Nouveaux Cahiers du socialisme
Numéro 16
L’accès à la justice, quelle Justice ?
En mémoire du camarade François Cyr (1952-2012), avocat, chargé de cours universitaire, professeur de cégep, militant politique et syndical et membre du Collectif d’analyse politique, éditeur des Nouveaux Cahiers du socialisme. François avait pour projet de produire un dossier sur la justice au sein des NCS pour dénoncer la détérioration des droits des travailleurs et des travailleuses au cours des dernières décennies et le rôle complice – inhérent pour lui – du pouvoir judiciaire dans ce processus.
Afin d’amorcer la réflexion sur l’accès à la justice, le Comité sur l’accès à la justice de l’Association des juristes progressistes a dans un premier temps organisé un colloque d’une journée, le 7 novembre 2015 à l’UQAM, auquel ont participé 130 personnes de différents milieux sociaux. Les Nouveaux Cahiers du socialisme ont généreusement accepté de publier les actes du colloque, tout en nous offrant d’enrichir les thèmes abordés. Le Comité poursuivra cette réflexion lors du Forum social mondial du mois d’août prochain à Montréal où l’un des ateliers portera sur le thème de « La justice, l’État et la démocratie ».
Introduction au dossier
Marie-Pier Arnault, Matthieu Bardin, Kim Bouchard, Jessica Gaouette, Lise Ferland, Richard-Alexandre Laniel, Jean Guy Ouellet et Mathilde Valentini[1]
L’Association des juristes progressistes (AJP) est un regroupement d’avocates, d’avocats, d’étudiantes, d’étudiants, de travailleuses et de travailleurs voué à la défense des droits et déterminé à mettre « le juridique » au service de la lutte pour la justice sociale et la fin des inégalités, vaste programme, s’il en est un.
Pour une organisation comme la nôtre, la question de l’accès à la justice est donc fondamentale. En 2014, un comité de travail a été formé ayant pour mandat d’approfondir cette question et d’élaborer des positions répondant aux valeurs et aux luttes de l’AJP.
Il est apparu rapidement que la question de ce que pouvait signifier la justice devait d’abord être soulevée. La question était-elle en soi un leurre ? Confinait-elle cette réflexion à l’accès aux instances d’appel prévues au sein des institutions judiciaires, avec l’assistance d’une ou d’un juriste ou avocat (tribunaux administratifs ou judiciaires ou autres mécanismes de plaintes) ?
Le constat quasi unanime que la justice est inaccessible à la plupart des citoyennes et des citoyens au sein de notre société est dramatique et nous incite à nous demander si nous vivons réellement dans une société régie par l’État de droit. Après 40 ans de discours et de politiques néolibérales, de mesures répressives à l’endroit des mouvements sociaux qui s’opposent à de telles politiques, de régression des droits obtenus de longue lutte pour mieux se plier aux diktats de la mondialisation, il s’imposait que la démarche réflexive dépasse le simple constat unanime d’une justice inaccessible.
Le dossier qui suit a pour ambition de jeter les bases de plusieurs chantiers de réflexion et d’action, pouvant s’alimenter les uns les autres, au sein des mouvements sociaux partageant les objectifs de l’AJP. Pour cela, il importait de réfléchir à ce que pouvaient signifier des concepts comme la justice, l’État de droit, la primauté du droit, la démocratie, la construction de la normativité par l’État ou par d’autres acteurs, dans une société où s’accentuent et s’accélèrent les inégalités sociales et la précarité.
Il semblait aussi nécessaire de s’interroger sur les objectifs véritables des nouveaux moyens mis en place et présentés comme des solutions à cette absence d’accès des citoyens à des instances d’appel présumées neutres et devant dire le Droit. Nous avons, par conséquent, invité des auteur-es à partager leurs analyses de la situation actuelle dans laquelle de plus en plus de citoyennes et de citoyens essaient tant bien que mal de se démêler seuls devant les instances d’appel. D’autres réflexions portent sur l’accueil et le traitement différencié des citoyennes et des citoyens au regard de leurs moyens financiers et de leurs besoins.
Pour orienter notre action, il était également indispensable de s’enrichir des réflexions de celles et ceux qui ont été ou sont engagés dans des luttes remettant en question le système de justice ou ayant mené à la construction de nouvelles règles de droit. Une telle réflexion ne pouvait ignorer les oppositions stratégiques quant à la priorisation de l’action à mener.
Enfin, même dans le cadre d’une reconnaissance effective du droit de grève par la Cour suprême du Canada, il nous apparaissait pertinent de s’interroger sur la récente négociation collective des employé-es de l’État québécois et sur la stratégie des actrices et des acteurs syndicaux.
Quels rôles jouent l’État et le pouvoir judiciaire dans nos sociétés capitalistes mondialisées ? Comment les mouvements sociaux, dont l’AJP, doivent-ils interagir pour l’atteinte des objectifs de leurs organisations ou collectifs ?
Les contraintes d’espace pour un tel dossier, la disponibilité de certains acteurs ou actrices de la société ont imposé des limites au nombre de sujets traités. Ainsi, la séparation des pouvoirs, le mode de nomination des juges, l’environnement, le génocide culturel des nations autochtones ou la résistance à reconnaître leurs droits ancestraux, les droits des migrantes et des migrants, l’accès à la justice et la santé mentale ou la réforme des procédures d’appel au sein du régime d’assurance-emploi sont autant d’enjeux que nous aurions désiré traiter. Ce dossier constitue un bon début et nous espérons que les mouvements sociaux et les esprits progressistes qui partagent les mêmes objectifs que l’AJP pourront s’alimenter de ces réflexions pour participer à la construction d’une véritable justice sociale.
Enfin, le Comité de l’accès à la justice de l’AJP remercie les auteur-es d’avoir accepté de partager leurs réflexions et leurs visions sur « l’accès à la justice, quelle Justice ? ». Nous avons pris un véritable plaisir à vous lire, à travailler et à échanger avec vous au cours des derniers mois.
[1] Membres du Comité d’accès à la justice de l’Association des juristes progressistes.