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Le Canada et l’ONU : qu’est ce qui s’est passé ?

Le Canada comme on le sait a été rejeté par la majorité des États-membres de l’ONU lors du renouvellement du Conseil de sécurité. Les commentaires sont presque tous allés dans le même sens : «humiliation», «rebuffade des politiques d’Harper», «résultat de l’alignement inconditionnel du Canada sur les États-Unis et Israël», etc. Tout cela est vrai et donc nous n’avons pas besoin d’insister. Par contre, l’«humiliation» canadienne reflète peut être quelque chose de plus fondamental.

Sécuriser l’empire

Après la Deuxième Guerre mondiale lorsque l’ONU est fondée, le Canada commence à peine à se positionner dans le monde. Supplétif et bon second de la Grande-Bretagne pendant si longtemps, l’État canadien voit un espace se dégager. En effet, le déclin britannique s’accompagne alors d’une ascendance états-unienne. De cela ressort clairement l’«opportunité», pour les dominants canadiens, d’opérer dans le sillon des États-Unis. Et c’est essentiellement ce que fait le Canada dans les années d’après-guerre. Un des impératifs de l’époque est alors de «sécuriser» les anciennes colonies, notamment en Afrique et en Asie, pour éviter qu’elles ne «tombent» dans le «mauvais camp» (Union soviétique et Chine). L’intervention canadienne s’avère utile à cette grande stratégie dans le cadre du Commonwealth par exemple, que l’Angleterre veut transformer en une structure néocoloniale. Le «Plan Colombo», première grande initiative canadienne en Asie, permet d’ériger un dispositif économique et technologique qui ancre les nouveaux États de l’Inde, du Pakistan et du Sri Lanka dans un faisceau de relations avec l’impérialisme occidental. Plus tard dans les années 1950, le Canada rentre en guerre en Corée. L’intervention états-unienne, qui passe à un cheveu de déclencher une guerre nucléaire contre la Chine, est une opération majeure, destinée à «endiguer» l’avancement des mouvements anti-impérialistes en Asie. Des centaines de milliers de Coréens et de Chinois sont tués, de même que plusieurs milliers de soldats états-uniens et canadiens. La Corée est détruite. La «leçon», espèrent Washington, Londres et Ottawa, sera comprise par les peuples.

Dans le tourbillon de la guerre «froide»

Mais ce n’est pas cela qui arrive, au contraire. Après la Corée éclatent de plus grandes insurrections encore, principalement au Vietnam. Encore là, le Canada joue son rôle de supplétif. Des «négociations» supervisées par les États-Unis et la France visent à diviser le pays en deux, un «compromis» que les Vietnamiens n’acceptent pas évidemment. Le Canada (de même que l’Inde et la Pologne) sont chargés de superviser cet «accord» qui en réalité, sert de tremplin pour l’occupation états-unienne du sud du Vietnam. Le Canada non seulement couvre cette opération, mais contribue énormément à l’effort de guerre états-unien via la production et l’exportation d’armes qui connaît alors à Montréal notamment un boom extraordinaire. Pendant que les États-Unis cherchent à écraser la résistance vietnamienne, des efforts sont consacrés pour «prévenir» la révolution ailleurs, en Indonésie par exemple où un très violent coup d’état mène à l’exécution de centaines de milliers de personnes soupçonnées de sympathies «communistes». Des régimes dictatoriaux sont imposés dans plusieurs pays d’Amérique latine et des Caraïbes, de même qu’en Afrique néocoloniale où l’impérialisme se «débarrasse» de Patrice Lumumba et des nouveaux leaders de l’indépendance africaine. Dans ces situations, le Canada joue un rôle discret mais efficace, notamment en appuyant les États néocoloniaux sous le couvert de l’«aide au développement».

L’«honnête courtier»

Pendant que le monde chambranle sous l’impact des initiatives guerrières états-uniennes, une certaine division du travail s’opère entre les «alliés». Certes, il est trop évident que seuls les États-Unis ont la capacité de monter au front. Au mieux, le Canada peut seconder les opérations militaires, encore qu’à une échelle modeste. Par contre, le Canada s’avère très utile au plan politique et diplomatique. Les États-Unis savent souffler le chaud et le froid en utilisant la carotte et le bâton. À côté des manouvres militaristes, il est nécessaire de présenter le bloc occidental sous une figure plus positive. L’ONU par exemple, sous l’influence de Washington et de ses alliés européens, est présentée comme l’institution par excellence pour régler certains conflits. Des «forces d’interposition» (les fameux Casques bleus) sont déployées pour «ramener la paix, alors qu’en réalité, plus souvent qu’autrement, elles servent à sécuriser des États alliés et empêcher leur basculement. C’est ce qui se passe alors au Moyen-Orient. Il faut d’abord et avant tout sécuriser Israël, quitte à donner l’impression aux États de la région que l’Occident veut sincèrement la paix. Entretemps, le Canada et ses alliés s’efforcent de miner des régimes nationalistes (comme celui de Nasser en Égypte) et d’éradiquer des mouvements de libération (comme l’OLP). C’est exactement ce à quoi s’engage le Canada à l’époque. Parallèlement, le Canada sert aussi de courroie de transmission pour les États-Unis, notamment vers la Chine et vers Cuba. Washington ne peut dialoguer directement avec ses ennemis et c’est ainsi qu’Ottawa devient un habile porteur de lettres.

Turbulences

Dans les années 1970, le lent et irrésistible déclin états-unien s’amorce, d’où le cinglant échec au Vietnam. En Afrique, les mouvements de libération surgissent partout. Dans les Amériques, des fissures apparaissent partout parce que les peuples rejettent la domination impérialiste. Les révolutions s’accélèrent dans des lieux aussi divers que le Nicaragua, l’Éthiopie, l’Iran. À Washington souffle un certain vent de panique. Que faire ? Après quelques années de tergiversation une nouvelle articulation politique, militaire et économique est mise en place. Les États-Unis imposent le tournant économique majeur inspiré par les théories néolibérales. Le virage est brutal, surtout dans les pays subordonnés aux pays occidentaux qui doivent brutalement réduire leurs dépenses sociales. Le Canada devient alors un des champions de l’«ajustement structurel» que l’on impose aux pays africains, notamment. Ailleurs, le Canada sous le grand démocrate Pierre Trudeau œuvre à marginaliser les mouvements de libération en Afrique australe, y compris l’ANC de Nelson Mandela. Par la suite dans les années 1990, le Canada est de toutes les «aventures» militaires américaines. L’Union soviétique n’est plus une menace, alors il faut en «profiter». L’Irak est occupé une première fois. Par la suite la Yougoslavie est détruite par les forces de l’OTAN, qui est renforcée comme machine de guerre sous commandent états-unien. De violents conflits éclatent en Afrique centrale, les États-Unis et d’autres puissances se lançant dans une sordide guerre pour les ressources. Comme toujours, le Canada est un participant indirect, plus ou moins discret.

Résistances

Malgré leurs agressions à répétition, les États-Unis ne parviennent pas à ralentir leur déclin. Les pays européens fonctionnant dans le cadre de l’Union européenne sont réticents devant une stratégie va-t-en-guerre qui n’en finit plus de s’enliser. La Russie, la Chine et d’autres pays dits émergents s’autonomisent et refusent d’être les subalternes qu’ils ont toujours été. Dans les Amériques, la révolte est palpable, car les États-Unis et, devinez qui, cherchent à imposer un soit disant traité de libre-échange qui est une autre camisole de force sur l’hémisphère (le projet de la ZLÉA). Mais tout bascule devant l’opposition des peuples, y compris à Québec (avril 2001), et au fur et à mesure que des gouvernements de centre-gauche sont élus de Brasilia à Buenos Aires en passant par La Paz et Quito. Devant cette montée, le gouvernement canadien redouble d’efforts pour briser la résistance continentale en singularisant des ententes avec les États latino-américains subordonnés et militarisés comme le Mexique et la Colombie.

Le tournant états-unien

Le leadership états-unien est désemparé, laissant le champ libre aux secteurs les plus réactionnaires de l’establishment. Fortement liés aux grandes corporations actives dans le pétrole et les armements, l’administration Bush mise également sur une «bataille des idées» s’acharnant contre les acquis démocratiques et agissant sous le couvert de la religion. Ce néoconservatisme fléchit, puis rebondit après les évènements du 11 septembre 2001. Washington exerce alors d’énormes pressions sur ses alliés et subordonnés pour qu’ils endossent l’invasion de l’Irak, mais le poisson est trop gros. Partout dans le monde, des millions de manifestantEs s’opposent à cela, y compris dans les rues de Montréal et de plusieurs autres villes québécoises et canadiennes. Le gouvernement canadien sous la houlette de Jean Chrétien est assez intelligent pour ne pas s’embarquer dans la guerre, tout en promettant à Washington de «compenser» ce choix par de forts investissements militaires en Afghanistan. Parallèlement, la politique canadienne se referme au Moyen-Orient et ailleurs pour s’aligner encore plus sur les États-Unis.

Néoconservatisme made in Canada

Au Canada cependant, les élites ne sont pas satisfaites de cette tiédeur de Chrétien et appuient globalement le projet de Stephen Harper qui a l’avantage, selon elles, d’être totalement clair et sans ambigüité. Aussitôt élu et même minoritaire, le gouvernement Harper fait exactement ce que Bush attend de lui : investissements militaires énormes, postures agressives contre la Russie, la Chine, les gouvernements de centre-gauche, les Palestiniens, etc. Comme Bush, Harper cherche à démolir l’ONU et les grandes conventions internationales qui ont géré l’après-guerre, pour promouvoir une politique claire et nette d’agressions et de reconquêtes. Au moins Harper a l’intelligence de comprendre que dans ce monde polarisé, il n’y a plus vraiment de place pour l’«honnête courtier» qui délivrait les lettres de Washington à quelques états récalcitrants. Sur le fond, Michael Ignatieff est totalement d’accord avec cela, d’où son attirance pour les politiques de ses amis Bush et Tony Blair.

L’impasse

Le monde se retrouve donc devant une nouvelle architecture de polarisation. Les États-Unis, y compris sous l’administration Obama qui reproduit l’essentiel des options de Bush, estiment qu’ils peuvent et même qu’ils doivent se perpétuer comme la seule et unique superpuissance. Ils ont un avantage qui n’est pas mince, et qui est celui de la suprématie militaire. Toutefois, celle-ci est mise à mal par des insurrections qui réussissent à mettre de sérieux grains de sable dans l’engrenage. Mais Obama comme Harper pensent qu’il faut tout simplement être patients et continuer, méthodiquement, la «guerre sans fin » de George W. Devant eux cependant, la résistance n’est pas petite. La Chine, la majeure partie de l’Amérique latine et bien d’autres États disent non. Leur opposition à l’impérialisme états-unien n’est pas une question de «vertu», même pas parce qu’ils cherchent une voie anticapitaliste. Cette compétition sans relâche est une des «lois» d’un système (le capitalisme) qui constamment pousse les uns à s’affronter aux autres dans l’absurde «logique» de tout le monde contre tout le monde. Et il y aussi un autre petit «détail» : les peuples qui se soulèvent et s’opposent au capitalisme néolibéral et à l’impérialisme, un peut partout dans le monde.

Grand pays petit État

Tout cela constitue la trame de fond de l’«humiliation» subie à l’ONU. Le Canada qui n’a jamais été qu’un «honnête courtier» a perdu son utilité marginale. Sa classe dominante, liée à celle des États-Unis comme les lèvres et la langue, n’a pas de crédibilité sur le plan politique, étant grosso modo un relais de plus en plus obsolète. À Brasilia, à Beijing et dans de nombreuses capitales, le Canada est considéré seulement comme un territoire plein de ressources naturelles qu’il faut tenter d’accaparer. Alors que le vingt-et-unième siècle se construit sur de nouvelles polarisations, il n’y a de moins en moins de place pour le «soft power» que préconisaient les Libéraux pendant toutes les années où ils ont été au pouvoir. Il n’est pas évident non plus que nos (néo)conservateurs actuels peuvent inventer un nouveau chemin.

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