Le capitalisme vert?

Les mesures d’austérité servent le projet néolibéral, de même que ce qu’on appelle « l’économie verte », dans la mesure où cette dernière s’inscrit dans une dynamique favorable au marché et au secteur privé, vus comme les moteurs de la transition écologique. Telle que conceptualisée au sein des institutions internationales et gouvernementales, cette économie vise l’amélioration des conditions de vie et l’équité sociale, tout en cherchant à réduire les risques environnementaux et la pénurie des ressources. On ne peut certes pas être contre ses vertus, sa volonté de rupture avec les énergies fossiles en particulier – un objectif qui fait converger de nombreuses luttes cruciales en ce moment au Québec.

Mais le hic, c’est que l’économie verte préconise, pour y arriver, l’expansion d’un capitalisme financiarisé selon lequel, pour sauver la nature, il faut en faire un capital – une idée qui fait magnifiquement l’impasse sur le fait que ce sont précisément le capitalisme et le productivisme qui sont les racines de la crise climatique et écologique mondiale. Selon cette vision, le problème fait donc partie de la solution et le salut environnemental planétaire nécessite d’attribuer enfin une valeur monétaire aux services gratuits que les écosystèmes, les forêts, ou encore les insectes pollinisateurs, par exemple, offrent à l’humanité. Après avoir marchandisé la biodiversité comme « ressource », il s’agit désormais de la marchandiser aussi comme « service ».

Cette conception marchande et technocratique de la nature est bien présente dans le discours de plusieurs groupes environnementalistes et dans la Stratégie gouvernementale de développement durable révisée 2015-2020, qui faisait l’objet de consultations en février dernier. Déployant des trésors de novlangue managériale, le Plan d’action 2013-2020 sur les changements climatiques du gouvernement du Québec affirme aussi, par exemple, que : « Le bien-être de la population québécoise et la prospérité économique du Québec dépendent d’une foule de bénéfices offerts par les écosystèmes. Les milieux naturels nous procurent une vaste gamme de services, qui se déclinent en plusieurs types : les services d’approvisionnement (eau, produits pharmaceutiques, nourriture, matériaux, etc.), les services de régulation (contrôle du climat ou de l’érosion des berges, etc.), les services culturels (récréation, tourisme, bienfaits psychologiques associés aux espaces verts, etc.) et enfin les services de soutien (formation des sols, production d’oxygène, etc.). »

Ce capitalisme vert, qui carbure à l’innovation technologique, à la financiarisation et à la spéculation, suscite résistances et questionnements à travers le monde. Nous partageons l’inquiétude de ceux et celles qui y voient une importante dérive, pour les pays du Sud en particulier, et nous avons aussi la conviction que les crises – climatique, écologique, mais aussi sociale, économique et démocratique – exigent une tout autre approche. Ce dossier, après plusieurs autres dans la même lignée, ouvre différentes portes pour continuer d’y réfléchir. Il s’agit bien de comprendre, et de toute urgence, que la nature ne nous appartient pas : c’est nous qui appartenons à la Terre. La perte de cette compréhension est en train de perturber non seulement le climat, mais notre capacité même de penser en d’autres termes que ceux de la valeur économique, de penser notre rapport au monde dans la conscience du fait que la nature est bel et bien une richesse, mais une richesse irremplaçable et inestimable, à protéger du grand casino du monde.

Catherine Caron

Extraits d’un texte paru dans Relations no 777 , mars-avril 2015

 

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