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Quel mouvement syndical ? Quel mouvement social ? Quel projet politique ?

Je réagis à la présentation faite par Ronald Cameron lors de l’Université d’été 2010 des NCS. La présentation de Ronald voulait jeter un regard critique sur le développement du syndicalisme au Québec. Toutefois, c’est plutôt une justification des orientations syndicales à laquelle nous avons eu droit. Ronald a aussi insisté sur la conjoncture économique et politique néolibérale comme un rouleau compresseur qui laisse peu de place à la résistance. Le syndicalisme québécois doit-il être évalué comme un mouvement social ou plutôt une institution de l’État ? Les syndicats du Québec font partie d’un mouvement dit « syndical », lequel est associé aux autres mouvements sociaux (féministe, populaire et communautaire, nationaliste, écologique, étudiant, pacifiste) qui interagissent sur le terrain social et politique et forment le « mouvement social » au Québec. En avançant cette affirmation, je conviens de la spécificité du mouvement syndical, soit la défense des conditions de travail et de vie de ses membres. Mais il faut aller plus loin. Le mouvement syndical est à la fois porteur d’un pluralisme et d’une composante institutionnelle, ainsi qu’une histoire politique qui lui est spécifique.

La question de l’institutionnalisation

Le syndicalisme québécois est pluriel. Il se compose aujourd’hui de quatre centrales syndicales : la CSN, la CSQ, la FTQ et la CSD, auxquelles se joignent des fédérations et syndicats indépendants dont les plus reconnus sont la FIQ, le SFPQ, le SPGQ, l’APTS et la FAE. Ce pluralisme qui constitue le syndicalisme québécois le fragilise, il est vrai,  surtout lorsqu’un rapport de force doit s’imposer à l’encontre des volontés patronales ou gouvernementales. L’institutionnalisation du mouvement syndical québécois, de son coté,  est d’une part, liée aux gains qu’il a obtenu de l’État facilitant l’accès à la syndicalisation assortie d’un droit d ‘association, de négociation et de grève auquel s’ajoute le prélèvement de la cotisation syndicale à la source appelée « formule Rand », en contrepartie de quoi il a été contraint de respecter des règles imposées inscrites dans le Code du Travail du Québec. Les manquements aux droits inscrits dans la convention collective se règlent par voie de grief et non sur les lieux de travail par un arrêt de travail spontané. Ainsi, entre deux contrats de travail, il ne saurait y avoir de débrayage. La grève devient sans cela illégale et passible de sanctions. Cette institutionnalisation n’a pas empêché les travailleuses et travailleurs de faire des grèves illégales. Mais depuis les années 1980, les amendes et sanctions associées à l’utilisation de la Loi sur les services essentiels ont conduit à un affaiblissement marqué de la résistance des syndicats. Le coût financier de la grève de la FIIQ en 1989 a failli mettre cette organisation syndicale en faillite. L’État est donc source de droit mais aussi de répression. Cette surtout cette dernière fonction qui est utilisée dans le secteur public et parapublic depuis les années 1980.

Concertation

L’institutionnalisation du syndicalisme a d’autre part pris la forme d’une concertation souhaitée par l’État dès 1968 par la mise en place de la Comité consultatif de la main d’œuvre. Par ce biais, le gouvernement souhaitait « civiliser » les affrontements entre employeurs et travailleurs en les assoyant à une même table. Ces concertations se sont développées  au sein de la CSST, de la SQDM et en siégeant aux conseils d’administration de la Caisse de dépôts et de placements, de la Société générale de financement, de la Commission administrative des régimes de retraite. Ces participations ont donné lieu au cours des années 1970 à des débats musclés. principalement à la CEQ et à la CSN. La raison en était que cette participation à des instances élitistes avec le patronat et l’État allait à l’encontre de l’antagonisme de classe entre patrons et travailleuses et travailleurs, l’État n’étant pas considéré comme étant neutre, mais plutôt un allié du patronat qui parfois faisait des concessions aux syndicats pour acheter la paix sociale. L’arrivée au pouvoir du PQ en 1976 a été le prétexte pour laisser tomber l’analyse de classe qui prévalait encore à la CSN et à la CEQ au profit du large « front uni » de toutes les forces vives du Québec sous la direction de la bourgeoisie québécoise qui aspire à prendre la place des dominants canadiens. Le message porté par Marcel Pepin  en 1968 lorsqu’il avançait la nécessité d’un projet de société québécois indépendantiste et socialiste a été déclassé au profit de la concertation établissant ainsi un « partenariat social » entre syndicats, patronat et État, lequel qui n’a cessé de se développer depuis cette période.

Les luttes

La conjoncture politique et économique a rarement été favorable aux travailleuses et travailleurs. C’est leur détermination dans la lutte qui a permis les gains consentis qui se situaient tant au niveau de leurs conditions de travail que de leurs conditions de vie. Ainsi, ont été gagné avec l’appui de la population des droits universels et gratuits en éducation (1964), à la santé et l’hospitalisation (années 1970), à la santé sécurité au travail (1977), à des congés de maternité payés, à des garderies subventionnées (1996), au français, langue de travail et d’enseignement  lesquels droits s’ajoutaient aux autres mesures sociales déjà obtenues comme les allocations familiales, les pensions de vieillesse, le régime d’assurance chômage à un régime de rentes. Ces quelques exemples ne couvrent pas l’ensemble des luttes des syndicats mais donne une illustration de son coté combattif hors emploi. Parallèlement, des gains majeurs ont été faits au niveau sectoriel sur le plan des salaires, principalement dans les années 1970 (congés de maternité payés, protections en santé sécurité au travail, vacances payées d’un minimum de 2 semaines par an, meilleures conditions de retraite et normes minimales de travail). Cela s’est aussi accompagné d’une répression de l’État qui maniait lois spéciales, injonctions et décrets des conditions de travail pour mater la combattivité des travailleuses et des travailleurs. Il emprisonnait aussi des dirigeants syndicaux et imposait des amendes « salées » pour déstabiliser les organisations syndicales. En ce sens, la Loi 160 adoptée par le PQ en 1984 et bonifiée par le PLQ en 1988 est un bijou de malveillance à l’endroit du personnel syndiqué de la fonction publique et parapublique. Le droit de négociation et de grève est désormais quasi fictif pour ces syndiqués.

Le déclin des résistances syndicales

Aujourd’hui, le mouvement syndical continue, mais la combattivité n’est plus le moteur de son action. La baisse du nombre de jours de grève depuis les années 1980 va de pair avec le partenariat tant au niveau local, régional que national. C’est une exigence de base de ce partenariat. Il faut pour que les représentants sociaux et patronaux participent à ces tables de concertation qu’ils soient en mesure de faire accepter par leurs membres les décisions prises par consensus entre partenaires aux intérêts opposés. C’est ainsi que le « déficit zéro » convenu lors du Sommet de 1996 a donné lieu à des coupures dans les services publics de 1,4 milliards de dollars. Il conduit aussi à ce que les centrales syndicales donnent leur aval au Pacte sur l’emploi autorisant de ce fait des patrons à embaucher des personnes assistées sociales sans avoir à les assujettir aux normes minimales de travail et aux protections sociales de base, à l’encontre de la solidarité syndicale entre travailleuses et travailleurs.

Se redéfinir

Cette critique ne cherche pas à faire croire que les syndicats ne sont pas forcés à la défensive par la mondialisation qui permet aux patrons de délocaliser leurs entreprises, de menacer de fermeture partielle ou complète et de revoir l’organisation du travail à l’encontre des intérêts des travailleuses et des travailleurs. Je crois toutefois qu’il faut, pour répondre à ces assauts patronaux, dépasser les problématiques quotidiennes des syndicats. Il nous faut une analyse de la situation politique, économique et sociale, qui sache identifier les embuches à surmonter et répondre aux besoins et aspirations des membres que les syndicats représentent, allant dans le sens du « bien vivre ». La conjoncture ne doit pas être le levier dont nous nous servons pour nous accommoder de ce qui est, mais une lecture des obstacles à la réalisation de nos revendications. Cela passe par une nécessaire redéfinition de qui nous sommes, de qui est avec nous et contre nous. Le « partenariat social » tel qu’il s’exerce doit cesser. C’est par une remise en question de cette pratique que le mouvement syndical pourra reprendre de l’allant, sans complaisance et avec détermination. Pour que cesse l’accommodement au néolibéralisme!

Ghislaine Raymond, syndicaliste et enseignante

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