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Le nationalisme de droite au Québec

«Le nationalisme de droite est celui des nations dominantes, des mouvements racistes comme celui des nazis, de toutes les nations qui oppriment les nations ou cultures minoritaires sur leur territoire et, enfin, de toute nation qui subordonne les intérêts de l’humanité aux siens.»

Jean-Marc Piotte

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Le nationalisme n’est ni de droite, ni de gauche ou, encore, il est l’un ou l’autre. Les révolutions américaine et française, qui mettent fin à la monarchie en fondant la république au nom de la nation, sont progressistes. Le sont également les mouvements de décolonisation qui, au XXe siècle,  ont permis à leurs pays de devenir indépendants des empires, même si les États mis sur pied se sont la plupart du temps éloignés du peuple qu’ils voulaient représenter. Le nationalisme de droite est celui des nations dominantes, des mouvements racistes comme celui des nazis, de toutes les nations qui oppriment les nations ou cultures minoritaires sur leur territoire et, enfin, de toute nation qui subordonne les intérêts de l’humanité aux siens.

 

Les patriotes et les rouges, qui voulaient au XIXe siècle fonder, comme les Étatsuniens,  une république au Canada contre la monarchie et l’Empire britannique, étaient progressistes. Ne l’étaient pas les réformistes et les conservateurs canadiens-français qui pactisaient avec l’empire au XIXe siècle. Ne l’est pas également le nationalisme traditionnel du Chanoine Groulx, basé sur la langue française et la religion catholique, qui a dominé le Québec jusqu’à la Révolution tranquille et dont le discours social, politique, économique et culturel opposait la bonne tradition à la méchante modernité.

 

La Révolution tranquille, qu’inaugure la victoire du Parti libéral du Québec (PLQ) en 1960, s’inscrit au sein d’un néonationalisme progressiste, en rupture sur plusieurs points avec le nationalisme canadien-français traditionnel. Le « Maître chez-nous » s’inscrit dans un territoire, le Québec, où les Canadiens français sont majoritaires, et se démarque du vieux nationalisme « from coats to coast ». Ce néonationalisme est laïc et prend ses distances de son origine catholique. L’État se dote d’une fonction publique indépendante des gouvernements,  le choix des fonctionnaires reposant dorénavant sur leurs qualifications  et des examens. L’État n’est plus le valet du marché et des institutions catholiques.  Il intervient directement dans l’économie par la création d’Hydro-Québec et de la Caisse de dépôt et de développement.  Il prend le contrôle de l’éducation par la mise sur pied d’un ministère  et instaure un système de santé public. Le Québec est porté par un mouvement social, débordant le mouvement syndical, qui valorise notre culture : une littérature,  une dramaturgie théâtrale, un cinéma québécois … s’affirment  et veulent prendre leur place au Québec et ailleurs.

 

Cette Révolution est poursuivie par le Parti québécois qui gagne les élections en 1976. Une dynamique positive entre les syndicats et le gouvernement québécois permet plusieurs avancées, dont l’adoption de la loi 101 qui  cherche à favoriser l’intégration des immigrants au Québec francophone.  Cette Révolution se termine lors de l’échec du premier référendum en 1980 et est enterrée lorsque le gouvernement péquiste impose deux ans plus tard l’ensemble de leurs conventions collectives aux syndiqués des secteurs public et parapublic.

De 1960 à 1982, le Québec entre dans la modernité et progresse sur tous les plans.  Ce mouvement s’arrête au début des années 1980 pour trois raisons ou causes principales 1. Le gouvernement libéral du Canada, depuis la prise de pouvoir par P. E. Trudeau, s’oppose à toutes nouvelles concessions au Québec. 2. Le néo-libéralisme se répand dans le monde et même le Parti québécois s’y soumet[1]. 3. Le souverainisme péquiste reposait sur une ambiguïté fondamentale.

 

Le PQ défendait la souveraineté-association ou partenariat, c’est-à-dire la séparation et l’union. Le Québec n’est pas une colonie. Les Québécois forment une nation minoritaire au Canada et, comme toute nation minoritaire, sont dominés par la nation majoritaire, tout en possédant de larges pouvoirs au plan provincial. La très grande majorité des Québécois désire, sans couper tous liens avec Ottawa, que la nation québécoise soit reconnue et que le Québec obtienne les leviers nécessaires pour défendre la langue française et sa culture. Le PQ voulant, comme tout parti, gagner les élections, dilue l’option indépendantiste pour être élu.

 

Jacques Parizeau, lorsqu’il est nommé à la tête du PQ en 1987, cherche à sortir de cette ambiguïté, en affirmant qu’un vote référendaire pour la souveraineté serait suivi d’une offre de partenariat économique avec le Canada. Cependant, pour obtenir l’appui du chef bloquiste et conservateur Lucien Bouchard et celui de l’adéquiste Mario Dumont, Parizeau, à son corps défendant, doit accepter un référendum sur la souveraineté-partenariat. Malgré que celui-ci unisse la gauche et la droite nationaliste, qu’il propose séparation et union, et qu’il succède au rejet des propositions bien timides du Lac Meach, il  est perdu.

 

Le soir de la défaite, Parizeau, premier ministre du Québec, au lieu de représenter l’ensemble des citoyens du Québec, accuse les puissances de l’argent et les minorités ethniques d’être la cause de la victoire du Non. Parizeau met ainsi dans le même sac la nation anglo-québécoise, les communautés historiques (juive ashkénaze, grecque…) qui se sont intégrées à celle-ci, les communautés issues de l’immigration récente (haïtienne. Magrébine, latino-américaine…) et les nations amérindiennes. Or, chez ces deux dernières, comme des études l’ont montré, le vote, favorable au Non, était partagé contrairement aux deux premières.

 

L’échec de 1995 conduit certains intellectuels à renouer avec le nationalisme traditionnel. Ils critiquent la Révolution tranquille, non pas au nom du marché et de la liberté de l’individu comme les adéquistes, mais au nom de la continuité et de la tradition. Rébarbatifs face au progrès et à la modernité, ils s’accrochent à la mémoire de la nation canadienne-française. Celle-ci est porteuse de sens, contrairement à la modernité, dont l’individualisme, la soif de consommation et l’oubli de soi et des autres dans le divertissement, crée un abîssimal vide moral et culturel. La nation est un absolu qui condamne l’individualisme et sur l’autel duquel doivent s’agenouiller ceux qui, comme les adéquistes ou les libéraux, vénèrent la liberté individuelle. La nation québécoise est celle de ses origines canadiennes-françaises et catholiques : il faut se méfier des immigrants séduits par la politique multiculturelle canadienne. Il faut également se défier des droits de l’homme qui peuvent entacher la divine nationalité. Bref, les tenants de ce courant néoconservateur se distinguent de l’ADQ, sans s’y opposer, par leur vénération du passé, leur méfiance du progrès et de la modernité, et par leur sacralisation de la nation franco-québécoise. Ils se rapprochent du conservatisme religieux du PCC par leur fétichisme de la tradition, sans reprendre nécessairement à leur compte ses politiques.

 

Ce courant identitaire et conservateur a cherché à influencer le PQ. Mais le problème fondamental demeure. Comment faire l’indépendance d’un peuple qui s’y refuse majoritairement? Aucun nationaliste à ma connaissance, fut-il d’extrême droite, ne propose la purification ethnique. Certains désirent accroître l’appui du Oui dans la population de souche canadienne-française de sorte à compenser l’appui majoritaire au Non des autres composantes de la société québécoise. Mais ce Oui espéré désespérément serait-il pour l’indépendance ou de nouveau pour une forme frelatée?

 

Le PQ a toujours été déchiré par cette contradiction : les militants veulent l’indépendance le plus tôt possible, tandis que la direction désire gagner les élections en vue de faire éventuellement la souveraineté.  Le PQ de Pauline Marois s’inscrit dans cette mouvance, en camouflant que sa politique ne mène nulle part : comment croire qu’une gouvernance souverainiste permettrait d’arracher des gains face au Canada anglais?  Dans une perspective de négociation,  l’interlocuteur canadien ne fera aucune concession, sachant qu’aucun compromis ne satisfera le gouvernement souverainiste qui, à terme, ne poursuit que la destruction du Canada tel qu’il le connaît.

 

Le mouvement souverainiste est en pleine déroute. La défaite du Bloc, les démissions au PQ du médiatique Curzi et de l’expérimentée Louis Beaudoin, le passage de l’ADQ d’une position quasi souverainiste à sa naissance à une autonomie duplessiste, puis à une position fédéraliste avec Gérard Delteil, ajouté à la volonté de l’ex-péquiste Legault de former un parti qui renvoie la souveraineté aux calendes grecques en constituent des signes trop convergents.

 

Le PQ n’est plus à gauche depuis le début des années 1980. Les trop pragmatiques dirigeants syndicaux diront qu’il est à gauche du PLQ, mais ça n’en fait pas pour cela un parti de gauche. Pierre Dubuc et Marc Laviolette  affirment, au nom du SPQ Libre[2], défendre les positions des syndicalistes progressistes au sein du PQ, mais, de fait, ils ne font que subordonner, comme Gérald Larose et Jean-François Lisée, les questions sociales à la question nationale.

 

Les militants, qui ont permis la victoire du Nouveau parti démocratique (NPD) et dont plusieurs provenaient de Québec solidaire (QS), du Bloc et même du PQ, avaient compris que, sans oublier les préoccupations nationales, il fallait mettre de l’avant la justice sociale, chercher à créer des liens avec la gauche canadienne-anglaise, alors que le Bloc n’a pas œuvré à de tels liens. Affirmant défendre, en attendant l’indépendance, les intérêts de la nation québécoise, le tandem Duceppe-Paquette, malgré leur sensibilité sociale-démocrate, mésestimait le fait que les intérêts de la nation  sont ceux de Péladeau autant que ceux de Madame Tremblay d’Hochelaga-Maisonneuve.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



[1] L’ALE puis l’ALÉNA n’auraient pas été adoptés par le gouvernement conservateur de Mulroney sans l’appui enthousiasme du Parti libéral de Bourassa et du leader péquiste Bernard Landry qui a fait le tour du Québec pour vendre cet accord.

[2] Dubuc et Laviolette interviennent à tout vent, mais personne ne sait de quelles instances ils tirent les mandats de leurs interventions.

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