La raison comme contradiction

Dans « De la contradiction », Mao Tsé-toung présente les questions traitées dans son essai comme le développement d’un « vaste cercle de problèmes » entièrement subordonné à l’étude et à la clarification du principe fondamental unique : « l’unité des contraires. »  

Toute réalité est processus

Le réel est mouvement. La nature interne des choses, leur essence, n’est rien d’autre que la loi de leur transformation. Ce principe s’inscrit dans ce qu’on pourrait appeler la filiation héraclitéenne de la dialectique : « Tout change. » Ici s’anime dans la pensée la révolte contre la morne sagesse de soumission de l’Ecclésiaste. Cependant, ce principe simple et violent est un principe menacé, constamment à reconquérir dans une lutte de classes acharnée, car c’est lui qui trace la ligne de démarcation principale avec la tendance antagoniste : la tendance métaphysique. L’essence de ce principe revient en effet à affirmer qu’un état donné de la réalité est par principe transitoire, autrement dit que la loi des choses n’est jamais l’équilibre, ni la structure, mais au contraire la rupture de tout équilibre et, par conséquent, l’inéluctable développement de la destruction de l’état des choses existant.  Telle est la portée proprement révolutionnaire de ce premier principe : il prend position d’un point de vue qui ne peut jamais être celui de la conservation. En un sens, il répudie tout objectivisme : ce qui se donne à un moment comme réalité n’est en son fond que le mouvement par quoi cette réalité se défait et se change en une autre. A proprement parler, le réel ne relève pas de la catégorie de l’objet. L’objet en effet est ce qui se donne à connaître comme état ou comme figure. Or tout état ou figure a pour contenu le procès ininterrompu de sa métamorphose. En ce sens, l’objet s’oppose au processus, comme la métaphysique à la dialectique. La métaphysique, qui est, en dernier ressort, théorie de l’identité, est animée par un puissant mouvement conservateur.  Marx explique que,  « sous son aspect rationnel, la dialectique est un scandale et une abomination pour les classes dirigeantes et leurs idéologues doctrinaires parce que, dans la conception positive des choses existantes, elle inclut du même coup l’intelligence de leur négation fatale, de leur destruction nécessaire ».

L’héritage contesté de Hegel

Dans Hegel, la reconnaissance, saluée par Lénine, du principe « le réel est processus » se divise en deux sous le poids de l’idéalisme dominant. Pour Hegel, en effet, le processus est toujours développement d’un terme simple, en sorte que les figures de transition ne sont pas réellement détruites, mais parcourues et reparcourues dans un mouvement circulaire, qui ne les abandonne que pour les conserver dans une identité de type supérieur.  Pour Lénine, il s’agit de prendre appui sur Hegel pour en finir avec l’unilatéralité des catégories de sujet et d’objet, dès lors qu’on les sépare (opération métaphysique) ou qu’on annule l’une d’entre elle (idéalisme absolu ou matérialisme mécaniste). Le problème est de réfléchir à la fois la scission et l’action réciproque des deux catégories (sujet et objet) dans le mouvement général d’un processus, sans exclure que le facteur subjectif puisse être la clef de ce mouvement. La connaissance révolutionnaire telle que Lénine en voit la « semence » dans Hegel, c’est ce qui à la fois inclut dans son mouvement la pratique de classe, la révolte, et y retourne pour en organiser la victoire consciente. C’est une médiation dialectique centralisée entre le processus objectif de la lutte des classes et la pratique subjective, dirigée en termes de projet, de la révolution prolétarienne. Dès le Manifeste, il est clair que, pour Marx et Engels, les communistes ne peuvent fonder leur identité sur un processus révolutionnaire « sans sujet » : à s’en tenir au mouvement réel, ils ne sont que « la fraction la plus avancée » des partis ouvriers de tous les pays. C’est dans l’élément subjectif qu’ils entrent en dialectique avec le mouvement ouvrier, car « ils ont sur le reste du prolétariat l’avantage d’une intelligence claire des conditions, de la marche et des fins générales du mouvement prolétarien ».

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