Indépendance ou dépendance?
Les nouveaux projets de loi sont à rejeter parce qu’ils mettent en péril l’autonomie et l’indépendance des universités. Le projet de loi 44 parle bien « d’indépendance », mais il s’agit d’un contresens. Il ne désigne pas par là la saine distance qui devrait soustraire l’université au pouvoir de l’État ou de l’argent. Il entend plutôt que les gens qui siègent sur le conseil d’administration des universités ne doivent avoir aucun lien organique avec l’institution. Cela équivaut à placer l’institution sous la dépendance de gens qui lui sont étrangers, mais ne sont pas étrangers au pouvoir de l’argent.
Composer la plus haute instance décisionnelle d’une institution d’enseignement supérieur avec une majorité de membres n’ayant aucune appartenance au milieu universitaire ne constitue rien de moins qu’un détournement. Celui-ci place l’institution sous une loi qui n’est pas celle qu’elle se donne en propre dans le respect de la tradition intellectuelle, mais plutôt celle des gens d’affaires et des managers, dont les fins sont étrangères à la mission universitaire.
Pour que soit préservée l’autonomie intellectuelle – l’esprit se donnant sa propre loi – que devrait incarner l’institution universitaire, il est nécessaire qu’elle demeure aux seules mains de ceux qui la composent (professeurs, employés, étudiants), ceux-ci étant redevables à leurs communauté, plutôt que de siéger à titre d’individu ou au nom d’une corporation.
Une question de finalités
La collégialité et la démocratie ne sont pas à elles seules garantes de la préservation d’une institution universitaire remplissant pleinement son rôle culturel et institutionnel. En effet, si l’université se trouve prise en charge par sa communauté interne, et ce, sans que soit critiquée la vision économiste et fonctionnaliste à laquelle on a déjà soumis en bonne part cette institution, elle ne pourra que poursuivre dans une voie qui lui fait trahir ses fondements et finalités historiques. Il apparaît donc aujourd’hui nécessaire de réaffirmer les idéaux qui devaient encore être ceux de l’université – voire de réaffirmer la notion même d’idéal, battue en brèche au nom de l’adaptation à la réalité économique.
Plutôt que d’être gérée de façon managériale par des membres affairistes « externes », il est bien sûr préférable que l’université soit collégialement et démocratiquement « gérée » par ses professeurs, employés et étudiants. Mais cela n’offre aucune garantie quant à la capacité de l’université de préserver, défendre et transmettre la synthèse culturelle et l’idéal humain dont elle a la garde. Une gestion collégiale et démocratique, assurée par la communauté universitaire, si elle se fait en l’absence de principes supérieurs, vaut bien une gestion managériale d’acteurs « externes ».
À moins que soit clairement posée la question de ses finalités politiques et culturelles, l’université demeurera engluée dans l’esprit du temps, qui la conçoit comme une machine sans finalité autre que la production de recherche monnayable, la formation à l’emploi, un rouage dans le système marchand, où les étudiants deviennent du « capital humain ».
En se concentrant sur la question de la gouvernance, le débat sur les projets de loi 38 et 44 occulte la racine du problème : le rôle de l’université dans la société, le décalage entre l’idéal qu’elle devrait incarner et ce qu’elle est devenue. On assiste à l’érosion lente d’un des derniers lieux où pouvait se penser l’universel, à mesure qu’il est soumis aux « besoins du milieu du travail ».
C’est la managérialisation de l’Université qu’il faut à tout pris freiner, et cela ne sera pas au moyen d’un réinvestissement ou d’une réforme organisationnelle des modes de prise de décision : le Québec ne saurait faire l’économie d’un examen critique du sens et du rôle des universités. Autrement c’est l’économie capitaliste et ses agents qui s’en chargeront, et leur projet, à défaut d’être juste, est clair : réduire l’éducation à un instrument dans la poursuite de la compétitivité dans « l’économie du savoir ». Si la pensée ne s’est pas encore entièrement réduite aux slogans du management, il n’en est pas moins minuit moins cinq, et il faudra choisir clairement son camp.
- Laurence Olivier, coordonnatrice générale de l’Association facultaire des étudiants en Arts de l’UQAM
- Eric Martin, doctorant en pensée politique, Université d’Ottawa