La campagne électorale actuelle du NPD est probablement la plus à gauche par ce parti depuis les années 1970, lorsque le chef de l’époque Ed Broadbent voulait déclarer la guerre aux « voyous corporatifs (corporate welfare bums). D’ailleurs, plusieurs des thèmes soulevés par le NPD croisent ceux de Québec Solidaire sur la santé, l’environnement, l’économie, etc. Cela fait un vif contraste avec la triste période lorsque Thomas Mulcair, émule de Tony Blair, voulait distancier le Parti libéral sur la droite !
Reste à savoir si cela va un peu réveiller les morts.
Personnellement, j’espère que des candidats de gauche comme Alexandre Boulerice et Nima Machouf vont passer la barre.
Une fois dit cela, le problème demeure avec le NPD.
Penser dans le système
Certes, il faut renforcer les politiques keynésiennes et améliorer la vie des gens. En soi, il n’y a rien de mal à cela. Mais doit-on pour autant abandonner l’idée d’une « grande transition » ? Il y a dans la gouvernance capitaliste qui prévaut au Canada un problème « systémique », pour employer un mot galvaudé. Certes, il ne suffit pas de se promener avec un drapeau rouge dans la rue pour annoncer la venue de la révolution socialiste. On s’entend que ce problème « systémique » ne pourra être résolu qu’à travers une longue lutte, une « guerre de position » comme le disait Gramsci.
Plus près de nous, le regretté André Gorz parlait des batailles pour des « réformes structurantes », à travers les mille et unes confrontations contre un système qui exploite, qui rend malade, qui exclut. Non seulement, on pouvait, on devait, améliorer la vie des gens, mais faire en sorte qu’à travers tous nos efforts se développent l’auto-organisation, l’éducation populaire et en gros la construction d’un bloc populaire, démocratique, transformatif. Au-delà de gagner des élections, il faut avoir le courage de redéfinir le cadre dans lequel une véritable démocratie pourrait émerger, en lieu et place du système pourri actuel. C’est un peu l’idée d’une Assemblée constituante promue par QS.
Pour toutes sortes de raisons historiques et actuelles, le NPD n’est pas sur cette page. Les réformes proposées, la « bonne gouvernance » qu’on espère instaurer, demeurent bien ancrées dans cette mauvaise conviction qu’il n’y a pas d’alternative au capitalisme et à sa forme contemporaine, le néolibéralisme. Tony Blair, celui qui a liquidé de l’intérieur la social-démocratie et le Parti travailliste en Angleterre, avait repris cette rengaine de Margareth Thatcher. Le NPD aussi.
Faire la guerre pour défendre la « démocratie occidentale »
Autre angle mort, le NPD en gros s’est rangé dans cette vision que nous, le « monde libre », devons non seulement nous défendre, mais confronter les « barbares » qui veulent « détruire la civilisation ». On ne peut expliquer autrement cet acharnement du NPD contre les luttes de libération nationale, en défense de l’OTAN et des autres outils mis en place par l’impérialisme américain pour perpétuer leur domination. Certes, le NPD a souvent combattu ce qu’ils appelaient les « excès », la torture, la violence des bombardements et de la répression, mais sans aller aux causes. C’est comme cela qu’on peut expliquer l’appui aux interventions du gouvernement canadien pour « sauver » l’Afghanistan ou Haïti, sans compter le silence assourdissant sur la colonisation de la Palestine, ou les sanctions meurtrières contre l’Iran ou Cuba. Alors que des mouvements de solidarité de grande envergure se sont mis en place pour exprimer cette nécessité de confronter l’impérialisme états-unien et canadien, le NPD est resté à l’écart.
À la défense de l’État canadien
À ma connaissance, le NPD n’a jamais été capable de dire que l’État canadien est une construction antidémocratique érigée contre les peuples habitant le territoire. On a tenu pour acquis que la démocratie made in Canada était le seul cadre imaginable. Cela explique en bonne partie cet autisme à l’égard du peuple québécois et le fait que le NPD dans presque tous les moments décisifs s’est rangé derrière l’État fédéral pour « défendre » le Canada[1]. Pour le NPD comme pour les autres forces politiques canadiennes, il faut « briser le séparatisme ». Encore aujourd’hui, une bonne partie des députés ontariens et de l’Ouest du parti pensent que les revendications québécoises sont « racistes » et inacceptables, et que l’État fédéral doit gouverner au-delà de provinces aux pouvoirs subsidiaires et limités, le Québec n’étant à leurs yeux qu’une autre province comme les autres.
Certes, ces positions qui ont largement contribué à faire du NPD au Québec un parti marginal ont été contestées. La gauche du NPD regroupée dans les Waffles dans les années 1970 a confronté, sans réussir, cet aveuglement en proclamant la nécessité d’appuyer le principe de l’auto-détermination du peuple québécois. Plusieurs décennies plus tard, notre amie Judy Rebick a fait la même bataille pour affirmer que le Canada dans sa structure actuelle n’était pas un cadre approprié pour une social-démocratisation en profondeur. Enfin, Jack Layton avant son décès avait tenté avec la « Déclaration de Sherbrooke » d’infléchir le fédéralisme pur et du dur du NPD en affirmant le droit du Québec à décider de son propre sort, ce qui revenait, par la bande, à appuyer le principe du droit à l’autodétermination. Ce fut certainement une des causes de la « vague orange » qui a balayé le Québec en 2011.
Malheureusement après son intronisation, Thomas Mulcair a littéralement tabletté tout cela. Encore aujourd’hui, Jagmeed Singh n’en dit pas mot. Plus encore, il reprend la rengaine que l’État fédéral a le « droit » de régimenter les provinces.
Un changement est-il pensable ?
Des camarades ont décidé malgré tout de s’investir dans le NPD. Leur argument n’est pas sans logique. Le NPD est sans contredit la formation politique qui lutte pour améliorer la vie des gens, qui reste ouvert aux mouvements populaire et à leurs revendications. Il est difficile d’imaginer qu’un autre parti plus à gauche puisse émerger au Canada dit anglais, dans le genre de ce qui a été réussi au Québec avec QS. Cette option « réaliste » prend également comme modèle le travail de la gauche en Angleterre (où la direction de droite a été renversée pour un temps par Jeremy Corbyn) et aux États-Unis (où nos amis des Democratic Socialists of America ont réussi à se regrouper dans le Parti Démocrate pour espérer le pousser à gauche). Des progressistes comme Naomi Klein et Ari Lewis poursuivent dans le NPD cette bataille depuis leur Manifeste « Leap »[2].
Jusqu’à date, ces tentatives de réformes n’ont pas fonctionné. Les élus néodémocrates au parlement fédéral, et encore plus les administrations provinciales du NPD dans l’ouest, sont majoritairement hostiles à un virage à gauche qui leur apparaît trop périlleux[3]. Comme dans plusieurs partis, les élus et leur petite armée de bureaucrates n’ont d’autre but que de se faire élire tout en édulcorant leur programme et en se rangeant dans la défense du statu quo tout en essayant de l’améliorer. Dépendamment de l’issue de la campagne électorale en cours, il se pourrait que ce débat revienne en force, surtout si les résultats sont décevants pour Jagmeed Singh.
Devant cela, que pouvons-nous faire au Québec ?
Appuyer de manière circonstancielle et ciblée des candidat-es du NPD me semble une bonne idée. Maintenir le dialogue et la solidarité avec les mouvements populaires et syndicaux canadiens devrait devenir plus important dans l’agenda progressiste au Québec, sachant que notre propre lutte d’émancipation aura besoin d’alliés lorsqu’il le faudra[4].
Un facteur positif qui pourrait aider à dénouer ce nœud émerge maintenant avec le grand élan d’émancipation des peuples autochtones qui interpellent à la fois le Canada et le Québec. La souveraineté autochtone, comme celle de la souveraineté québécoise, est incompatible avec l’État canadien actuel. Certes, réinventer un autre cadre dans lequel les peuples libres et autodéterminés pourraient coexister et travailler ensemble est pour le moment une idée plutôt nébuleuse. Elle pourrait être remise sur la table à partir des semences plantées par Judy Rebick et nos amis de Canadian Dimension, et sur lesquelles au Québec, nos camarades André Frappier et Andrea Levy, notamment, ont investi tant d’efforts.
[1] Notamment lors des deux référendums de 1980 et de 1995, et plus encore derrière les manœuvres d’Ottawa pour bloquer les revendications québécoises (dont la loi dite sur la clarté). La seule fois que le NPD a confronté le gouvernement a été en octobre 1970 lorsqu’il s’est opposé à l’imposition de la loi sur les mesures de guerre.
[2] Ce Manifeste produit en 2015 par ailleurs assez radical et audacieux reconnaissait le droit à l’autodétermination du Québec tout en y consacrant 50 mots sur un texte de 10 000 mots !
[3] Il y eu des exceptions, par exemple avec les députés Sven Robinson et Libby Davies qui ont été la voix de la gauche pendant plusieurs années. Plus récemment, Niki Ashton (élue du Manitoba) et Alexandre Boulerice ont porté ce même message.
[4] On oublie souvent que le grand mouvements républicain et patriote de 1837 initié et dirigé au Québec a tenté d’établir des ponts avec des forces progressistes au Canada au Canada dit anglais, en particulier à Toronto où le bouillant maire William Mackenzie King s’est allié à Papineau dans le soulèvement.