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Le déclin historique du Parti Libéral

Le PLC est devenu au Québec et même dans plusieurs régions du Canada un tiers-parti. C’est toute une débâcle pour un parti qui a dominé la scène politique canadienne pendant les 50 dernières années. Comment expliquer cela?

Avant et surtout après la Deuxième Guerre mondiale, le PLC est associé à la mise en place des politiques keynésiennes, ce « grand compromis » entre des élites craintives de voir la crise perdurer et des dominés qui sentent leur force monter. On sait que ces politiques contribuent à la « modernisation » de l’économie et de la société et également à une amélioration des conditions de vie et de travail des classes populaires. Au Québec, ce processus est plus tardif mais émerge finalement avec la révolution dite tranquille.

À part un épisode où les « Progressistes-Conservateurs » de l’époque reprennent brièvement le pouvoir (sous Diefenbaker), le PLC continue de dominer, encore plus au Québec qu’ailleurs. Mais à la fin des années 60, cet élan est ralenti, en partie avec l’essor du nationalisme québécois. Paradoxalement, cela permet au PLC de se maintenir au pouvoir sous l’égide de Pierre Trudeau qui se présente à la fois comme le « défenseur » des Canadiens-français à Ottawa et celui qui peut « mâter » le nationalisme québécois. Parmi les cartes dont dispose Trudeau est la politique pour diluer le nationalisme québécois en le transformant en une revendication « culturelle » et en se faisant le promoteur du « multiculturalisme ».

Au bout de la ligne cependant, ce projet échoue. Trudeau fait un rapide comeback en coalisant les élites contre le projet de souveraineté-association (1980), mais il est finalement emporté par l’histoire en dépit (ou â cause) de ses entourloupettes, de son arrogance et de ses envolées oratoires, mais non sans avoir réalisé son « rêve » de rapatrier une constitution qu’il pense être un solide rempart contre le nationalisme québécois. C’est alors que le PLC entre dans une crise structurelle dont il paie encore les conséquences.

Au milieu des années 1980, les « Progressistes-Conservateurs » sous Mulroney font une percée remarquable. Au Québec, celle-ci est permise grâce à une alliance implicite avec le nationalisme québécois, alors dépité de la défaite de 1980 et tenté par la politique du « beau risque » (alliance avec les Conservateurs préconisée par le PQ). Cette politique permet à Mulroney de participer à une certaine réorganisation des élites et de l’État fédéral, qui facilite la cooptation de « Québec inc » (l’espèce de bourgeoisie qui prévaut au Québec) et d’entreprendre la démolition de l’héritage keynésien, ce qui passe entre autre par le grand réalignement avec les États-Unis (signature de l’ALÉNA en 1994).

Les Libéraux sont grandement désarçonnés par cela car les élites canadiennes (et québécoises) auxquelles le PLC a été historiquement associé vont avec Mulroney. Mais celui-ci a un autre problème. En voulant compromiser, il se met à dos les secteurs « ultra » qui font alors défection (pour créer leur parti d’extrême droite). En 1993, Jean Chrétien revient au pouvoir, en bonne partie parce que le vote conservateur est cassé en deux.

Aussitôt revenu à Ottawa, le PLC tourne sa veste. Il endosse rapidement l’ALENA et il met en place, sous l’égide du ministre des finances Paul Martin, un programme d’ « ajustement structurel » qui consiste à massacrer les budgets sociaux, soit disant pour rééquilibrer les finances publiques. Les chômeurs québécois et canadiens sont passés à la moulinette pour permettre au secteur financier, principalement à Toronto, de consolider ses positions. Entretemps, le PLC tente de préserver quelques « produits dérivés » du keynésianisme tout en se présentant comme le grand ennemi du nationalisme québécois. Mais cela tourne au vinaigre en 1995 (deuxième référendum). Le PLC comme stratégie alternative se lance alors dans une opération à haut risque de patronage et de corruption qui finit par éclater quelques années plus tard.

Les élites canadiennes ne sont pas vraiment contentes. Elles pressent les « Progressistes Conservateurs » et l’Alliance de se fusionner. En 2004, l’idéologue de droite Stephen Harper est intronisé avec de gros appuis parmi les dominants canadiens et québécois, ainsi qu’une solide base parmi les couches moyennes de l’Ouest et de l’Ontario. Au Québec cependant, ce projet ne passe pas, à part quelques beaux fleurons de Québec Inc (Pierre Karl Péladeau par exemple. En réalité, le projet « révolutionnaire » de Harper représente une menace directe contre le Québec puisque les fondations de ce projet sont de réorganiser le capitalisme canadien autour de l’axe financier (Toronto) et des ressources (l’ouest et le nord).

Le PLC devant cette évolution est désemparé. L’intermède sous Paul Martin est un échec retentissant. En effet, Martin ne peut convaincre les élites canadiennes qu’il sera mieux en mesure que Harper de gérer la « réorganisation ». Il perd une partie importante des classes moyennes et populaires qui avaient appuyé le PLC à la belle époque de l’État fédéral keynésien. Il ne peut effacer dans la conscience québécoise l’idée que le mandat fondamental du PLC est de « mâter » le nationalisme québécois, bien qu’il s’efforce de se distancier de l’héritage trudeauiste.

Les élections de 2006 confirment cette polarisation. Harper dispose d’une majorité réelle au Canada anglais, mais il ne peut devenir majoritaire à cause de l’opposition très majoritaire du Québec structurée autour du Bloc Québécois.

Après le départ de Martin, le PLC tombe encore plus bas. Stéphane Dion est intronisé « par défaut » devant un parti divisé et émietté. Lui-aussi tente de repeinturer le parti avec l’environnement et la défense des programmes sociaux, mais il n’est pas convainquant ! Après une autre défaite en 2008, il est éliminé dans la confusion générale pour laisser la place à un intellectuel plus ou moins connu, Michael Ignatieff.

Qu’en est-il aujourd’hui ? Comme en 2006 et en 2008, le PLC a « gauchi » son image pour faire la campagne électorale, copiant de larges pans du programme du NPD. Il mise sur l’électorat des classes moyennes et populaires, surtout en Ontario et en Colombie britannique en insistant sur le danger que représente le projet « révolutionnaire » de Harper. Cela est une tactique intelligente, dans les circonstances. Mais est ce suffisant ? Sur le fond, l’orientation du PLC reste davantage en ligne avec les Conservateurs qu’avec le NPD (à moins d’un virage spectaculaire, qui pourrait survenir si le PLC est encore plus malmené au scrutin qui s’en vient). Attaché aux « valeurs canadiennes » de l’État fédéral fort, il ne peut pas compromiser avec le nationalisme québécois, du moins sur l’essentiel (Ignatieff, contre les trudeauistes, peut comme Harper dire que le Québec est une « nation »). Le PLC peut parler de l’importance pour le Canada de « bien paraître » dans le monde (c’est difficile de faire pire qu’Harper), mais il restera aligné sur Washington.

Bref, ni d’un côté (les élites) ni de l’autre (les classes moyennes et populaires), le PLC est une alternative crédible. Son seul argument est que le projet de Harper est dangereux, ce qui est vrai par ailleurs.

Au Québec, le dilemme est encore plus dramatique pour le PLC. Depuis le départ de Chrétien, une sorte de « guerre civile » déchire le parti entre les trudeauistes intransigeants, alimentés en douce par leur « parrain » Paul Desmarais, d’une part, et ceux qui voudraient sortir de cette obsession contre le Québec et donc « moderniser » le parti en l’alignant vers une sorte de centre-droit dont le message pour le Québec est simple : venez avec nous et détachez-vous du Bloc Québécois qui ne mène à rien. Ignatieff, associé à ce clan, risque son avenir politique actuellement, et ce faisant, celui des « modernisateurs » regroupés autour de certains députés comme Denis Coderre. Dans l’éventualité d’un gros échec le 2 mai, les trudeauistes pourraient faire un comeback, surtout si Martin Cauchon est élu dans Outremont, ce qui lui permettra par la suite de tenter sa chance au leadership du PLC.

Quoiqu’il en soit, les perspectives ne sont pas trop réjouissantes pour le PLC. Il ne peut, comme les partis de centre-droit partout dans le monde, faire autrement que de s’adapter aux « nécessités » de la gestion néolibérale de la crise, ce qui signifie, en clair, démanteler l’héritage keynésien. Sur cela, il n’y a pratiquement pas de marge de manœuvre. Mais cette inflexibilité est même temps un terrible carcan. La droite « dure », qu’elle se présente sous un visage « moderne » (en Allemagne ou en Angleterre), ou encore dans une alliance avec l’extrême droite (USA, France, Italie) a davantage la cote auprès d’élites convaincues que l’heure de la « revenge » a sonné contre les classes populaires.

Celles-ci par ailleurs sont de moins en moins enclines à continuer d’appuyer ce « centre-droit » comme la solution la « moins pire », d’où les phénomènes de l’éparpillement du vote et de l’abstentionnisme. Cela ne donne pas nécessairement une majorité à la droite dure (on le constate un peu partout), mais lui permet de gouverner avec des tactiques de plus en plus glissantes (alliances implicites avec l’extrême droite, grossières manipulations des médias, dérives anti-démocratiques, etc.).

C’est cela qui se profile maintenant au Canada. On verra quel sera l’alignement des astres le 2 mai prochain.

 

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