Christophe Aguiton est un militant syndical et politique français qui a animé le syndicat SUD et les Marches européennes contre le chômage. Il a participé étroitement au processus du Forum social mondial, notamment dans son incarnation européenne (le Forum social européen). Il était de passage à Montréal dans le cadre de l’Université d’été des NCS et à l’invitation également du réseau Alternatives.
Ruptures et démarcations
Au tournant des années 1990 surgit un nouvel acteur, l’altermondialisme. Au départ, il y a une volonté de se démarquer du marxisme dominant, caractérisé par une «certaine vision du monde et où le socialisme surgira par une organisation plus rationnelle de la société». Aguiton rappelle que le grand théoricien de la social-démocratie européenne, Karl Kautsky, affirmait que le socialisme de l’avenir devrait fonctionner comme les chemins de fer dans un système centralisé, rationnel, rigoureux. «Pendant un siècle explique Aguiton, tout le monde a fonctionné sur cette idée. Les désaccords étaient sur le comment y arriver (élection, insurrection, guerre populaire). La classe ouvrière industrielle devait être le noyau dur de cette lutte, menée par un parti d’avant-garde, le parti des intellectuels collectifs, des ouvriers intellectualisés. Comme on le sait, ce projet s’est étiolé au tournant des années 1980 et est aujourd’hui en miettes.
Déconstruction et reconstruction
C’est cette perspective que le mouvement social actuel est en train de déconstruire. La centralisation excessive derrière un État «de gauche» ou un parti «éclairé» est fortement contestée. «On affirme au contraire que c’est de notre pluralité et de notre diversité que nous devenons plus forts» affirme Aguiton. Cette idée est matérialisée par l’essor des mouvements sociaux, qui démontrent la possibilité de se battre ensemble, sans se diluer. Mais c’est aussi l’avancée des coalitions politiques basées sur une approche minimaliste, «ce qui implique de ne plus penser en termes d’un avenir radieux et du lendemain enchanteur». Les mouvements ne veulent plus «sacrifier» les intérêts populaires au nom d’un projet lointain. «On a le sentiment qu’on peut transformer notre relation au monde tout de suite». Parallèlement, le mouvement social ne pense plus en termes du sujet «principal» de l’histoire (anciennement la classe ouvrière). «Aujourd’hui, il y les acteurs, et non l’acteur, qui se transforment. Par exemple, ce ne sont plus ouvriers en Bolivie qui sont au cœur de la lutte, mais les cocaleros (anciens ouvriers) et les paysans autochtones».
Hybridiser
Il faut hybridiser les traditions du mouvement social, en reprenant notamment les projets de coopérativisme du siècle précédent. Il faut, selon Aguiton, «considérer une autre façon de produire du communisme en socialisant le savoir et en élargissant le bien commun avec une planification minimaliste de l’État». Tout cela implique de nouvelles méthodologies, de nouvelles gouvernances. «Pourquoi ne pas ressusciter le tirage au sort que pratiquaient les anciens Athéniens, et qui impliquait la rotation des citoyens aux postes de responsabilité ?» Il faut aussi réfléchir sur l’héritage que nous lèguent les autochtones, et qui mise sur le consensus, la symbiose, l’importance des «anciens» comme réservoirs de la sagesse accumulée. En termes contemporains, on voit ces nouvelles méthodes prendre forme par les Forums sociaux et aussi par le logiciel livre et le wikipédia.