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Le mouvement social devant le PQ de Pauline Marois

À l’origine du « grand projet »

Né la fin des années 1960 dans le sillon de la révolution tranquille, le PQ pendant longtemps canalise les aspirations des classes moyennes et populaires qui espèrent voire converger leurs aspirations sociales et nationales dans un grand projet. La «souveraineté-association» d’une part propose de créer un État indépendant et maître de son destin tout en restant associé au reste du Canada dans une perspective un peu floue mais généreuse. Le programme du PQ par ailleurs reprend plusieurs des grandes revendications des mouvements sociaux de l¹époque pour améliorer les conditions de vie et de travail de la grand majorité des gens dans une optique qui vise à «civiliser» le capitalisme, et non à le renverser. Dans ses grandes lignes, ce projet est assez semblable, dans des conditions spécifiques qui sont celles du Québec, à d’autres grands projets réformistes qui fleurissent à l’époque, notamment en Europe occidentale. Après des décennies d’état autoritaire et de capitalisme agressif, des citoyens et des citoyennes, dont plusieurs ont connue l¹effervescence des années 1960, veulent des changements. Et c’est ainsi que le PQ (et des formations politiques apparentées comme le Parti socialiste français) arrivent au pouvoir à peu près dans les mêmes années.

L’échec

Après une période relativement courte cependant, le PQ «au pouvoir» se retrouve devant un nœud. Les dominants de l’époque après avoir été un peu secoués se ressaisissent rapidement. Jusqu’à un certain point, ces dominants ne sont pas nécessairement contre une gestion plus «humaine» par l’État ni non plus contre une certaine « modernisation » de la chose publique. Mais bien sûr ils ne peuvent pas «tolérer» de politique «risquée» comme celle par exemple de remettre en question l’État canadien. Inacceptable aussi est une restructuration de l’économie au profit des dominés. Pour un temps, la priorité des dominants est de vaincre le projet souverainiste, ce qu’ils réussissent lors du référendum de 1980. Après cette défaite crève-cœur, le PQ digère un autre recul amer. L’affrontement avec le mouvement syndical en 1982, en pleine crise des finances publique, signifie en effet la mise au rancart du «préjugé favorable» envers les travailleurs que l’aile gauche du PQ (Robert Burns, Lise Payette et d’autres) avaient mis de l’avant. Incapable de ménager ses appuis populaires avec les impératifs d’une gestion rassurante pour les dominants, le PQ s’effiloche jusqu’à sombrer dans une crise déchirante et prolongée. Plus tard, Jacques Parizeau entreprend un long travail de remontée jusqu’à la réélection du PQ (1994) et la courte défaite du deuxième référendum (1995). Mais encore là, l’aventure s’envole, puis s’enlise. Le bloc social qui appuyait le projet souverainiste se disloque. Les dominants reviennent à la charge via l’État fédéral principalement. Devant cela, vaincu sur ses projets de fonds, le PQ est « normalisé » (avec Bernard Landry) et redevient le gestionnaire d’un État qui régule le rapport de forces au profit des dominants, quitte à concéder aux dominés quelques bénéfices qui laissent encore penser que la révolution tranquille continue (le meilleur « coup » est la mise en place des CPE). Par la suite, les classes populaires se retrouvent « orphelines ». Plus tard en 2003, elles votent « avec leurs pieds » (abstention). Le Parti Libéral du Québec (PLQ), organisation « traditionnelle » des élites, revient au pouvoir, pas tellement parce qu’il est populaire, mais parce qu’il récupère, par défaut, une société désarticulée. Le politicien fédéral Jean Charest reçoit le mandat d’achever le travail et est présenté par les grands médias comme le sauveur du Canada. On devine maintenant son prix.

Les dominants à l’offensive

Dans la suite de ces échecs, les dominants relancent la « bataille des idées » dans la lignée du néolibéralisme et du néoconservatisme déjà bien ancré au pouvoir aux États-Unis. Ce changement de décor au niveau politique vise à accompagner une opération de plus grande envergure dont le but est la destruction du grand compromis keynésien de l’après-guerre que les classes moyennes et populaires avaient arrachées aux dominants de l’époque. Le néolibéralisme, contrairement au keynésianisme, ne s’intéresse plus à créer un «cercle vertueux» par lequel les dominés « trouvent leur compte » dans un capitalisme qui permet le partage relatif des surplus. Ce n’est plus « nécessaire » d’autant plus que les dominés n’ont plus, du moins immédiatement, une « alternative » sur le plan politique. C’est également plus «rentable» d’internationaliser (globaliser) le développement capitaliste à l’échelle planétaire en intégrant directement les centaines de millions de travailleurs du sud dans le grand circuit de la production et de la consommation capitaliste. Entre-temps, il faut forcer les classes moyennes et populaires de « glisser » dans une course vers le bas sans fin. Les travailleurs salariés sont condamnés à vivre non seulement le déclin de leurs conditions mais aussi la précarité qui les rend vulnérables et corvéables. Les couches populaires ne doivent plus avoir accès à des services populaires « trop chers » parce que le surplus social est accaparé par une mince couche de « turbocapitalistes » globalisés qui ne sont plus imputables ni taxables. Les turpitudes du capital financier (Enron, crise des surprimes, etc.) marqueront profondément cette période. Dans ce contexte, les dominants veulent s’assurer qu’un «retour en arrière» soit impossible. Les « trente glorieuses » sont derrière nous et pour toujours, disent-ils. Ce qui veut dire d’emblée verrouiller de plus en plus l’espace institutionnel en changeant les lois, les constitutions, les encadrements juridiques et politiques. « Mondialisation » oblige, des pans entiers de la gouvernance sont transférés vers des officines bureaucratiques opaques et non-démocratiques dont l’ALÉNA est le meilleur exemple, sans parler de cette tentative de hold-up du secteur privé sur les fonctions de régulation de l’État que représentait l’AMI qui a reculé sous la pression des forces altermondialistes et de l’opposition de certains gouvernements (la France notamment).

«Lucides »

Ici comme ailleurs, les dominants veulent déraciner les aspects populaires issus de la révolution tranquille. Il faut dans ce contexte liquider le patrimoine qui a pris forme autour d’un secteur public moderne, ce qui comprend aussi bien la Caisse de dépôts qu¹Hydro-Québec et l’essentiel des infrastructures érigées dans les domaines de la santé et de l¹éducation. Il faut «flexibiliser» davantage la main d’œuvre, ce voulant dire, arracher les gains acquis dans les années 1960-70 comme la sécurité (bien relative) d’emploi et des salaires décents. Le PLQ et sa droite populiste, l’ADQ (dans la lignée du «berlusconisme»), sont des candidats tous désignés pour parachever ce travail. Mais ce n’est pas assez pour les dominants. Il faut aussi briser la possibilité même d’une alternative, même si, le jeu politique aidant, l’« alternance » est une éventualité qu’il ne faut pas totalement discarter. Il faut cependant dire que les dominants, aux États-Unis notamment, sont parfaitement capables d’imposer par la fraude et la violence symbolique la reconduction des partis de droite. C’est de là qu’émergent les projets de « recentrage » politique, qui expriment tous, sous des codes divers, la même idée de droitisation. Il ne s’agit pas d’une « conspiration ». Les dominants font leur travail. Ils ont à leur ordre des armées d’intellectuels, de journalistes, de « savants » qui pensent tous les projets «lucides» de ce monde très semblables d’un pays à l’autre : transformation de l’appareil d’État en brisant ses fonctions redistributrices et développementistes et en accentuant ses mandats répressifs, captation de l’espace politique et médiatique (la « berlusconisation » de la politique), criminalisation des mouvements sociaux, mise aux oubliettes du projet indépendantiste, pour enfin passer à «autre chose»: un règne sans partage des thèses et valeurs néolibérales.

Quel avenir pour le PQ ?
L’esquisse que nous évoquons ici est nécessairement simplificatrice, car entrent en jeux toutes sortes de contradictions et de trajectoires. Mais en gros, cela indique la «tendance lourde». Madame Marois qui est certes une personne respectable et sans doute généreuse sait, en fin «animal politique» qu¹elle est, qu’il n’y a pas 56 000 manières de revenir au pouvoir. Comme d’autres elle propose de liquider  le « grand projet » et de revenir au «réalisme» comme les experts et journalistes « berlusconisés » lui conseillent de le faire. Les classes populaires et moyennes, du moins à court terme, sont disloquées et déstabilisées devant l’ampleur des assauts contre leurs conditions de vie et de travail, d’où l’attrait, ici comme ailleurs, des projets démagogiques, populistes, réactionnaires. Dans ce contexte, mieux vaut chialer contre les immigrants que contre un Bill Gates de toute façon totalement inaccessible. Le seul espoir de  Mme Marois est alors donc de « récupérer » ce mécontentement en essayant de convaincre la population qu’elle pourra assumer la quadrature du cercle, soit une certaine humanisation d’un système par définition ingérable. Elle doit en même temps assurer les dominants qu’elle pourra, peut-être mieux que les autres, gérer les « turbulences » de cette transformation. C’est son jeu, c’est son avenir et nul ne peut dire que cela ne marchera pas. La marginalisation des militants et militantes de gauche identifiés au SPQ-Libre préfigure de cette réussite.

Mille batailles
Devant cette évolution, il ne sert à rien d’espérer un « virage à gauche » du PQ. Encore moins de penser que le PQ va s’effondrer rapidement et laisser la place à de nouvelles alternatives de gauche sur le plan institutionnel (certains amis de Québec Solidaire par exemple pensent que l’électorat « désenchanté » va se diriger vers le nouveau parti). Il faut être « réalistes », non pas pour accepter les dictats des dominants, mais pour analyser froidement le rapport de forces dans lequel notre société est insérée. D’emblée, le mouvement social doit entreprendre une longue marche pour se reconstruire une identité qui lui est propre, et effectuer une rupture avec le rôle de supplétif à des projets de réforme qui n’ont plus leur place à l’ombre du capitalisme «réellement existant» (néolibéral). Cette reconquête ne se fera pas dans des colloques ou des dialogues dits de « concertation », mais dans la lutte, dans la résistance, comme cela a été le cas récemment avec les étudiant-es, les travailleurs de l’Alcan, les travailleuses des garderies et autant de vaillants « Astérix » ici et là comme ceux du quartier Pointe-St-Charles. Mais résister ne sera pas suffisant non plus. Il faudra rétablir l’esprit de coalition, la convergence, qui nous a tant servi lors de la Marche des femmes contre la pauvreté et le Sommet des peuples des Amériques et qui a été évoqué, bien que de manière embryonnaire, lors du Forum social québécois d’août dernier. Aujourd’hui encore plus qu’hier, il faudra élargir cette convergence à une échelle plus grande, internationale, en prenant appui sur les processus riches et complexes qui s’expriment dans le Forum social mondial. De toute cela émergera un fleuve d’initiatives qui devra irriguer le terrain de nouvelles alternatives politiques, dont celles qui s’expriment dans Québec Solidaire, et qui devront surmonter mille obstacles, remporter mille « petites » batailles pour peu à peu éroder les tranchées de l’adversaire, le mettre à la défensive et éventuellement le vaincre. Certes, cette longue marche ne sera pas linéaire : elle devra « trouver son chemin » entre les dédales sinueux « du » politique. Les mouvements devront se « dépasser eux-mêmes » et se constituer en pôles contre-hégémoniques, ce qui voudra dire construire des alliances, bref faire de « la » politique. Pour conclure (temporairement), il nous faut intégrer un principe, presqu’une certitude : dans la reconstruction de ce rapport de force, il faudra laisser du temps au temps….

* Cyr et Beaudet sont membres du Collectif d’analyse politique (CAP).

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