mardi 15 juin 2010, par Jacques B. Gélinas
Récemment, le Vérificateur général a confirmé que la construction en PPP, plutôt qu’en mode traditionnel, du CHUM et du CUSM ira chercher 10 millions de dollars de plus dans la poche des Québécoises et Québécois. Nous savions déjà que les PPP étaient une forme déguisée de privatisation, une façon de transférer la richesse de tous dans les poches des compagnies privées. D’où vient cette idée de confier à des institutions axées sur le profit le financement et la gestion de nos travaux et services publics, sous prétexte de transparence, de partage de risques et d’efficacité ? L’article qui suit, tiré du Dictionnaire critique de la globalisation de Jacques B. Gélinas, retrace les origines des PPP et démasque cette stratégie insidieuse, mais efficace, de privatisation des services publics.
La formule des partenariats public-privé est née au Royaume-Uni en 1992, sous le gouvernement conservateur de John Major. Cette nouvelle stratégie prenait le relais du mouvement de privatisations enclenché par Margaret Thatcher au début des années 1980. Qualifiée de “grand bradage des biens publics » par des opposants de plus en plus nombreux, la voie thatcherienne sombrait dans le discrédit en raison de ses résultats souvent désastreux, comme dans le cas de la privatisation des chemins de fer. C’est alors que le puissant lobby de l’industrie des services proposa un autre façon, plus socialement acceptable, d’assurer la pénétration des capitaux privés dans le secteur public : la formule Public-Private-Partnership, aussi connu au Royaume-Uni sous le nom de Private Finance initiative.
Le gouvernement de John Major fit sienne cette « ingénieuse initiative » et la présenta au public comme un moyen de partager avec le secteur privé les coûts et les risques de la mise en place d’infrastructures très onéreuses comme les routes, les hôpitaux et les écoles. En prenant le pouvoir en 1997, le Parti travailliste de Tony Blair endossa pleinement ce programme et ses orientations.
Tous les pays de l’OCDE convertis au PPP
Le recours au PPP s’est généralisé au début des années 1990 sous la pression combinée des institutions financières internationales, de l’OCDE et surtout des lobbies de l’industrie des services. Des études commandées par ses lobbies vantaient l’énorme potentiel d’investissement que représentaient les services publics. La Banque mondiale, pour sa part, estimait que les domaines de la santé, de l’éducation, du transport en commun, des communications, du génie- conseil, de l’eau et des prisons pouvaient générer des investissements allant de 2000 à 3000 milliards de dollars par an.
Aujourd’hui, tous les gouvernements membres de l’OCDE font appel au PPP pour des raisons fort diverses, selon les circonstances. Les principaux motifs évoqués :
Transférer au secteur privé des risques reliés au dépassement des coûts et aux retards dans l’exécution des travaux ;
Réaliser des économies appréciables grâce à la concurrence entre les firmes qui répondent aux appels d’offre ;
Assurer une prestation de services plus efficace et plus souple, grâce à une gestion fondée sur des principes d’affaires éprouvés ;
Profiter d’une synergie optimale public-privé bénéfique pour tous.
Au Canada et au Québec
Au Canada, l’industrie des services s’est mobilisée dès le début des années 1990. Le Conseil canadien pour le partenariat public-privé a été mis sur pied en 1992. Aussi discret que puissant, ce lobby très influent auprès du gouvernement fédéral compte plus de 250 membres. Son prospectus souligne que « les P3 [PPP] présentent de nouvelles et prometteuses occasions d’affaires pour les entreprises canadiennes de services ».
Un peu en retard dans le domaine, Québec a mis les bouchées doubles avec l’arrivée au pouvoir du gouvernement néolibéral de Jean Charest en avril 2003. L’Institut québécois pour le partenariat public-privé compte une centaine d’hommes, dont certains, comme SNC Lavalin, Pfizer, Price Waterhousser Copper et la Banque royale, se sont vus décerner le titre de grands partenaires”. Un pas décisif a été franchi par l’adoption, en décembre 2004, de la loi sur l’Agence des partenariats public-privé du Québec. La mission de l’Agence est de « contribuer, par ses conseils et son expertise, au renouvellement des infrastructures publiques et à l’amélioration de la qualité des services aux citoyens, dans le cadre de la mise en oeuvre des partenariats public-privé ». [1]
Dans cette foulée, la loi 62 sur les compétences municipales, votée en 2005 et entrée en vigueur le 1er janvier 2006, confère à toute municipalité du Québec le pouvoir de céder en PPP à des entreprises privées « la construction et la gestion de son système d’aqueducs, son système d’égouts ou de ses autres ouvrages d’alimentation en eau ou d’assainissement des eaux » (art. 22). Et cela, pour une durée de 25 ans.
Partage des risques et des coûts ?
Les PPP comportent-ils vraiment un partage des risques entre l’État et l’entreprise privée ? Tous les calculs économiques le moindrement rigoureux aboutissent à la même conclusion : non. L’État assume seul tous les risques. Pourquoi ? Parce que c’est dans la nature même de l’entreprise d’évaluer et de chiffrer l’ensemble des risques dans la budgétisation de tout contrat. Plus les risques sont grands, plus les montants exigés dans les contrats sont élevés. Pour un dirigeant d’entreprise, agir autrement relèverait de la plus grande incompétence. Le gestionnaire avisé a plutôt tendance à surestimer le coût des risques, ce qui contribue éventuellement à gonfler les profits.
Malgré ce que prétendent les politiciens, qui font la promotion des PPP, les citoyens sont perdants dans tous les cas de figure. Si la gestion est bonne et que l’entreprise réalise des profits, les contribuables paient pour les infrastructures et les services, et … pour la marge de profit de l’entreprise. Si la gestion s’avère mauvaise, le coût d’abandon du projet est si élevé, que le gouvernement se voit forcé de se montrer tolérant, voire complaisant, envers l’entreprise. Il intervient donc à grands frais pour sauver le projet de la débâcle. Au Royaume-Uni, des chercheurs de l’University College London ont analysé les dossiers d’affaires de 11 hôpitaux en PPP pour constater qu’entre la première et la troisième version du projet, la facture avait grimpé de 33 % à 229 %. Chaque fois, le gouvernement a dû assumer la note.
Partenariat ou supercherie ?
Un véritable partenariat exige une communauté d’objectifs et de valeurs entre les partenaires. Or, entre l’État et l’entreprise privée, surtout dans le cas d’une multinationale, les objectifs et les valeurs de l’un et de l’autre divergent. Peut-il vraiment y avoir partenariat entre deux institutions, si la mission centrale de l’une est de promouvoir l’intérêt public et l’objectif central de l’autre est de réaliser le maximum de profits pour ses actionnaires ? Dans la conjoncture présente, où la classe politique se laisse facilement instrumentaliser par des intérêts privés, le partenariat risque de dégénérer en une vaste supercherie.
Les vrais risques :
illusions à ce qui après au partage des risques financiers, comme décrit ci-dessus.
Réduction de l’imputabilité des élus qui se déchargent sur l’entreprise privée d’une grande partie de leurs responsabilités sociales et environnementales dans la gestion concrète des services.
Manque de transparence, voire opacité, dans l’octroi des contrats. (Un exemple renversant : le contrat pour le prolongement de l’autoroute 25, au nord de Montréal, comporte des clauses de confidentialité et des montages financiers inaccessibles au public.)
Avantage notoire pour les grandes compagnies, généralement transnationales, en mesure de monopoliser les contrats PPP au détriment des entreprises de l’expertise locales.
Possibilité que l’entreprise partenaire soit vendue, revendue ou fusionnée, rendant l’interlocuteur plus facilement évasif ; ou pire encore, possibilité que l’entreprise fasse faillite.
Détérioration des conditions de travail des salariés locaux, soumis aux impératifs globaux d’une entreprise dont le siège social peut se trouver aux antipodes. (Exemple : le contrat pour le prolongement de l’autoroute 25 a été octroyé au géant australien Macquarie Group, par le truchement de ses filiales nord-américaines.)
En conclusion, les risques sont si évidents qu’on est en droit de se demander si le système des PPP ne constitue pas tout simplement une stratégie sournoise, mais efficace de privatisation des services.
Retour au XIXe siècle
On oublie trop souvent que les services, considérés aujourd’hui comme publics, étaient naguère, à une époque pas si lointaine, assurés par des institutions privées charitables ou affairistes. L’éducation, les soins de santé, la distribution d’eau potable relevaient en grande partie du privé. À mesure qu’une société plus éclairée prenait conscience de la dimension publique de certains biens, comme l’eau et la santé, les dirigeants politiques de tous bords, motivés par des convictions humanistes ou poussés par la nécessité d’améliorer le sort des « classes dangereuses », ont confié à l’État la gestion d’une partie de plus en plus importante de ces services. Les remettre de nouveau dans les mains du secteur privé, c’est entrer dans l’avenir à reculons : retour au XIXe siècle !
Extrait du Dictionnaire critique de la globalisation de Jacques B. Gélinas, Écosociété, 2008, pp. 232 à 238.
Notes
[1] L’Agence des partenariats public-privé du Québec, qui était devenue une engeance de vipères, a été abolie en décembre 2009 pour être remplacée par Infrastructure Québec qui poursuit sensiblement les mêmes objectifs, mais de façon plus discrète.