Par Judith Trudeau
Vous avez vu le documentaire Demain réalisé par Cyril Dion et Mélanie Laurent en 2015 ? Eh bien ! le dernier livre de Laure Waridel peut être vu comme une nouvelle mise à jour des initiatives vertes (et qui fonctionnent) assorties d’une couleur bien québécoise. Fidèle à son autrice, le ton du bouquin peut se qualifier de « verre à moitié plein ». C’est devant le fleuve Saint-Laurent anormalement chaud[1] que j’ai parcouru avec intérêt La transition, c’est maintenant. Si, a priori, l’ouvrage était destiné à transmettre les résultats d’enquêtes doctorales, l’intention s’est modifiée depuis le fameux appel d’Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU envers l’urgence d’atteindre les cibles de l’Accord de Paris[2]. « Voilà pourquoi j’ai fait de ce livre un outil d’information, de sensibilisation et surtout d’action pour donner un élan à la transition. » (p. 29)
Trois parties structurent l’ouvrage : une première qui s’intéresse à la cause du déséquilibre climatique et des injustices sociales, soit le système économique (le comprendre pour le transformer), une seconde qui traite des solutions de rechange et des expériences concrètes (investissements écoresponsables, zéro déchet, se nourrir autrement, habiter le territoire intelligemment) et une troisième partie qui fait place aux leviers politiques et juridiques pour engager démocratiquement la transition. C’est dans cet ordre que je vous propose cette recension.
Économie : comprendre pour transformer
« Un enfant qui meurt de faim est un enfant assassiné », nous dit Jean Ziegler. « Nous avons collectivement les moyens de nourrir tous les humains de la planète, mais 821 millions de personnes souffraient toujours de la faim chronique en 2018 » (p.36). Ce système qui devrait fonctionner selon l’offre et la demande dans un équilibre bénéfique laisse des humains en marge. L’économie, oïkos (maison) et nomia (gestion), devrait pourtant servir le plus grand nombre, que nous pensions à la gestion de la maison-village, de la maison-nation ou que nous pensions à la maison-planète.
Les déséquilibres au profit des mieux nantis proviennent de l’autonomisation de l’économie et plus tard de la financiarisation. Ainsi, l’action politique et éthique ne se voit plus rattachée à la sphère économique. Si le système s’autonourrit sans lien avec le vivant, pour que celui-là fonctionne, il faut mousser la demande par l’obsolescence programmée, il faut surproduire, surconsommer et se surendetter (grâce à la facilité d’obtention du crédit). L’imaginaire est mû par le mythe de la croissance infinie et du rendement. Les externalités sociales (mises à pied) et environnementales (pollution) ne se voient pas comptabilisées. Ainsi, il y a privatisation des profits et socialisation des pertes.
Cette structure économique moribonde et linéaire peut et doit[3] se transformer en économie circulaire. L’internalisation des externalités est le premier pas qu’il faut franchir pour attribuer un juste coût aux marchandises. C’est principalement par la réglementation (la mise au pas des cigarettiers est montrée en exemple) et la taxation (mesures d’écofiscalité) que la transition peut se traduire dans le réel.
Waridel nous invite à une décolonisation mentale du bonheur associé aux revenus et à notre mode de vie sans toutefois prêcher nommément pour la décroissance. Si elle nous rappelle qu’il faudrait trois planètes pour satisfaire les besoins des humains s’ils se comportaient comme les Québécois et Québécoises, sous sa plume le terme du « développement durable » est réhabilité. Ce qu’il faut combattre, ce sont les fausses mesures en environnement, les faux labels, l’écoblanchiment (p. 77).
Concrètement
« Baie-Saint-Paul, la laiterie de Charlevoix convertit ses rejets de lactosérum (un résidu de fabrication du fromage) en méthane qu’elle utilise pour chauffer l’eau nécessaire aux activités de l’entreprise. Ce processus de biométhanisation produit des boues de phosphore. Épandues dans les champs, ce “déchet organique” sert d’engrais aux végétaux qui nourrissent les vaches dont le lait sert à la fabrication du fromage » (p.79). À Montréal, l’entreprise Loop récupère les fruits et les légumes moches des grands distributeurs alimentaires pour en faire de délicieux jus pressés à froid. Quant à la pulpe résiduelle qui en résulte, elle la donne à l’entreprise Walder et Harrier, qui l’utilise pour fabriquer des gâteries pour chiens » (p. 79).
Voici l’intérêt de ce livre. On a beau dénoncer les façons de faire de Monsanto, si nous n’avons rien d’autre pour alimenter notre imaginaire, le travail demeure incomplet. Qui commence à faire la transition ? Quels sont nos bons coups ? De qui faut-il s’inspirer ? Investir autrement. On y apprend la stratégie de tamisage qui consiste à soutenir, par nos investissements (Caisse de dépôt et de placement par exemple ou Fondaction CSN ou Fonds de solidarité FTQ), les entreprises qui s’inscrivent dans le paradigme circulaire et à retirer nos billes des entreprises de l’ancien paradigme. Tendre vers le zéro déchet en commençant par exiger une loi sur la consigne du verre ; on nous rappelle que 200 millions de bouteilles de vin sont vendues chaque année au Québec (p. 123). Bannir le plastique à usage unique. S’inspirer de la France et adopter une loi antigaspillage (partenariat entre les supermarchés et les associations d’aide alimentaire encouragé par des déductions fiscales). Diminuer notre consommation de viande, le secteur de l’élevage au niveau mondial étant responsable de 15 % des GES (p. 154-155).
Dirions-nous que ce livre est étonnant ? Non. Il est exactement là où nous savons son autrice. Est-il bien fait ? Oui. Nous permet-il de nous mettre à jour ? Certainement. Bien fouillé, bien étoffé, statistiques à l’appui. Est-il moralisateur ? L’autrice ne le veut pas. Son analyse est que nous sommes la terre qui nous nourrit. Que notre système nous mène à notre perte. L’urgence, dans sa bouche, est tranquille. Ce n’est pas un pamphlet révolutionnaire. Les exemples mis bout à bout nous font pourtant comprendre qu’il y a des assassins et des gens qui, comme les 500 000 personnes à Montréal le 27 septembre 2019, auraient intérêt à s’inscrire dans le temps long des changements politiques. Le changement se fait à partir de 3,5 % de la population. Nous sommes ce 3,5 % à lutter pour qu’il n’y ait pas d’augmentation de la température de la terre au-delà de 1,5 degré Celsius.
Nous avons les outils. Avons-nous la volonté ?
- <https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1720796/temperature-elevee-saint-laurent-cote-nord-plongeur-vent-fleuve-golfe>. ↑
- <https://unfccc.int/fr/news/le-secretaire-general-de-l-onu-antonio-guterres-appelle-a-davantage-de-leadership-expose-ses, page consultée le 14 août 2020>. ↑
- Je souligne. ↑