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La valeur, ni en surplomb, ni hors-sol

Séminaire d’économie politique de l’AFEP, Paris, 24 octobre 2011

1Il n’est pas souvent donné à lire un livre passionnant de bout en bout, un livre important pour éclairer la question la plus fondamentale de la théorie économique, depuis la vielle économie politique jusqu’à ladite « science économique » contemporaine : qu’est-ce que la valeur ? Question qui renvoie à une autre : qu’est-ce qui fonde l’ordre marchand ?

2André Orléan (AO dans la suite de ce texte) propose avec ce nouveau livre une synthèse de travaux menés depuis plusieurs décennies, soit seul, soit avec d’autres (notamment Michel Aglietta ou Frédéric Lordon), une synthèse qui est sans doute en même temps un point d’étape, tellement le programme de recherche est ambitieux : refonder l’économie en tant que champ disciplinaire. Car il y a fort à faire au moment où tous les dogmes enseignés et assénés connaissent un échec cuisant, à la hauteur de la gravité de la crise systémique du capitalisme mondial, dont on peut dire qu’elle doit largement à l’application systématique des dits dogmes, notamment celui qui décrit le modèle concurrentiel comme spontanément efficient et stabilisateur.

3Quelle est la racine de cet échec théorique et politique ? Une erreur à la base même de la compréhension de l’économie, explique AO : toutes les théories de la valeur sont erronées, aussi bien celle qui pense la valeur en termes de travail que celle qui la pense en termes d’utilité. Celles-ci, en apparence opposées, partagent, selon AO, une même conception substantialiste qui ferait dépendre la valeur des qualités propres aux objets échangés, le travail d’un côté ou l’utilité de l’autre. La thèse d’AO est que « la valeur marchande n’est pas une substance […] qui préexiste aux échanges. Il faut plutôt la considérer comme une créationsui generis des rapports marchands, par laquelle la sphère économique accède à une existence séparée, indépendante des autres activités sociales. » (p. 12). Comment repenser alors la valeur ? En considérant que « l’élection » d’une monnaie est l’acte fondateur de l’ordre social marchand. « La monnaie est l’institution première des économies marchandes. La monnaie fonde l’économie marchande. » (p. 148). Inutile donc de chercher un fondement ou un indicateur de mesure dans le travail comme Marx, ou dans l’utilité et la rareté comme Walras, car « il n’y a d’expression de la valeur que monétaire » (p. 29).

4L’alternative théorique à la valeur « substance » doit donc être construite à partir de l’hypothèse mimétique qui postule que les individus élisent un bien comme monnaie parce qu’ils savent que tous, ou une majorité d’entre eux, feront le même choix. Il en résulte que la monnaie est la valeur par excellence puisqu’elle est par définition parfaitement liquide, dès lors qu’elle est acceptée. La confiance accordée à la monnaie élue est donc la conséquence d’un processus de relations sociales qui interdit de voir les individus agir et s’exprimer au nom d’une rationalité personnelle construite hors de l’environnement social. Cette hypothèse est, selon AO, particulièrement vérifiée en ce qui concerne la valeur des actifs financiers, totalement détachée de toute valeur objective dite fondamentale, et qui, en revanche, est le résultat des comportements mimétiques, dans lesquels le phénomène des prophéties auto-réalisatrices joue à plein.

  • 1  D’une certaine manière, la discussion que je propose fait suite à quelques travaux précédents, not(…)

5La thèse d’AO entend reconstruire toute la théorie économique. C’est ce qui fait son intérêt. C’est ce qui explique aussi l’étendue des interrogations qu’elle soulève. Les questions ou remarques que je propose ci-dessous sont faites pour ouvrir un débat, sans le clore. Je les articulerai autour de trois points : 1) la nouvelle épistémologie à laquelle entend contribuer AO ; 2) une discussion sur la substance naturelle versus la nature sociale de la valeur ; 3) une discussion sur la valeur financière. En cela, je ne respecterai pas le plan du livre d’AO (puisque j’intervertis grosso modo les deux premiers points), non pas que ce plan ne soit pas pertinent pour la conduite du raisonnement de l’auteur, au contraire, celui-ci permet une montée en puissance de sa démonstration, mais parce que je préfère discuter d’abord de la finalité ultime de ce livre qui me paraît être d’ordre épistémologique.1

1. Construire une nouvelle épistémologie de l’économie et des sciences sociales

6Le chapitre V est certainement le cœur du programme de recherche d’AO. Son titre est explicite : « un cadre unidisciplinaire pour penser la valeur » (p. 188). Il faut comprendre : pour penser les valeurs, car toutes, d’ordre religieux, esthétique, moral, social ou économique, ont « la dimension d’un jugement portant sur la puissance des individus ou des objets […] Or, souligne Durkheim, la valeur renvoie à une capacité à produire du désir chez les sujets. Comment, dans ces conditions, concilier le désir, d’un côté, et l’objectivité, de l’autre ? » (p. 188).

  • 2  Godelier M., 1984,L’idéel et le matériel, Paris, Fayard, p. 171 : « La distinction entre infrastr(…)

7Selon AO, ce qui a produit la séparation de l’économie et des autres sciences sociales est le fait que la première a fourni une réponse différente des autres à la question qui leur était pourtant commune, telle qu’on la trouve exprimée par Durkheim. Pour n’avoir fait « aucune place aux représentations et aux croyances collectives », écrit AO, « les économistes » ont rompu avec le raisonnement sociologique (p. 189). Mais peut-on expliquer la séparation de l’économie en tant que réalité des autres sphères de la société par l’influence de l’économie en tant que discipline séparée des autres sciences sociales ? Autrement dit, la représentation de l’économie réelle est-elle la principale ou la seule cause de la transformation de cette dernière ? Le questionnement principal au sujet du livre d’AO se situe ici : placer la totalité de l’analyse dans les représentations collectives n’est-il pas le défaut en miroir de celui qui consiste à les exclure complètement ? Comment cette vision de la séparation s’harmoniserait-elle avec celle de Polanyi, dont la « grande transformation » ne relève pas seulement des représentations ? Comment se situerait le rapport entre le réel et ses représentations chez AO en regard de celui de Godelier pour qui les représentations font partiedu réel ?2 Nous retrouverons ce problème dans l’analyse de la valeur proprement dite, ainsi que dans celle de la finance.

  • 3  Lors de sa présentation orale du 24 octobre, AO a même émis l’idée que cette « élection » de la mo(…)

8De plus, toutes les sciences sociales et, derrière celles-ci, tous les actes humains, relèvent-elles (ils) de la même épistémologie ? AO nous dit que « tout l’effort théorique poursuivi au long du présent livre vise à réaffirmer la loi commune de la valeur pour en finir avec le séparatisme qui caractérise l’économie en tant que discipline » (p. 189). Cette idée qu’AO conçoit pour rompre avec la théorie néoclassique ne peut-elle être facilement absorbée par cette dernière ? En effet, que nous disent les néoclassiques les plus orthodoxes, à l’image d’un Gary Becker, sinon que toute décision humaine relève d’une même problématique économique. Certes, la « loi commune » de Becker n’est pas celle d’AO. Chez l’un, il y a la rationalité individuelle et le calcul coûts-avantages, chez l’autre « une puissance de nature sociale » (p. 189). Mais c’est l’idée d’une loi commune à toutes les « valeurs » qui demande à être interrogée. Au moins pour deux raisons. La première est que le processus mimétique sur la base de ce que AO, à la suite de René Girard, appelle la médiation interne, où tous les individus sont dans la même double situation d’imité-imitateur, semble fonctionner dans un espace où cette somme d’individus en interaction forme le tout. Ainsi, dans cet ouvrage, AO insiste beaucoup sur ce processus qui conduit à l’élection de la monnaie, comme on le verra plus loin, mais assez peu sur la validation politique que cette élection implique3.

  • 4  Stiglitz J., Sen A., Fitoussi J. P., 2009,Performances économiques et progrès social, Richesse de(…)

9La seconde raison de nous interroger sur la pertinence d’une loi commune des valeurs est qu’il existe aujourd’hui tout un pan de la recherche académique orthodoxe qui prétend fournir des indicateurs de richesse et de valeur fondés sur l’idée qu’il est possible d’agréger ensemble des éléments de bien-être aussi disparates que la consommation marchande, le temps libre, la santé, la qualité de l’air, etc.4 Tout étant réductible à du capital, on a droit à une superbe addition dénuée de sens du capital physique, du capital humain, du capital social et du capital naturel, dès lors que l’évaluation monétaire aura fourni un dénominateur commun.

  • 5  Ce passage est curieux car une chose est de refuser l’idée que la valeur soit déterminée par l’uti(…)

10Tel n’est pas le propos d’AO, mais l’idée de loi commune des valeurs consiste à rechercher la commensurabilité des différents espaces de la vie sociale. Bien qu’assise sur d’autres critères, la démarche ne présente-t-elle pas un certain parallélisme méthodologique avec celle des néoclassiques ? Et, surtout, elle rompt avec l’héritage aristéto-classico-marxien de la séparation, pour ce qui concerne le domaine économique, de la valeur d’usage et de la valeur marchande, c’est-à-dire de la richesse et de la valeur, distinction cruciale à un double point de vue : pour pouvoir penser l’existence d’une sphère monétaire non marchande et celle d’une richesse non monétaire comme celle fournie par la nature. Cette rupture intervient très tôt dans le livre quand AO écrit : « L’utilité ne préexiste nullement aux échanges mais, tout au contraire, elle en est le résultat. Elle est une création des relations marchandes. » (p. 14).5 Et on ne retrouve jamais dans le livre l’idée d’une possible disjonction entre richesse et valeur. Il convient donc d’examiner le point de départ d’AO : toutes les théories de la valeur relèveraient d’une même problématique substantialiste.

2. La valeur : substance naturelle vsnature sociale

11Je ne contesterai pas qu’il y a chez Marx (et a fortiori chez les classiques anglais) et chez Walras l’idée d’une substance expliquant la valeur des marchandises. Mais cette substance est-elle intrinsèque aux objets matériels, en est-elle une propriété physique, quasiment naturelle ? À n’en pas douter, chez Walras, il y a la rencontre entre l’utilité intrinsèque et objective d’un objet – sa substance – et le désir d’un individu. Retrouve-t-on une démarche conceptuelle parallèle chez Marx, une substance intrinsèque aux objets, reportée ici sur le travail ? Oui, répond AO, et c’est ce qui le fonde à récuser la théorie de la valeur de ce dernier, au même titre que celle des néoclassiques.

12Pourtant, AO oscille entre l’acceptation de l’hypothèse marxienne et son rejet. Il écrit : « En tant qu’elles valent, les marchandises accèdent à une forme d’objectivité particulière, l’objectivité de la valeur, fondamentalement distincte de leur objectivité en tant que valeur d’usage, mais qui s’imposent aux acteurs marchands d’une manière tout aussi impérative. Pour cette raison, il faut définir le rapport marchand comme une relation à autrui médiée par l’objectivité de la valeur. » (p. 21). On dirait du Marx. Mais aussitôt, il se rétracte en affirmant : « Toutes deux [les théories de la valeur-travail et de la valeur-utilité] y voient l’effet d’une “substance” ou qualité que les biens possèderaient en propre. Cette hypothèse que nous nommerons “substantielle” tend à “naturaliser” les rapports économiques. En accordant la primauté aux objets, elle construit une “économie des grandeurs” au détriment d’une “économie des relations”. » (p. 22).

13Or, il n’est pas douteux que, pour Marx, l’analyse de la valeur s’inscrit dans le cadre de l’analyse de la marchandise, à l’intérieur d’un modèle abstrait, celui du mode marchand, qui servira ensuite de cadre général pour analyser le cas particulier mais devenu dominant du capital (« valeur en auto-accroissement »), qui ne peut lui-même être compris que comme un rapport social. Il paraît pour le moins exagéré de dire, pour ce qui concerne l’auteur du Capital, que « elle [l’hypothèse substantielle] avance une conception du monde marchand centrée sur les objets. Elle ne met qu’au second plan les rapports des acteurs entre eux dans la mesure où l’intelligibilité des faits économiques primordiaux, comme les prix et les volumes échangés, repose intégralement sur le calcul des valeurs. » (p. 41). Marx a toujours dit que le travail qui produisait une marchandise qui ne se vendait pas ne créait aucune valeur :

  • 6  Marx K., Le Capital, Livre I, 1965, Paris, Gallimard, La Pléiade, tome 1, p. 568.
  • 7  Marx K., Le Capital,op. cit., p. 607.

Enfin, aucun objet ne peut être une valeur s’il n’est une chose utile. S’il est inutile, le travail qu’il renferme est dépensé inutilement, et conséquemment ne crée pas de valeur6. […] C’est seulement dans leur échange que les produits du travail acquièrent comme valeurs une existence sociale identique et uniforme, distincte de leur existence matérielle et multiforme comme objets d’utilité. Cette scission du produit du travail en objet utile et en objet de valeur s’élargit dans la pratique dès que l’échange a acquis assez d’étendue et d’importance pour que des objets utiles soient produits en vue de l’échange, de sorte que le caractère de valeur de ces objets est déjà pris en considération dans leur production même.7

  • 8  Voir notamment Castoriadis C., 1978, « Valeur, Egalité, justice, politique, De Marx à Aristote et(…)
  • 9  Roubine I.I., 2009,Essai sur la théorie de la valeur de Marx, 1924, Paris, Syllepse. Dans la dern(…)

14Cela invalide donc l’idée qu’il y aurait chez lui une substance intrinsèque à l’objet, indépendamment de son destin sur le marché. Cette réfutation de Marx est d’autant plus surprenante qu’AO reconnaît que « Marx souligne que la valeur est un fait social, produit spécifiquement par la séparation marchande, et en rien une grandeur “naturelle”. » (p. 42). AO est donc conduit à accuser Marx, à la suite de Cornelius Castoriadis8, d’avoir une conception de la valeur incompatible avec sa thèse du fétichisme. Et AO dit trouver chez Isaac Roubine9 un refus d’une conception naturaliste du travail abstrait et, au contraire, une confirmation de sa propre thèse. Mais le passage que cite AO (p. 48-49) doit être resitué dans un cadre plus large du texte de Roubine, qui se prête à une interprétation différente que celle que donne AO. Roubine écrit en effet quelques pages plus loin en paraphrasant Marx :

  • 10  Roubine I.I., op. cit., p. 191-193.

Le concept de travail abstrait présuppose que le procès au cours duquel le travail devient impersonnel et égalisé soit un procès unique au cours duquel le travail se trouve en même temps “socialisé”, c’est-à-dire inclus dans la masse de travail social. Cette égalisation du travail peut se produire dans le procès de production direct avant l’échange, mais seulement mentalement et par anticipation. Dans la réalité, elle s’accomplit par l’intermédiaire de l’acte d’échange, par l’intermédiaire de l’égalisation (même si celle-ci se fait mentalement et par anticipation) du produit du travail considéré avec une somme d’argent donnée. Mais si cette égalisation précède l’échange, elle doit cependant se réaliser effectivement dans le processus d’échange réel. […] Le concept de travail abstrait suppose une forme sociale déterminée d’organisation du travail dans une économie marchande : les producteurs marchands individuels ne sont pas directement liés entre eux dans le procès de production lui-même, dans la mesure où ce procès représente la totalité de leurs activités de travail concrètes ; ce lien s’établit à travers le procès d’échange, c’est-à-dire à travers l’abstraction de ces propriétés concrètes. Le travail abstrait n’est pas une catégorie physiologique, mais une catégorie sociale et historique. Le travail abstrait ne diffère pas du travail concret seulement négativement (abstraction des formes concrètes du travail), mais positivement (égalisation de toutes les formes de travail dans le cadre d’un échange multilatéral des produits du travail).10

  • 11  Orléan A., 2006, « Monnaie, séparation marchande et rapport salarial », in Lordon F. (éd.), 2008, (…)
  • 12  Voir à ce sujet Roubine I.I., op. cit.
  • 13  Je laisse de côté ici toute la discussion sur le passage des valeurs aux prix de production parce(…)

15Dans un texte antérieur, AO réfutait ainsi la théorie de la valeur de Marx : « À la question “pourquoi les biens s’échangent-ils ?”, cette théorie répond : “parce qu’ils contiennent de la valeur”, tandis qu’à la question : “selon quel rapport les biens s’échangent-ils ?”, elle répond : “selon le rapport de leurs valeurs”. »11Mais Marx répond quelque chose d’un peu différent : les biens s’échangent parce qu’ils contiennent (potentiellement selon Roubine) de la valeur, certes, mais ils s’échangent selon leur valeur d’échange12. Le distinguo entre valeur et valeur d’échange, pas toujours présent d’ailleurs de manière claire dans l’œuvre de Marx, est subtil, mais il est susceptible d’éclairer la différence entre l’aspect qualitatif de la valeur (la forme sociale que revêt le produit du travail sanctionné par le marché) et son aspect quantitatif (sa grandeur sanctionnée à un certain niveau par le marché). Plus généralement, Marx considère que la valeur d’échange, le prix de production et le prix de marché sont des formes différentes d’un même phénomène, la valeur, qu’il rattache au travail social.13 Autrement dit, le fait que l’objectivation (concept qu’accepte AO) de la valeur abstraite ne puisse se réaliser sans une monnaie pré-existante n’implique pas logiquement une rupture entre la valeur et sa source, le travail. À mon sens donc, il n’y a pas besoin de supposer une caractéristique naturelle du travail et des objets pour retenir l’idée de substance sociale. S’il y avait un doute en lisant Marx quant à savoir si le produit du travail arrive sur le marché déjà muni de sa substance sociale ou s’il ne l’acquiert que sur le marché, en aucun cas ce ne pourrait être considéré comme une substance naturelle, car les conditions de production (qui exercent leur influence avant la réalisation monétaire du produit sur le marché) sont toujours socialement construites et historiquement situées.

  • 14  Marx K. Le Capital,op. cit., p. 607. Au cours de la discussion du livre d’AO le 24 octobre, Frédé(…)

16Dans ce même texte antérieur, AO poursuivait : « En conséquence, la monnaie ne s’y introduit qu’après coup, c’est-à-dire après que toutes les questions essentielles ont trouvé leur réponse. On ne saurait mieux dire son inutilité conceptuelle. Ni l’échangeabilité en elle-même, ni la détermination des rapports quantitatifs à travers lesquels celle-ci se manifeste ne dépend d’elle. » Et pourtant, le bon vieux Marx répète inlassablement : « L’égalité de travaux qui diffèrent entièrement les uns des autres ne peut consister que dans uneabstraction de leur inégalité réelle, que dans la réduction à leur caractère commun de dépense de force humaine, de travail humain en général, et c’est l’échange seul qui opère cette réduction en mettant en présence les uns des autres sur un pied d’égalité les produits des travaux les plus divers. »14

17Dans ces conditions, la thèse d’AO, mettant sur le même plan Marx et les néoclassiques est difficilement tenable : « L’hypothèse probabiliste conserve l’idée cruciale d’objectivité de la valeur et permet de maintenir les croyances collectives hors du champ de l’économie. Ce faisant, elle s’affirme comme le prolongement naturel, dans le domaine financier, des théories de la valeur substance dont elle reproduit le geste fondateur : établir l’existence de grandeurs en surplomb des échanges, échappant aux opinions et aux rapports de force. » (p. 239). Manifestement, ce jugement ne peut s’appliquer à Marx car, pour celui-ci, la fameuse substance de la valeur est le produit des conditions socio-techniques de production et intègre donc les rapports de force sociaux et les représentations de ces rapports. On pourrait presque se demander s’il s’applique complètement aux économistes néoclassiques, dans la mesure où ils croient leurs fonctions d’utilité capables de prendre en compte à la fois les dimensions matérielles et symboliques de l’usage des biens. Et, aujourd’hui, beaucoup d’auteurs venant d’horizons divers intègrent, à l’instar d’AO, dans leur schéma la vision d’un Veblen pour qui l’utilité des marchandises ne tient pas seulement à leur capacité matérielle de satisfaire un besoin mais comporte une dimension symbolique essentielle et sans doute même primordiale.

  • 15  Smith A., 1991,Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, 1776, Paris, GF(…)

18On sait que l’une des apories de la théorie néoclassique de la valeur-utilité est de conduire à un raisonnement circulaire : les prix doivent être connus avant l’échange tout en résultant de celui-ci. La thèse d’AO ne risque-t-elle pas de déboucher sur un autre raisonnement circulaire ? Il écrit en effet : « Ce qui rend les marchandises commensurables et permet l’échange, c’est seulement le désir unanime des acteurs marchands pour la monnaie. La valeur d’un bien se mesure à la quantité de monnaie que ce bien permet d’obtenir, à savoir son prix. » (p. 169). C’est quasiment, au mot près, ce que nous dit Adam Smith au sujet du travail commandé : « Ainsi, la valeur d’une denrée quelconque pour celui qui la possède et qui n’entend pas en user ou la conserver lui-même, mais qui a intention de l’échanger pour autre chose, est égale à la quantité de travailque cette denrée le met en état d’acheter ou de commander. »15

19AO échappe-t-il à cette forme de raisonnement circulaire ou à cette tautologie ? Il explique que « l’erreur des théoriciens de la valeur a été de confondre deux questions indépendantes » (p. 170) : « Notre cadre théorique distingue deux questions : (1) s’interroger sur les conditions qui font qu’un objet capte le désir unanime du groupe pour la liquidité ; (2) une fois la monnaie produite, s’interroger sur les rapports de force qui se nouent dans l’échange entre les acheteurs et les vendeurs. Ces deux questions sont nettement distinctes : elles appellent des outils conceptuels de nature différente. La première, la plus fondamentale, porte sur la monnaie en tant qu’elle s’impose objectivement aux producteurs-échangistes par le biais des quantités de monnaie acquises dans l’échange. Puis, une fois la question monétaire résolue, il reste à comprendre, pour chaque marchandise, comment se détermine son prix, ce qui suppose un cadre d’analyse différent qui examine la position relative des acheteurs et des vendeurs ainsi que le degré de concurrence existant entre eux. Autrement dit, la première question établit l’existence de la forme prix alors que la seconde cherche à expliciter le niveau des prix. » (p. 169-170).

20À mon sens, le problème logique vient du fait qu’on ne peut poser la monnaie comme valeur par excellence parce qu’elle est absolument liquide et convoitée comme telle, puis, au sein même de la première question à résoudre donnée par AO, déduire la valeur des marchandises des quantités de monnaie obtenues dans l’échange de ces marchandises. En d’autres termes, AO réintroduit la seconde question dans la première, qu’il venait de séparer. Et on comprend bien la difficulté : il s’agirait de dire simultanément ce qui rend les marchandises échangeables et à quel taux. D’où la nécessité de distinguer le fait monétaire, notamment le choix (l’élection) de tel bien comme monnaie, qui résulte de l’unanimité dont AO parle et de la validation politique, et la hauteur à laquelle les porteurs de marchandises sur le marché vont tenter de s’approprier la monnaie-richesse. Et AO ne fait pas mieux que Marx qui, dans le premier chapitre du Capital, nous promène longuement dans les méandres des diverses formes de la valeur. Mais il ne faut pas prendre ces diverses formes comme un déroulé historique qu’elles auraient traversées, ce sont simplement les étapes d’un raisonnement abstrait pour saisir l’essence du mode marchand et celui du mode capitaliste et, plus tard, dans la suite du Capital, pour comprendre la différence entre M-A-M’ et A-M-A’. Ainsi, la forme de la valeur dite simple par Marx (20 mètres de toile = un habit) n’est pas une illustration du troc, comme l’affirme AO. Elle est une étape de l’abstraction qui est de même nature que celle qu’adopte AO lorsqu’il veut expliquer la nécessité logique de la monnaie : « Ce que nous nous efforçons de comprendre est comment, au sein même des économies marchandes, les désirs de liquidité évoluent jusqu’à converger sur un objet unique, la monnaie. Pour ce faire, nous nous livrerons à l’expérience suivante : considérer une économie marchande développée et lui enlever sa monnaie. Nous chercherons alors à démontrer qu’au sein d’une telle économie, privée de monnaie, s’engendreront spontanément certaines forces sociales conduisant à la résurgence de cette dernière. Toute notre analyse vise à caractériser ces forces ainsi que les processus par lesquels elles produisent l’ordre monétaire. Cette démarche peut sembler paradoxale par le fait qu’on commence par y postuler l’existence de rapports marchands sans monnaie, alors même que tout notre effort théorique vise à établir qu’une telle configuration sociale ne peut pas exister. » (p. 156).

  • 16  Orléan A., « Monnaie, séparation marchande et rapport salarial », op. cit., p. 15.

21On ne peut, à mon sens, se contenter de la formule : « Derrière les prix, il n’y a pas de “valeur” cachée, mais simplement le désir unanime de monnaie. »16 Un prix n’est pas abstrait, il est une quantité concrète de l’objet du désir. Pour le dire plus prosaïquement, ce serait un tour de passe-passe que de dire 1) la valeur se mesure par le prix, et 2) ces deux questions sont indépendantes.

22De même, la formule « l’échange marchand apparaît comme le lieu véritable de constitution de la valeur » (p. 115) mériterait-elle d’être amendée : l’échange marchand est le lieu de constitution de la représentation de la valeur, ce qui est différent, sauf à considérer que les rapports sociaux ne sont que des représentations, c’est-à-dire fétichisés.

3. La valeur financière ou le fétichisme au carré

23Il est donc temps de revenir sur la question de la monnaie pour connaître ses rapports avec celle de la valeur. Depuis une trentaine d’années, Michel Aglietta et André Orléan, ensemble ou séparément, ont développé une conception originale et féconde de la monnaie. La monnaie est une institution sociale précédant les échanges, et non pas comme le croient les libéraux une conséquence de leur multiplication, le troc devenant trop mal commode. En effet, acceptée par tous, la monnaie est à la fois expression du désir de richesse et lien social. J’adhère pleinement à l’idée de départ des deux économistes : « L’analyse que ce livre cherche à développer part de l’hypothèse qu’il n’est d’économie marchande que monétaire. Nous voulons dire par là que tout rapport marchand, même dans sa forme la plus élémentaire, suppose l’existence préalable de monnaie. Ou bien encore, d’une manière plus concise et plus directe, le rapport marchand est toujours un rapport monétaire. »17 Mais il faut déterminer si cela implique obligatoirement le rejet de toute théorie de la valeur.

  • 17  Aglietta M., Orléan A., 2002, La monnaie entre violence et confiance, Paris, O. Jacob, p. 35. Je n(…)
  • 18  Orléan A., 2006, « Monnaie, séparation marchande et rapport salarial », op. cit., p. 10-11. Sur la(…)

24AO allait plus loin en disant : « On nommera “richesse”, ces biens hypothétiques qui font l’objet d’un désir généralisé de la part des acteurs. […] Cette analyse se prête volontiers à l’interprétation spinoziste avancée par Frédéric Lordon. Car si le conatus est “l’intérêt à effectuer ses puissances et à les augmenter” comme l’écrit cet auteur, alors, dans l’ordre marchand, il a précisément pour finalité l’appropriation de la richesse. Dans la richesse, c’est l’accès à la généralité qui est recherché par les producteurs-échangistes aux fins d’accroître leur puissance d’être. Il s’ensuit que la lutte des conatus marchands est d’abord une lutte pour la richesse. »18 La généralité du désir de richesse, née « des contraintes sociales marchandes » s’exprime donc par l’« élection » de la monnaie au rang de richesse universellement reconnue. Dès lors, la conclusion d’AO est qu’il ne peut y avoir pour cette richesse qu’une définition « autoréférentielle ».

25Mais, si la monnaie, richesse par excellence, est définie de manière purement autoréférentielle, comment se fait-il qu’elle ne puisse être créée à l’infini et qu’une création excessive dégénère souvent en crise ? Cette question invite à réfléchir d’une part au fait que la monnaie n’est « richesse par excellence » qu’en face de toutes les autres richesses et d’autre part à l’impossibilité pour la monnaie de n’être le résultat que d’un processus d’auto-régulation.

  • 19  Si AO a sans doute raison de penser que sa position s’écarte de celle de Marx, il n’est pas certai(…)

26Le choix d’un bien comme monnaie résulte-t-il seulement d’une imitation des individus entre eux ? La monnaie est élue équivalent universel parce qu’elle est garantie par la puissance publique, et elle n’est richesse par excellence, elle n’a de valeur que si, parallèlement, un travail productif est effectué. Autrement dit, comme la monnaie est un droit à valoir sur la production, il faut considérer que notre économie n’est pas une économie monétaire mais une économie monétaire de production, ainsi que l’ont exprimé avec des mots différents Marx et Keynes. En abandonnant toute théorie de la valeur fondée sur le travail, on ne peut voir dans les excès de la finance qu’un phénomène uniquement autoréférentiel qui s’entretiendrait de lui-même sans aucun lien avec ce qui se déroule dans la production. Cette croyance empêche de voir la crise globale actuelle comme une crise de l’ordre social imposé par le capital dont la suraccumulation est une tendance revenant régulièrement. Cette croyance conduisait naguère Aglietta, au sujet des retraites, à croire que la finance était capable de transférer dans le temps des richesses réelles. La finance est seulement capable de transférer dans le temps la propriété des richesses. Encore faut-il que celles-ci soient produites.19

  • 20  Orléan A., 2009, De l’euphorie à la panique : penser la crise financière, CEPREMAP, Paris, édition(…)

27D’ailleurs, AO écrit dans un texte récent : « La thèse que nous défendrons est que cette crise a pour origine la primauté accordée à la finance de marché. Plus précisément, la cause des désordres se trouve dans l’instabilité propre aux marchés financiers, à savoir leur incapacité à faire en sorte que les évolutions de prix soient maintenues dans des limites raisonnables, à la hausse comme à la baisse. »20 Que sont ces limites raisonnables, sinon quelques références fondamentales données, par exemple, par le système productif ?

  • 21  Orléan A., 2004, « Efficience, finance comportementale et convention : synthèse théorique », in Co(…)
  • 22  Orléan A., 2004, p. 267.

28Dans un autre article théorique publié dans un rapport du Conseil d’analyse économique, AO distingue trois modèles de détermination des valeurs financières : le modèle de l’efficience informationnelle, le modèle de la rationalité stratégique, qui tous les deux « adhèrent à l’idée d’une valeur fondamentale objectivement définissable ex ante »21, et le modèle de la convention financière définie de manière autoréférentielle. Il propose alors une interprétation des crises : « En résumé, l’analyse autoréférentielle voit dans le marché boursier une source autonome de crises et de difficultés dans la mesure où rien dans son fonctionnement n’assure que les évaluations produites soient conformes aux nécessités de l’économie productive, a fortiori, du bonheur collectif. Cette déconnexion, inscrite dans le fonctionnement même de la liquidité, est une source de difficultés. »22

29Là se fixe une question redoutable : puisque c’est de l’opinion majoritaire que sort toujours la convention financière, comment se fait-il que, une fois installée sur une trajectoire (haussière par exemple), la croyance majoritaire se retourne ? Pourquoi la hausse n’est-elle pas infinie ? La non-réponse à cette question empêche de comprendre véritablement la crise. Considérer une déconnexion radicale et définitive avec l’activité productive et les rapports sociaux qui s’y nouent revient à nier toute force de rappel au réel lorsque le gonflement de la bulle devient outrancier.

  • 23  Orléan A., 1999, Le pouvoir de la finance, Paris, O. Jacob. Voir un commentaire dans Harribey J.-M(…)

30Nous sommes donc revenus au point de départ : est-il aussi illégitime que le pense AO de concevoir une théorie de la valeur en tant qu’expression des rapports sociaux ? En commentant le livre d’AO Le pouvoir de la finance23 je demandais déjà si l’on pouvait glisser du constat que le marché crée la liquidité à l’idée que le marché crée la valeur financière. Ma réponse est négative tandis qu’AO oscille entre deux thèses qui me paraissent incompatibles : d’une part, celle d’un détachement vis-à-vis de toute référence à l’économie, d’autre part, celle où l’efficacité et la rentabilité du système productif restent centrales de manière sous-jacente à moyen et long terme.

  • 24  Orléan A., 1999, p. 148.
  • 25  Orléan A., 1999, p. 152-153 ; voir aussi p. 169.
  • 26  Orléan A., 1999, p. 171.

31« Cependant, de quelques manières qu’on raisonne, il est clair que la question des profits reste centrale. »24 « C’est dans cette période (1989 à 1994) que se constitue ce que j’appellerai la convention “marché émergent” dont le Mexique est l’illustration la plus parfaite. Elle désigne ces pays en voie de développement qui ont choisi de suivre une politique résolument libérale marquée par une forte expansion financière. […] Cette convention se fonde sur une analyse de long terme du capitalisme mondial. Elle fait le diagnostic que les économies émergentes ont un fort potentiel de croissance, plus élevé que celui des économies matures, que leurs besoins en investissements sont considérables et que le rendement du capital y est beaucoup plus élevé que dans les pays développés. Tous les éléments de ce diagnostic convergent pour voir dans les économies émergentes un nouvel eldorado ayant une marge de progression considérable alors que les économies développées vieillissent. On fait également valoir que l’augmentation de la part des pays émergents dans les portefeuilles financiers permet de diminuer le risque global encouru par l’investisseur. »25« Le cas coréen est ici exemplaire. La forte progression de l’investissement interne entre 1994 et 1996 cache une suraccumulation des facteurs de production et un affaiblissement certain de la compétitivité des chaebols. »26

  • 27  Orléan A., 1999, p. 183.

32Malgré tout, cette reconnaissance explicite de la liaison entre production et finance est perturbée par d’autres affirmations contredisant les précédentes : « On retrouve ici le caractère clos du monde de la finance qui détermine ce que sont les fondamentaux à partir des interprétations qu’il produit. Les valeurs fondamentales n’existent pas en elles-mêmes. Il n’y a que des interprétations. »27

  • 28  Orléan A., 1999, p. 45 et 247. L’auteur emploie toujours la forme pronominale et jamais la forme p(…)
  • 29  Orléan A., 1999, p. 245-246.
  • 30  Orléan A., 1999, p. 249.

33Le point ultime du raisonnement est que, non seulement les fondamentaux ne déterminent plus les valeurs financières, mais la relation est inversée : ce sont les croyances qui vont façonner les fondamentaux, et la détermination des croyances elles-mêmes est renvoyée dans un monde éthéré. Ce monde est un monde enchanté parce que le capital y a la capacité de « se »28 valoriser tout seul : « […] si l’on doit reconnaître que le capital est la source créatrice de toute valeur, aucun capital en particulier ne possède en lui-même la capacité de l’affirmer. Son aptitude à créer de l’utilité sociale, autrement dit sa valeur sociale, seul le marché en juge. »29 Dès lors, la finance « travaille à la reconnaissance du capital comme source ultime de la valeur et du marché comme son évaluation pertinente »30.

  • 31  Baudru D., Morin F., 1999, « Gestion institutionnelle et crise financière, Une gestion spéculative(…)
  • 32  Baudru D. et Morin F., 1999, p. 159.
  • 33  Orléan A., 1999, p. 130, souligné par moi.
  • 34  Orléan A., 1999, p. 98, souligné par moi.
  • 35  Orléan A., 1999, p. 98.
  • 36  Aglietta M., 2009, « Marx a une analyse de l’argent extraordinaire »,Le Point, Hors-série « Grand(…)

34Le fait que le taux de rendement du capital, ou rentabilité financière, soit devenu une exigence a priori a pour conséquence de faire s’aligner la rentabilité économique sur la première, comme une sorte d’« obligation de résultat »31qui s’exprime vis-à-vis de l’entreprise qui n’a plus d’autre choix que de se retourner contre ses salariés. Le risque est donc assumé finalement par ces derniers. La « déconnexion entre les niveaux de risque et rendement »32 pour les détenteurs de capitaux est indéniable, mais elle ne doit pas à mon sens être assimilée à une déconnexion entre l’obtention de valeur pour eux et l’activité productive. Si AO a raison de dire qu’une crise financière est « un processus de destruction de la liquidité financière »33, il a tort d’affirmer qu’il s’agit d’une disparition de « richesse financière »34. Ce qui « s’évanouit »35, lorsqu’éclate la bulle, ce n’est pas de la richesse, ni même de la valeur, c’est le grossissement précédent du capital fictif, et non pas la richesse « massivement créée par le marché » (p. 302). Et on peut avancer l’hypothèse que, au-delà des apparences ou des phénomènes purement mimétiques, la crise de l’accumulation financière ne soit que l’expression exacerbée de la difficulté à produire et à réaliser de la valeur. Dit encore autrement, il n’y a pas, sur le plan macroéconomique et à long terme, de plus-value financière sans plus-value réelle. Au vu de la crise actuelle, il me semble qu’Aglietta a signifié un jugement plus nuancé que ceux qu’il professait au plus fort de l’euphorie financière : « Marx a une analyse de l’argent extraordinaire. »36

  • 37  Pour un commentaire, voir Harribey J.-M., « Marx et Spinoza, le mariage de l’année ? », op. cit.(…)
  • 38  À partir des travaux de Sraffa P., 1970,Production de marchandises par des marchandises, Prélude(…)

35Sans théorie de la valeur, y a-t-il encore une théorie de l’exploitation possible ? Frédéric Lordon est allé au bout de cette logique : à la plus-value il a substitué l’« exploitation passionnelle », c’est-à-dire la captation par les dominants du désir des dominés, et on voit mal ce qui va distinguer cette vision de celle qui est au fondement de la valeur-utilité.37 Sur un autre plan, les auteurs issus du courant néoricardien avaient auparavant montré qu’on pouvait établir la réalité de l’exploitation sans passer par les contenus en travail des marchandises.38Mais cela n’enlève rien au fait que, au niveau de l’ensemble de la société, on puisse considérer le surplus social comme l’équivalent monétaire du surtravail.

36L’épistémologie naturaliste que récuse à juste titre AO s’applique à la théorie de l’efficience des marchés. En revanche, l’articulation entre l’état des rapports de forces entre les classes sociales et la fixation des cours boursiers n’a rien de naturaliste. Elle est au contraire sociale et historique.

37La thèse que je soutiens peut se résumer ainsi : le marché ne crée pas la valeur ; en particulier, le marché financier ne crée pas de la valeur financière ; il crée la liquidité de la valeur ou la liquidité du capital financier et il forme une représentation de la valeur de ce capital comme s’il était possible que tous ses propriétaires le liquident instantanément et simultanément dans sa totalité ; comme la liquidité obtenue à un moment donné par tel ou tel capitaliste peut n’avoir rien à voir avec son capital productif immobilisé ni avec les bénéfices qu’il en retire, ni même avec les bénéfices probables à venir, elle doit être interprétée comme la liquidité de la captation de la valeur déjà créée ou de la captation de la valeur anticipée. Autrement dit, elle transpose dans le champ financier le rapport des forces entre capitalistes et salariés et celui entre capitalistes eux-mêmes.Quand l’action d’une firme multinationale monte de 10 % dans les minutes qui suivent l’annonce de milliers de suppressions d’emplois, les opérateurs financiers anticipent une amélioration du rapport de force en faveur des actionnaires face aux salariés et donc une captation (au sens de l’exploitation) supérieure de valeur. Cette transposition du rapport de force dans la sphère financière ne doit pas être comprise comme une croyance majoritaire reposant sur le néant ou sur le virtuel des croyances mais comme une croyance – une quasi-certitude ! – en la pérennité, voire en l’amélioration, du rapport de force favorable établi. La question du rapport de force entre les classes composant la société ramène à une théorie de la valeur comme théorie des rapports sociaux et non pas à une théorie de la valeur-substance des objets.

38On se souvient que Polanyi montrait que le désencastrement de l’économie par rapport à la société poussé jusqu’au point extrême de faire une société de marché était une utopie impossible. Je me demande si la déconnexion de la finance par rapport aux rapports de production à laquelle conduit l’hypothèse totale de l’évaluation mimétique ne serait pas une utopie également impossible car tout aussi mortifère que celle qu’analysait Polanyi.

  • 39  Lordon F.,Capitalisme, désir et servitude, Marx et Spinozaop. cit., p. 149. Je lui ai proposé l(…)

39Dans une autre discussion avec Frédéric Lordon, mais qui rejoint celle-ci, je notais que la dilution des classes dans le concept flou des « mécontents » qui se fondait sur la substitution de « l’exploitation passionnelle » au prélèvement de la plus-value était une impasse théorique et politique. J’avançais l’idée que l’introduction de l’hypothèse spinoziste selon laquelle « ce n’est pas tant la valeur, préexistante et objectivement établie, qui attire à elle le désir que le désir qui, investissant les objets, les constitue en valeur »39 ne pouvait que rejoindre l’aphorisme de Condillac selon lequel « une chose n’a pas de valeur parce qu’elle coûte. Elle coûte parce qu’elle a une valeur » et qui servira de fondement à la théorie néoclassique de la valeur-utilité. Ainsi, on aboutit au paradoxe suivant : un refus de toute valeur-substance – sur la base que toutes les substances s’équivaudraient – qui débouche sur le retour subreptice de la valeur-substance-utilité.

40Il n’y a pas cela dans le livre d’AO. Mais le bouclage du mimétisme sur lui-même, et cela dans un jeu de miroirs jusqu’à l’infini, ne peut que conduire à la négation des rapports de production. D’où une interrogation sur la légitimité du choix de sauter de l’analyse du seul rapport marchand, en affirmant laisser de côté le rapport capitaliste, à l’analyse du capitalisme financier utilisant l’appareil conceptuel forgé pour le rapport marchand. Ce saut s’apparente à un saut intellectuellement périlleux, pour reprendre une métaphore marxienne, car la séparation conceptuelle du rapport marchand et du rapport salarial est justifiée pour poser les termes abstraits de la relation entre producteurs indépendants, mais cette séparation n’est plus tenable pour analyser la finance capitaliste et a fortiori sa crise.

41Pour conclure trois propositions :

421) La monnaie est une institution sociale qui précède les échanges. Il n’y a de valeur économique que monétaire. La valeur n’est pas une propriété naturelle intrinsèque aux objets qui serait en surplomb de l’échange.

  • 40  Ce dilemme est posé dans ces termes par AO, p. 51.

432) La valeur est un rapport social. C’est ainsi qu’il faut comprendre la « substance » de Marx. Cela signifie que la valeur est un rapport social complet qui présente deux faces qu’il faut concevoir comme pensées simultanément et non pas comme deux temps séparés, celui de la production et celui de l’échange. Le producteur-échangiste pense et organise sa production en vue de l’échange. Son travail engendre une possibilité de participer à la vie sociale marchande, dénommée valeur, mais dont le quantum exact ne sera pas préalablement décrété mais sera dit dans l’échange. La double face production/validation lève le faux dilemme entre valeur créée et valeur révélée40. La difficulté théorique réside dans l’articulation entre production et circulation, entre travail et échange, entre rapports de production et représentations, et entre rapports sociaux et idéologie.

443) Le processus mimétique de valorisation financière ne se déroule pas dans un espace infini mais à l’intérieur de bornes. Il y a une incomplétude du processus mimétique qui est de même nature que l’incomplétude du marché. La crise financière marque l’impossibilité de poursuivre une accumulation par le seul jeu des prophéties auto-réalisatrices, hors-sol. Elle est donc le signe de l’éclatement au grand jour de la difficulté à faire produire de la valeur par la force de travail et à la… réaliser sur le marché, c’est-à-dire à l’y convertir en espèces sonnantes et trébuchantes, dont la quantité n’est pas micro-économiquement fixée a priori. C’est la raison pour laquelle, au niveau macro-économique, la valeur réalisée peut être intégralement imputée à la force de travail, tout le reste n’étant que fiction éphémère et dangereuse.

45Au total, le livre d’André Orléan constitue un magnifique plaidoyer afin de débarrasser l’économie d’une conception de la valeur en surplomb. Je souhaitais montrer qu’elle ne peut pas être non plus hors-sol.

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Notes

1  D’une certaine manière, la discussion que je propose fait suite à quelques travaux précédents, notamment : Harribey J.-M., 2008, « Valeur-travail, transformations du capitalisme et primat de l’économie : controverses, malentendus et contresens », in Ivan Sainsaulieu (dir.), Par-delà l’économisme, La querelle du primat en sciences sociales, Paris, L’Harmattan, Logiques sociales, p. 101-116, http://harribey.u-bordeaux4.fr/travaux/valeur/economisme.pdf ; Harribey J.-M., 2008, « Travail, valeur et monnaie : dépoussiérage des catégories marxiennes appliquées à la sphère non marchande », L’homme et la société, « L’économie hétérodoxe en crise et en critique », n° 170-171, septembre-décembre, Paris, L’Harmattan, 2009, p. 127-150, http://harribey.u-bordeaux4.fr/travaux/valeur/depoussierage-marx.pdf ; Harribey J.-M., 2009, « La lutte des classes hors-sol ? À propos du prétendu économisme de Marx »,Contretemps, Nouvelle série, n° 1, 1er trimestre, p. 123-133, http://harribey.u-bordeaux4.fr/travaux/valeur/castoriadis-debat.pdf ; Harribey J.-M., 2009, « Ambivalence et dialectique du travail, Remarques sur le livre de Moishe Postone,Temps, travail et domination sociale », Contretemps, nouvelle série, n° 4, 4e trimestre, p. 137-149, http://harribey.u-bordeaux4.fr/travaux/valeur/travail-postone.pdf ; Harribey J.-M., 2011, « Marx et Spinoza, le mariage de l’année ? Note de lecture du livre de Frédéric Lordon, Capitalisme, désir et servitude, Marx et Spinoza », 2010, Paris, La Fabrique, Revue de la régulation, 1er semestre,http://regulation.revues.org/index9110.html.

2  Godelier M., 1984, L’idéel et le matériel, Paris, Fayard, p. 171 : « La distinction entre infrastructures et superstructures n’est ni une distinction de niveaux ou d’instances, ni une distinction entre des institutions, bien qu’elle puisse se présenter ainsi dans certains cas. Elle est, dans son principe, une distinction de fonctions. La notion de causalité en dernière instance, de primat des infrastructures, renvoie à l’existence d’une hiérarchie de fonctions et non à une hiérarchie d’institutions. Une société n’a pas de haut ni de bas et n’est pas un système de niveaux superposés. C’est un système de rapports entre les hommes, rapports hiérarchisés selon la nature de leurs fonctions, fonctions qui déterminent le poids respectif de chacune de leurs activités sur la reproduction de la société. »

3  Lors de sa présentation orale du 24 octobre, AO a même émis l’idée que cette « élection » de la monnaie pourrait se passer d’État. Cela me paraît peu crédible ; d’ailleurs, l’une des failles de l’euro étant sans doute l’inexistence d’une validation politique autre qu’un accord intergouvernemental sans aucune espèce de légitimation démocratique.

4  Stiglitz J., Sen A., Fitoussi J. P., 2009, Performances économiques et progrès social, Richesse des nations et bien-être des individus, volume I, Performances économiques et progrès social, vers de nouveaux systèmes de mesure, volume II, Paris, O. Jacob ; pour une critique, voir Harribey J.-M., 2010, « Richesse : de la mesure à la démesure, examen critique du rapport Stiglitz », Revue du Mauss, n° 35, 1er semestre, p. 63-82, http://harribey.u-bordeaux4.fr/travaux/valeur/stiglitz.pdf.

5  Ce passage est curieux car une chose est de refuser l’idée que la valeur soit déterminée par l’utilité des marchandises, une autre est de nier qu’elles aient une utilité qui ne résulte pas de l’échange. Le fait que l’utilité soit une construction sociale peut être admis en dehors du seul échange marchand. Ainsi, l’utilité de l’école publique est construite dans le temps et dans l’espace, sans être marchande.

6  Marx K., Le Capital, Livre I, 1965, Paris, Gallimard, La Pléiade, tome 1, p. 568.

7  Marx K., Le Capitalop. cit., p. 607.

8  Voir notamment Castoriadis C., 1978, « Valeur, Egalité, justice, politique, De Marx à Aristote et d’Aristote à nous », dans Les carrefours du labyrinthe, Paris, Seuil. Pour un commentaire, Harribey J.-M., 2009, « La lutte des classes hors sol ? À propos du prétendu économisme de Marx », op. cit. J’ai montré dans cet article le côté très étonnant du propos suivant de Castoriadis dans L’institution imaginaire de la société, Paris, Seuil, 1975, p. 23 : « Si on effectue ce retour, on est amené à constater que la théorie économique de Marx n’est tenable ni dans ses prémisses, ni dans sa méthode, ni dans sa structure. Brièvement parlant, la théorie comme telle “ignore” l’action des classes sociales. Elle “ignore” l’effet des luttes ouvrières sur la répartition du produit social – et par là nécessairement, sur la réalité des aspects du fonctionnement de l’économie, notamment sur l’élargissement constant du marché des biens de consommation. Elle “ignore” l’effet de l’organisation graduelle de la classe capitaliste, en vue précisément de dominer les tendances “spontanées” de l’économie. Cela dérive de sa prémisse fondamentale : que dans l’économie capitaliste les hommes, prolétaires ou capitalistes sont transformés en choses, réifiés ; qu’ils y sont soumis à l’action de lois économiques qui ne diffèrent en rien des lois naturelles sauf en ce qu’elles utilisent les actions “conscientes” des hommes comme l’instrument inconscient de leur réalisation. »

9  Roubine I.I., 2009, Essai sur la théorie de la valeur de Marx, 1924, Paris, Syllepse. Dans la dernière phrase de cette citation, Roubine reprend mot pour mot ce que dit Marx dans Le Capitalop. cit., p. 599.

10  Roubine I.I., op. cit., p. 191-193.

11  Orléan A., 2006, « Monnaie, séparation marchande et rapport salarial », inLordon F. (éd.), 2008, Conflits et pouvoirs dans les institutions du capitalisme, Paris, Presses de la Fondation des sciences politiques, p. 55-87,http://www.pse.ens.fr/orlean/depot/publi/Monnaie0612.pdf, ici p. 6.

12  Voir à ce sujet Roubine I.I., op. cit.

13  Je laisse de côté ici toute la discussion sur le passage des valeurs aux prix de production parce qu’elle n’interfère pas avec la problématique abordée par AO qui dit clairement se situer dans le cadre du rapport marchand et non pas dans celui du rapport capitaliste où joue la péréquation du taux de profit.

14  Marx K. Le Capitalop. cit., p. 607. Au cours de la discussion du livre d’AO le 24 octobre, Frédéric Lordon m’a objecté que dire avec Marx que « la valeur est une substance sociale et historique » constitue un oxymore et contient la conclusion dans l’hypothèse. Je lui ai répondu que son assertion postule que la substance sociale ne peut être que naturelle et intrinsèque aux objets et qu’elle encourt donc le même reproche que celui qu’il adresse à Marx.

15  Smith A., 1991, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, 1776, Paris, GF-Flammarion, tome 1, p. 99.

16  Orléan A., « Monnaie, séparation marchande et rapport salarial », op. cit., p. 15.

17  Aglietta M., Orléan A., 2002, La monnaie entre violence et confiance, Paris, O. Jacob, p. 35. Je ne développe pas ici le point suivant : tout rapport marchand est monétaire, mais la réciproque n’est pas vraie, car ce qui est monétaire n’est pas forcément marchand. Donc il existe un espace pour le développement d’un espace non marchand dans la société. Je renvoie à Harribey J.-M., 2004, « Le travail productif dans les services non marchands, un enjeu théorique et politique »,Économie appliquée, tome LVII, n° 4, décembre, p. 59-96, http://harribey.u-bordeaux4.fr/travaux/valeur/productif-non-marchand.pdf ; Harribey J.-M., 2009, “Expectation, Financing and Payment of Nonmarket Production: Towards a New Political Economy”, International Journal of Political Economy, vol. 38, n° 1, Spring, p. 58-80, http://harribey.u-bordeaux4.fr/travaux/valeur/ijpe-nonmarket.pdf ; Harribey J.-M, 2008, « Les vertus oubliées de l’activité non marchande », Le Monde diplomatique, novembre, http://harribey.u-bordeaux4.fr/travaux/valeur/non-marchand-diplo.pdf.

18  Orléan A., 2006, « Monnaie, séparation marchande et rapport salarial », op. cit., p. 10-11. Sur la critique de la thèse de Frédéric Lordon, voir Harribey J.-M., « Marx et Spinoza, le mariage de l’année ? », op. cit.

19  Si AO a sans doute raison de penser que sa position s’écarte de celle de Marx, il n’est pas certain qu’elle ne s’écarte pas en même temps de celle de Keynes – dont pourtant les conventionnalistes se réclament –, qui, bien que très réservé à l’égard de Marx et des classiques, n’oubliait pas le travail derrière les conventions et le mimétisme. Keynes écrivait dans Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, Paris, Payot, 1969, p. 223 : « Au lieu de dire du capital qu’il est productif il vaut beaucoup mieux dire qu’il fournit au cours de son existence un rendement supérieur à son coût originel. Car la seule raison pour laquelle on peut attendre d’un bien capital qu’il procure au cours de son existence des services dont la valeur globale soit supérieure à son prix d’offre initial, c’est qu’il est rare ; et il reste rare parce que le taux d’intérêt rattaché à la monnaie permet à celle-ci de lui faire concurrence. À mesure que le capital devient moins rare, l’excès de son rendement sur son prix d’offre diminue, sans qu’il devienne pour cela moins productif – au moins au sens physique du mot. Nos préférences vont par conséquent à la doctrine pré-classique que c’est le travail qui produit toute chose, avec l’aide de l’art comme on disait autrefois ou de la technique comme on dit maintenant, avec l’aide des ressources naturelles, qui sont libres ou grevées d’une rente selon qu’elles sont abondantes ou rares, avec l’aide enfin des résultats passés incorporés dans les biens capitaux, qui eux aussi rapportent un prix variable selon leur rareté ou leur abondance. Il est préférable de considérer le travail, y compris bien entendu les services personnels de l’entrepreneur et de ses assistants, comme le seul facteur de production ; la technique, les ressources naturelles, l’équipement et la demande effective constituant le cadre déterminé où ce facteur opère. Ceci explique en partie pourquoi nous avons pu adopter l’unité de travail comme la seule unité physique qui fût nécessaire dans notre système économique en dehors des unités de monnaie et de temps. »

20  Orléan A., 2009, De l’euphorie à la panique : penser la crise financière, CEPREMAP, Paris, éditions Rue d’Ulm, Presses de l’ENS, p. 14,http://www.cepremap.ens.fr/depot/opus/OPUS16.pdf.

21  Orléan A., 2004, « Efficience, finance comportementale et convention : synthèse théorique », in Conseil d’analyse économique, Les crises financières, 2004, Paris, La Documentation française, rapport n° 50, p. 241-270, ici p. 268.

22  Orléan A., 2004, p. 267.

23  Orléan A., 1999, Le pouvoir de la finance, Paris, O. Jacob. Voir un commentaire dans Harribey J.-M., 2001, « La financiarisation du capitalisme ou la valeur captée », in Delaunay J.-C., (sous la dir. de), Le capitalisme contemporain, Questions de fond, Paris, L’Harmattan, p. 67-111, http://harribey.u-bordeaux4.fr/travaux/monnaie/valeur-captee.pdf.

24  Orléan A., 1999, p. 148.

25  Orléan A., 1999, p. 152-153 ; voir aussi p. 169.

26  Orléan A., 1999, p. 171.

27  Orléan A., 1999, p. 183.

28  Orléan A., 1999, p. 45 et 247. L’auteur emploie toujours la forme pronominale et jamais la forme passive « est valorisé par ».

29  Orléan A., 1999, p. 245-246.

30  Orléan A., 1999, p. 249.

31  Baudru D., Morin F., 1999, « Gestion institutionnelle et crise financière, Une gestion spéculative du risque », dans Conseil d’analyse économique, Architecture financière internationale, rapport n° 18, p. 151-169, ici p. 159.

32  Baudru D. et Morin F., 1999, p. 159.

33  Orléan A., 1999, p. 130, souligné par moi.

34  Orléan A., 1999, p. 98, souligné par moi.

35  Orléan A., 1999, p. 98.

36  Aglietta M., 2009, « Marx a une analyse de l’argent extraordinaire », Le Point,Hors-série « Grandes biographies, Marx », n° 3.

37  Pour un commentaire, voir Harribey J.-M., « Marx et Spinoza, le mariage de l’année ? », op. cit.

38  À partir des travaux de Sraffa P., 1970, Production de marchandises par des marchandises, Prélude à une critique de la théorie économique, 1960, Paris, Dunod.

39  Lordon F., Capitalisme, désir et servitude, Marx et Spinozaop. cit., p. 149. Je lui ai proposé la formulation suivante : il existe deux réalités dont la rencontre va valider leur reconnaissance simultanée : d’un côté, le désir nous pousse à vouloir la valeur, de l’autre, la formation de la valeur reflète les conditions socio-techniques de production de l’objet du désir.

40  Ce dilemme est posé dans ces termes par AO, p. 51.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Jean-Marie Harribey , « André Orléan, L’empire de la valeur, Refonder l’économie, Paris, Seuil, 2011. », Revue de la régulation [En ligne] , 10 | 2e semestre 2011 , mis en ligne le 21 décembre 2011, Consulté le 15 janvier 2012. URL : http://regulation.revues.org/index9483.html

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Auteur

Jean-Marie Harribey

Ancien professeur agrégé de sciences économiques et sociales et maître de conférences à l’université Bordeaux IV ; derniers ouvrages parus : Raconte-moi la crise, Le Bord de l’eau, 2009, et Le piège de la dette publique (co-coord.), Les Liens qui libèrent, 2011 ; http://harribey.u-bordeaux4.fr ; http://alternatives-economiques.fr/blogs/harribeyjean-marie.harribey@orange.fr

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