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de situations »

Le militantisme, un « dégradé 
de situations »

par Laurent Etre

Après celui sur les questions de développement, lancé le 20 octobre avec le philosophe Jean-Louis Sagot-Duvauroux, Espaces Marx inaugurait, jeudi dernier, un autre séminaire, cette fois consacré aux évolutions du militantisme à gauche. Intitulé « Mouvement social, résistances, engagement, transformation sociale, politique  : quoi de neuf  ? », il devrait donner lieu à des rencontres régulières tout au long de l’année prochaine, autour de chercheurs, mais aussi de personnalités travaillant ces thématiques au sein des organisations (partis, syndicats, associations…) engagées dans le mouvement social. Invité de cette première séance, introduite par Louis Weber, l’animateur du séminaire, le sociologue Lilian Mathieu, a dressé un état des lieux des travaux de recherche sur le militantisme.

Dans un contexte où les enquêtes sur les « nouveaux militants » se banalisent dans la presse, le chercheur s’est attaché à replacer dans une perspective historique la question des formes d’engagement, tout en prenant soin de distinguer les temporalités respectives des mouvements sociaux et des recherches effectuées sur ceux-ci. Il a ainsi pu mettre en lumière l’impasse théorique et le caractère finalement très idéologique de la sociologie d’Alain Touraine, un temps dominante. Au milieu des années quatre-vingt-dix, elle s’empressait de postuler l’entrée dans un « nouvel âge de la contestation », à partir, notamment, de l’observation des mouvements se développant sur le front des discriminations sexuelles ou de l’environnement. Qualifiées de « post-matérialistes », ces luttes sont alors opposées à celles d’un mouvement ouvrier qui se trouve, du même coup, ringardisé. Loin de se résumer à un pur enjeu matériel, la « revendication d’une hausse de salaire est pourtant, elle aussi, un enjeu de reconnaissance, de dignité humaine », a fait remarquer Lilian Mathieu. Et par ailleurs, toutes les protestations concrètes, qu’elles que soient les revendications avancées, sont conditionnées matériellement. Ici, le sociologue a évoqué l’apport de chercheurs en sciences politiques, tel Michel Dobry, inspirés par des courants américains des années soixante-dix appréhendant les mouvements sociaux en termes de « mobilisations de ressources ».

Cette approche permet de rendre compte de la diversité des formes d’action et de l’apparition, pour certains mouvements comme celui des sans-papiers, de « soutiens extérieurs », militants moins vulnérables et souvent dotés d’une solide expérience protestataire, acquise dans les sphères politiques ou syndicales. Au final, les évolutions du militantisme semblent bien devoir être abordées en termes de transferts. Corrélativement, Lilian Mathieu a invité à repenser la distinction, formulée par le sociologue Jacques Ion, entre un militantisme « timbre-poste », intégral, et un militantisme « Post-it », plus distancié à l’égard des organisations traditionnelles. Loin de correspondre à des stades historiques définis, ces deux types de militantisme coexistent sous la forme d’un « dégradé de situations », selon l’expression de Lilian Mathieu, où les luttes du monde du travail conservent toute leur place. Espaces Marx publiera prochainement sur son site (1) un compte rendu exhaustif des échanges de la soirée ainsi que l’intervention complète du conférencier, en attendant le prochain rendez-vous, prévu début janvier.

Laurent Etre

(1) www.espaces-marx.eu.org

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