Depuis quelques mois, la crise du PQ n’a pas quitté les colonnes de la presse et fait à répétition les nouvelles des médias radiotélévisés. La montée d’une nouvelle force de droite, la CAQ, qui a absorbé sans coup férir ce qui restait de l’ADQ, qui a accueilli des députés transfuges du PQ et qui caracole dans les sondages, pose la question de la survie en tant que parti important à l’Assemblée nationale du PQ, car il risque d’être laminé lors des prochaines élections. D’où les différentes manœuvres de députés et de membres tentant soit de démissionner la cheffe, Pauline Marois, soit de changer le régime interne du parti ou encore soit d’envisager une « alliance » électorale avec Québec solidaire. C’est à la demande du PQ qu’il y a eu des rencontres avec QS. Et c’est sans doute certains éléments du PQ qui sont à l’origine dans les médias de la nouvelle d’une alliance électorale possible entre les deux formations.
Il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs, dit un dicton populaire. D’une part, un congrès de QS a rejeté avec force et conviction tout pacte avec le PQ. À son 6e congrès, en mars 2011, il a adopté une résolution voulant que « QS ne négocie aucun pacte tactique ou alliance stratégique pour la prochaine campagne électorale et présente 125 candidatures dans les limites du possible ». Ce rejet de tout pacte ou alliance est facilement compréhensible. Les militantEs de cette formation politique n’ont pas mis autant d’énergie à construire une alternative aux partis capitalistes néolibéraux pour finir par voter pour l’un d’eux ! Et puis, QS représente justement une rupture avec le PQ, une volonté d’indépendance politique pour construire un projet alternatif aux partis capitalistes qui dominent l’Assemblée nationale. D’autre part, ce possible laminage du PQ aux prochaines élections ouvre une porte à l’élection de plusieurs députéEs QS tout simplement grâce à la dispersion des votes entre les trois formations politiques bourgeoises (ce que comprend la direction du PQ, laquelle cherche à remédier à cela en essayant de capter à son profit le 10-12 % des voix que les sondages attribuent à QS).
Dans un texte signé par cinq membres des Nouveaux Cahiers du socialisme (NCS) et publié par Presse-toi à gauche et sur le site des NCS, c’est l’argument favorable à l’alliance qui est promu afin que les « progressistes et souverainistes » ne se nuisent pas mutuellement. On tente de convaincre QS que c’est la voie du succès dans la prochaine période.
On pourrait être d’accord avec les auteurs de l’article si 1° le PQ était une force progressiste et 2° s’il était souverainiste. Même Bernard Landry conteste ce dernier point en critiquant la gouvernance dite souverainiste, mais à vraie dire provincialiste, proposée par la direction actuelle du PQ dans le cadre d’un prochain gouvernement de ce parti. Et pour ce qui est du progressisme du PQ, à moins que cela ne se réduise à pas grand-chose, on aimerait en savoir plus. Cela aussi doit faire partie du débat non seulement aux NCS, mais dans l’ensemble des mouvements sociaux et au sein de la gauche. On ne peut pas limiter la réflexion à la seule question de l’entente électorale. Cette discussion sur la nature du PQ et de son projet est même un préalable à celle sur l’alliance. Et tactiquement, la question se pose également de comment QS peut profiter de la crise du PQ. Sans doute pas en l’appuyant dans plusieurs circonscriptions lors des prochaines élections, nous semble-t-il. Bien au contraire.
Le préalable
Les NCS sont nés, entre autres, pour réhabiliter l’analyse radicale et socialiste et la faire progresser. Nombre de concepts ont disparu de l’horizon au cours des décennies 1980-1990 : classes sociales, lutte de classes, exploitation de la force de travail, etc. L’un deux également, pourtant essentiel, réfère à la nature des partis politiques. Alors que l’habitude a été prise de classer les partis politiques soit en fonction de leur doctrine (néolibéral, fédéraliste, souverainiste, réformiste, conservateur, de gauche, de droite, etc.), soit en fonction de leur forme (parti de cadres ou parti de masse), les notions de parti ouvrier (ou parti des salariéEs) et de parti bourgeois vise à déterminer à quelles classes fondamentales de la société sont reliés les partis.
Les hésitations sur ce dernier point, concernant le PQ, sont nombreuses. Le vocable « progressiste » – ou même, à une certaine époque, « social-démocrate » – remplit une fonction permettant d’appuyer ce parti et son pendant fédéral. On est certes progressiste par rapport à des partis se réclamant du conservatisme le plus dur. En même temps, on est pourtant réactionnaire par rapport aux besoins et intérêts des classes populaires et salariéEs, des femmes et des jeunes. Le PQ est né de la fusion du MSA (scission du Parti libéral, principal parti bourgeois du Québec) et du Ralliement national (une formation d’origine créditiste et populiste très à droite, dirigé par Gilles Grégoire). Très rapidement il s’est transformé de parti de masse en parti de cadres, cela intervenant au moment où l’appareil de l’Union nationale (l’autre parti bourgeois d’importance de l’époque) a été intégré au PQ, avant la première victoire électorale de 1976. Depuis, ce parti a pratiqué allègrement des politiques nationalistes d’appui à Québec Inc. et de confrontation avec les couches sociales exclues du sommet de la société, pour lequel ce parti gouverne. La nature d’un parti dérive 1° des liens organiques entretenues avec une classe sociale spécifique ; 2° de la composition sociale de sa direction ; 3° des fondements de son programme ; 4° de sa pratique politique (laquelle met souvent en veilleuse les aspects réformateurs du programme) ; 5° de la composition sociale de sa députation (mais surtout de celles et de ceux qui importent dans cette députation : les ministrables) », spécialement lorsque cette dernière s’autonomise complètement du parti (voir l’épisode du renérendum) qui peut gesticuler tant qu’il veut, adopter des résolutions qui ont du mordant, etc., mais qui n’a aucune influence sur le gouvernement du même parti. Bref, l’on doit considérer les intérêts fondamentaux défendus ainsi que les liens organiques entretenus… Le PQ est donc un parti bourgeois. Toutes ses fibres, son histoire, ses liens organiques, ses politiques, la composition sociale de sa direction et de sa députation le démontrent, cela étant encore plus évident depuis sa transformation en parti de cadres.
Comme on peut le constater, la nature de son électorat n’est pas un critère retenu. Tout simplement à cause de l’inexistence d’une alternative politique pour les salariéEs. Comme aux États-Unis, au Québec exceptionnellement cette classe n’a pas eu de vie politique indépendante, elle n’est pas une classe pour soi, est atomisée politiquement et son vote est dispersé au profit des partis bourgeois. Si les salariéEs francophones ont voté davantage pour le PQ, les salariéEs anglophones et « allophones » ont voté pour d’autres partis bourgeois. Le « national » prenant le dessus sur le social. Or, l’apparition de QS change la donne : il y une possibilité historique de fusionner le national et le social au profit des classes populaires et travailleuses, des femmes et des jeunes. Il y a donc la possibilité pour les salariéEs de devenir une classe pour soi. Pour cela, il faut à tout prix maintenir l’indépendance de QS à l’égard des partis bourgeois. C’est la condition sine qua non d’une croissance et d’une victoire de QS et, par conséquent, des classes populaires et travailleuses.
Ouvrir le débat ?
Personne n’est contre l’ouverture d’un débat sur les alliances possibles. Mais un tel débat ne peut pas seulement être d’ordre tactique (ententes ponctuelles dans une élection), car dans de telles conditions les dés sont pipés : on ne discute qu’étroitement des avantages et des inconvénients d’un désistement mutuel dans telle ou telle circonscription, sans se poser des questions de fond vitales pour toute perspective de transformation de la société. Par là même, on réduit le champ des possibles. Le débat doit englober les questions de stratégie, qui ne sont pas qu’électorales, ainsi que des questions de fond (ou de principes) sur lesquelles l’histoire du mouvement ouvrier offre plusieurs leçons que l’on doit assimiler. Il y en a eu des alliances électorales dans l’histoire : le Front populaire en France, le Frente popular en Espagne, l’Union de la gauche en France (Parti socialiste, Parti communiste et Radicaux de gauche), les gouvernements d’union nationale pendant et après les guerres mondiales, etc. À chaque occasion, les classes populaires et travailleuses ont soit subi une défaite très grave, soit des reculs importants. Par ailleurs, ce furent toutes des occasions manquées de leur point de vue, c’est-à-dire du point de vue de leurs intérêts immédiats et fondamentaux. Certes, la proposition des cinq des NCS n’est pas une alliance de type gouvernemental, mais uniquement celle d’un désistement mutuel dans certaines circonscriptions électorales. C’est moins engageant, n’est-ce pas ? Cependant, les ententes électorales ne peuvent être conçues comme un simple échange de bons procédés. On ne présente pas de candidatE dans cette circonscription, vous nous rendez la pareille dans telle autre. Le seul fait de conclure des ententes avec un parti politique livre un message qui n’est certes pas neutre. Faire une entente électorale avec le PQ, c’est exprimer que ce parti est différent des autres partis à l’Assemblée nationale. Il faut le ranger dans le camp des progressistes et faire l’impasse sur son caractère bourgeois. C’est oublier les politiques capitalistes néolibérales de ce parti une fois au pouvoir.
Enfin, quel serait le message à la population advenant une telle entente électorale ? Il serait que ce qui nous rapproche du PQ est plus important que de ce qui nous sépare de ce parti. Pourquoi alors QS resterait-elle une formation politique indépendante ? Ne serait-il pas plus avantageux pour les forces « souverainistes et progressistes » d’être rassemblées dans le même parti politique ? Cet aspect aussi doit faire partie du débat. Par ailleurs, un tel désistement suppose que les membres de QS vote pour le PQ dans les circonscriptions, sans doute trop nombreuses, où il ne présentera pas de candidatEs. À quoi bon alors construire une alternative si ce n’est qu’en définitive revenir à ce qui a bloqué depuis des décennies l’indépendance politique des classes populaires et travailleuses ?
Enfin, est-ce la tâche de QS d’aider le PQ à surmonter sa crise ? N’est-ce pas plutôt un moment favorable pour QS d’opérer une percée ? Son opposition au PQ est fondée sur toute l’expérience collective des mouvements sociaux des dernières décennies. Si on pouvait avoir l’illusion que le PQ était un parti proche de la population et de ses préoccupations, il y a fort longtemps maintenant que l’on connaît sa vraie couleur et sa véritable nature…