une urgence : rétablir la liquidité dans une situation de grave assèchement résultant de la crise du papier commercial adossé à des actifs et de l’extrême frilosité des banques à se prêter entre elles dans une situation de risque élevé de défaillances. Elle a par la suite multiplié les moyens d’intervention destinés à renflouer les établissements financiers en détresse, réduit progressivement à un niveau historiquement bas son taux directeur (celui auquel les banques se prêtent entre elles) et son taux d’escompte (celui auquel elle prête aux banques) et recouru à ce qui est désigné comme l’« assouplissement monétaire quantitatif », une technique qui consiste à créer de l’argent ex nihilo en achetant des obligations gouvernementales (bons du Trésor).

Elle a ainsi contribué à éviter le désastre, mais au prix d’un gonflement considérable de son bilan qui a plus que doublé en l’espace de deux mois à la suite de la faillite de Lehman Brothers le 15 septembre 2008, passant de 910 milliards de dollars le 10 septembre à 2200 milliards le 12 novembre, pour se maintenir à ce niveau jusqu’à aujourd’hui. De janvier 2009 à septembre 2010, alors qu’étaient progressivement remboursés ses prêts aux banques et aux entreprises, ainsi que ses avances de liquidités en dollars aux autres banques centrales, la Réserve fédérale a acheté pour 1600 milliards de dollars d’obligations gouvernementales et de titres adossés à des hypothèques. Mais ces énormes moyens, conjugués à ceux de la politique fiscale, ne sont toujours pas parvenus à remettre l’économie sur le chemin d’une reprise véritable.

Que faire dans une situation où le gouvernement surendetté renonce à prolonger le plan de relance et où les taux d’intérêt déjà réduits à presque zéro (ils oscillent dans une fourchette comprise entre 0 et 0,25 %) ne peuvent plus être réduits ? La Réserve fédérale a annoncé sa détermination à intervenir en recourant de nouveau à l’« assouplissement quantitatif ». Son premier objectif : arriver à faire redémarrer l’économie en faisant baisser les taux d’intérêt à long terme par le truchement d’une demande accrue des obligations du Trésor à dix ans qui, faisant augmenter leur prix, aurait une incidence à la baisse sur leur rendement qui se répercuterait sur les autres taux à long terme. Son deuxième objectif : assurer un niveau jugé adéquat d’inflation en réaction à des craintes réelles de glissement dans ce mal craint plus que tout autre : la déflation.

Chute du dollar et « guerre des devises »

Mais, si on en juge de par les résultats de cette politique obtenus jusqu’ici, on peut douter du succès des nouvelles mesures annoncées. Conjuguée à des taux d’intérêt virtuellement nuls qui permettent d’emprunter pour presque rien, cette politique qui consiste à inonder le marché de liquidités pour faire baisser les taux à long terme a en effet contribué à pourvoir les entreprises de sommes énormes qu’elles n’utilisent cependant que très peu pour investir dans l’activité productive et employer les millions de chômeurs en quête de travail.

Non investies aux États-Unis, ces masses de liquidités empruntées à un taux presque nul sont dirigées vers des activités spéculatives lucratives dans des pays comme l’Inde et le Brésil, où les obligations du Trésor rapportent respectivement 6 % et 10 %, ou sur les bourses asiatiques comme celles de Hong-Kong ou de Bombay qui en ont récolté une forte croissance (22 % à Bombay depuis un an). Ce type d’opération est désigné comme le carry trade. Il a par ailleurs l’effet pervers de faire se dévaluer le dollar états-unien par rapport aux autres devises en augmentant la demande des devises des pays où s’investissent ces fonds spéculatifs.

Il va sans dire qu’une chute du dollar est de nature à améliorer la balance commerciale des États-Unis qui, tel que mentionné plus haut, demeure obstinément négative. Mais cela alimente surtout, par la dévaluation concurrentielle, la « guerre des devises », qui est devenue un enjeu de la politique mondiale. La position fortement critique des États-Unis face à un yuan considéré comme sous-évalué en raison de « manipulations illégitimes » du gouvernement chinois se trouve de facto fort affaiblie par les conséquences de cette politique monétaire qui pousse le dollar à la baisse, à laquelle ils recourent in extremis pour tenter d’émerger de l’impasse.

Poussé à un creux historique face à l’ensemble des devises, le dollar états-unien est la source de réactions de bon nombre de pays, le premier étant le Japon, dont le yen a atteint en octobre un sommet de 15 ans face au dollar, et qui a réagi en procédant lui aussi à des mesures défensives. La Banque du Japon a en effet « diminué » son taux directeur de 0,1 % à une fourchette de 0 % à 0,1 % ! Elle a aussi annoncé son intention de renouer avec sa politique d’« assainissement quantitatif », mise en œuvre de 2001 à 2006 pour combattre sa crise bancaire. Et ce n’est là qu’une illustration de la « guerre des devises ».

La chute du dollar, monnaie qui prétend par défaut jouer le rôle de monnaie universelle, a propulsé le retour aux valeurs refuge que sont l’or et les autres métaux précieux comme l’argent, dont les prix atteignent actuellement des sommets. Cela en soi est l’indice de la profonde crise dont n’arrivent pas à émerger les États-Unis, pays où elle a d’abord éclaté, mais aussi celle du monde entier.

Paru dans Carré rouge, no 44, novembre 2010


[1] « The tax debate », The Economist, 18 septembre 2010, p. 46.

[2] Dossier « How to grow », The Economist, 9 octobre 2010, p. 8.

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