Le colonialisme d’hier à aujourd’hui

Au tournant du dix-neuvième siècle, l’Afrique acquiert une nouvelle importance alors que s’accélère la course aux ressources entre les rivaux impérialistes. Réunis à Berlin en 1885, les Européens découpent le continent en zones d’influence pour mettre la main sur les riches ressources minières et agricoles. Les Africains sont soumis à une prédation de nature terroriste, comme au Congo, ce conduit à la mort des millions de personnes. Des génocides sont perpétrés un peu partout.

L’esclavage est délaissé pour être remplacé par un système de travail forcé.

Malheureusement, les mouvements socialistes de l’époque ne s’engagent pas sur le terrain de la lutte anticoloniale et anti-impérialiste. En réalité, il sévit dans ces mouvements une conscience tronquée, basée sur le fait que le capitalisme représente un « progrès inévitable », une sorte de « marche irrésistible de l’histoire ». Le collaborateur de Marx, Friedrich Engels, estime que « des peuples qui n’ont jamais eu leur propre histoire, qui passent sous la domination étrangère à partir du moment où ils accèdent au stade le plus primitif et le plus barbare de la civilisation, ou qui ne parviennent à ce premier stade que contraints et forcés par un joug étranger, n’ont aucune viabilité ».

L’écrasement de la révolte en Algérie, affirme-t-il, est une chose positive, puisque les Bédouins sont une « nation de voleurs ». Plus tard, sous l’égide de la Deuxième Internationale, les socialistes collaborent à « civiliser » les nations barbares. Avec la révolution des soviets en 1917 cependant, le monde bascule. La nouvelle Union soviétique renonce à tous les traités coloniaux établis par l’ancien régime. Des liens sont créés avec les mouvements de libération en Asie. À Bakou se tient en 1920 le « Premier Congrès des peuples de l’Orient » où sont présents 2500 délégués venus de Chine, de l’Inde, de Turquie, de Perse.

Le socialiste qui, directement ou indirectement, défend la situation privilégiée de certaines nations au détriment des autres, qui s’accommode de l’esclavage colonial, qui admet des droits entre les hommes de race et de couleur différentes; qui aide la bourgeoisie de la métropole à maintenir sa domination sur les colonies au lieu de favoriser l’insurrection armée de ces colonies – ce « socialiste », loin de pouvoir prétendre au mandat et à la confiance du prolétariat, mérite sinon des balles, au moins la marque de l’opprobre.

Le rebond de l’histoire

Après la Deuxième Guerre mondiale, la révolution chinoise, à la fois anti-impérialiste et antiféodale, inaugure un cycle des grands mouvements d’émancipation sociale et nationale. Réunis à Bandung (Indonésie) en 1955, des États indépendants et des mouvements de libération nationale s’érigent en troisième pôle dans une géopolitique mondiale dominée par l’affrontement entre les États-Unis et l’Union soviétique. Au tournant des années 1960, ces mouvements se radicalisent et définissent un agenda de transformation radicale. En Amérique du Sud, cette insurrection contre le contrôle impérialiste connait un rebond imprévu à Cuba (1959).

Dans son « Message à la Tricontinentale » (une organisation fondée à Cuba pour coordonner les luttes), Che Guevara déclare qu’il faut se battre : « Le rôle qui nous revient à nous, exploités et sous-développés du monde, c’est d’éliminer les bases de subsistance de l’impérialisme : nos pays opprimés, d’où ils tirent des capitaux, des matières premières, des techniciens et des ouvriers à bon marché et où ils exportent de nouveaux capitaux des armes et toutes sortes d’articles, nous soumettant à une dépendance absolue ». Dans les années 1970, le mouvement anti-impérialiste et anticolonialiste continue d’avancer à travers les victoires marquées en Angola, au Mozambique, au Nicaragua. Le dispositif impérialiste est menacé de dislocation devant la montée des résistances. Après une période d’instabilité, les États-Unis se remettent sur un mode offensif dans les années 1980.

Le colonialisme aujourd’hui

Dans le sillon de la guerre sans fin se déploie aujourd’hui une véritable entreprise de reconquête d’un vaste « arc des crises » qui traverse l’Asie jusqu’à l’Afrique en passant par le Moyen-Orient. Au début, les États-Unis pensaient occuper militairement cette zone et procéder à une « réingénierie » politique, sociale, économique. C’était sans compter sur les résistances qui ont empêché ce plan de se réaliser, notamment en Irak, en Afghanistan, en Syrie, en Palestine. Devant tant de points de blocage, les dominants ressortent un certain nombre de vieilles recettes. Le regain d’un néonationalisme de droite couplé à l’hostilité entretenue face aux Arabes et aux musulmans s’ajoute à une remontée du racisme anti-immigrant.

L’idéologie derrière cela est de présenter la « menace » d’un ennemi à la fois « intérieur » et « extérieur », antinomique avec les « valeurs » du capitalisme et de la démocratie libérale où les zones sans droit de Gaza, Bagdad, Kaboul se combinent aux quartiers immigrants ghettoïsés dans les grandes villes capitalistes. On en vient à une autre facette de la « guerre sans fin » dans le domaine de la culture et des médias. Les lubies du politicologue conservateur Samuel Huntingdon reviennent à la mode, dans le sens d’une « guerre de civilisations » où le camp « occidental » doit se défendre dans une confrontation sans fin et sans merci.

 

 

 

 

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