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La présence et l’action des mouvements sociaux dans l’actuelle conjoncture

Le dimanche 28 novembre dernier ont eu lieu en Haïti des élections présidentielles, législatives pour l’ensemble des cent députés et le renouvellement d’un tiers du sénat. Comme il était à prévoir, ces joutes ont débouché sur des contestations véhémentes tous azimuts -nationales et internationales- et des manifestations de rue avec un fond de violence à travers presque tout le pays.

Comment comprendre ces derniers évènements ?

Dès l’annonce du déclenchement du processus électoral en mars-avril derniers après le terrible tremblement de terre du 12 janvier, les partis politiques impliqués dans cette mouvance, qui sont jusqu’à présent malheureusement tous de droite, avaient élevé leur voix pour dénoncer le Conseil Électoral Provisoire (CEP), cet appareil chargé d’organiser ces élections. Ils clamaient haut et fort qu’ils n’y participeraient pas sous l’autorité de cet organe qui, selon eux, est totalement inféodé au pouvoir. Ce furent les premiers soubresauts, annonciateurs des bouleversements de la semaine du 8 décembre.

Le président Préval qui a une certaine maîtrise du comportement de la classe politique traditionnelle à laquelle il s’est associé depuis le premier mandat du président Aristide au début de la décennie 90, n’a à aucun moment décidé d’apporter de modifications à la composition du CEP. Au contraire, avec l’appui de la communauté internationale qui est l’autorité de tutelle du pays depuis le départ de l’ex-président Aristide le 28 février 2004 et la principale maîtresse d’œuvre de ces élections, il a maintenu l’équipe des neuf conseillers jusqu’à aujourd’hui. Même en plein milieu de cette crise, il lui a accordé sa confiance dans sa première et seule intervention faite jusqu’à maintenant. [1] Le chef de l’État en surestimant sa capacité de manœuvrer la gent politicienne, empreinte d’un grand mépris envers celle-ci, avait sous – estimé son impopularité au sein de toute la population. Il pensait que le peuple développait une allergie générale à la politique alors que ceci n’est vrai qu’envers une certaine politique dont il est le principale responsable pendant deux quinquennats. Les masses se cherchent ardemment.

En effet, au fur et à mesure de l’approche de la date fatidique et constitutionnelle de ce dernier dimanche de novembre, les actrices et les acteurs soit en se désolidarisant de leur parti, soit en suivant la courbe opérée par le leur, se sont alignés sur le calendrier officiel pour présenter leur candidature à l’une des trois instances) à briguer citées ci-dessus. De prime abord, les organisations issues du mouvement social et les grandes masses populaires d’une façon générale, se montraient très peu intéressées aux élections. Elles avaient affiché une très grande indifférence vis-à-vis de tout le processus, une indifférence qui s’est intensifiée avec le louvoiement, le dévoiement et la trahison de la plupart des candidats à l’égard de leur parti respectif. Alors que les masses populaires et de plus en plus la couche inférieure de la petite-bourgeoisie sombrent dans l’indigence la plus complète sous la férule de la communauté internationale, la classe politique n’a jamais même esquissé un plan alternatif à leur situation. Apparemment, on dirait que la vie des gens se déroule parallèlement aux activités des politiciennes et des politiciens. L’émergence sur la scène politique nationale de Wycleff Jean, un artiste-vedette d’une aura internationale, a déclenché un premier choc inattendu. Cependant, sa candidature à la présidence a été rejetée par le CEP parce que M. Jean n’a pas résidé pendant cinq années consécutives dans le pays, d’après le prescrit de la Constitution. Tout semble faire croire que l’appui d’une fraction de la jeunesse, surtout issue du milieu urbain, à cette nouvelle figure dans la jungle de la politique traditionnelle, a ébranlé la volonté de la population. Un autre artiste, Michel Martelly, a occupé l’espace laissé par M. Jean. On a constaté depuis, une sensibilité quant à ces élections dans certaines catégories sociales qui se définissaient progressivement. Ce sont des jeunes des quartiers populaires qui pour des raisons idéologiques très peu claires, offraient leur support à tel ou tel candidat plutôt qu’à tel ou tel parti politique sous la bannière de laquelle s’est présenté le candidat.

Que peut- on dire du mouvement social d’une façon générale ?

Le mouvement social haïtien ne s’est pas vraiment mobilisé dans l’actuelle conjoncture. Tout au cours de la campagne électorale, tous les candidats et les candidates, à l’exception de ceux et de celles du camp au pouvoir, n’ont pas cessé d’afficher leur méfiance vis-à-vis du CEP pendant qu’ils menaient leur campagne. Ce discours a emparé l’esprit des gens et a affecté négativement dans une certaine proportion la participation de plus d’un. Effectivement, le déroulement des votes a été d’un désordre total programmé en faveur du camp officiel, mais un désordre dont tous les partis ont profité à des degrés moindres pour augmenter leur chance de réussite. Grâce aux fraudes massives et aux irrégularités de toutes sortes presque dans toutes les circonscriptions territoriales, le poulain du président Préval est arrivé en deuxième position contrairement à l’attente presque générale. Ces élections ont constitué une occasion pour disqualifier le gouvernement qui n’a pris les mesures nécessaires ni pour contrer les méfaits du tremblement du 12 janvier 2010, ni pour panser les dégâts du cyclone Tomas et neutraliser l’expansion du choléra qui allonge quotidiennement le cortège de ses victimes. C’est pourquoi les personnes qui guettaient le suffrage du grand public sous le chapeau du parti du président, un parti monté à l’emporte-pièce en vue même de ces élections, ont mordu la poussière. Les magouilles qui ont éclaboussé le déroulement des votes ont caché dans une large mesure la grande abstention populaire. Celle-ci est aussi une autre façon choisie par bien d’autres pour exprimer leur mécontentement à l’égard des membres du pouvoir et de celles et ceux qui cherchent à les remplacer. Il n’y a pas eu de confrontation de projets entre un pouvoir et son opposition, car les deux camps participent d’une même matrice politique et idéologique. Mais, c’est plutôt un combat interne entre des prétendants d’un même bloc.

D’où est venue cette fièvre postélectorale qui a brûlé la société haïtienne ces derniers jours ? Le mouvement populaire haïtien s’est-il redressé de son mépris envers la classe politique qui la subjugue depuis plus de deux cents ans ?

Les fractions populaires qui ont extériorisé leur colère contre le résultat des élections proclamées par le Conseil Électoral Provisoire ne relèvent pas vraiment du mouvement social qui, en théorie, est composé de l’ensemble des forces organisées, quelles que soient leur influence réelle sur le terrain pratique. Les manifestantes et les manifestants dont la plupart sont dans une fourchette d’âge de 13-14 ans à 25-26 ans crachaient leur exacerbation pour exiger le respect de leur vote surtout en faveur de Michel Martelly, ne sont en grande partie membres d’aucune organisation de masse ou d’aucun parti politique. S’ils n’avaient pas arboré les photos de leur candidat, il aurait été difficile de penser qu’il s’agissait d’un mouvement politique tant les mots d’ordre, les revendications réelles des masses étaient absents. Tout cela a facilité des violences inutiles, la présence marquée de bandits de grand chemin et la fin pitoyable de cette agitation. Cette agitation s’est amplifiée dans les rues par une sorte d’effet de boule de neige. Des gens qui n’ont pas encore l’âge citoyen de voter, ou qui n’ont pas pu voter parce qu’ils ne détiennent pas pour une raison ou pour une autre leur carte électorale réclamaient le respect de leur vote. Pourtant, ne faut-il pas maintenir seulement l’aspect physique du débordement populaire qui est l’expression d’un rejet radical du règne de Préval.

Le mouvement populaire haïtien a toujours été paralysé par les dictatures successives qui ont assombri notre histoire de peuple libre. Celle des Duvalier s’est révélée la plus meurtrière et la plus longue d’entre toutes. Le mouvement commençait à relever sa tête après le départ de ces derniers pour subir successivement à nouveau deux terribles coups de massue avec l’avènement du président Aristide en février 1991 et le Coup d’État du 28 septembre de la même année. Des militaires sous la dictée de l’impérialisme américain ont stoppé le premier élan populiste du prêtre devenu président quelque sept mois après son investiture. Il a été cette fois-là et jusqu’à date le premier et le seul président élu démocratiquement depuis la proclamation solennelle de notre indépendance, le premier janvier 1804.

Avant la première occupation américaine, c’étaient les paysans que des grands propriétaires fonciers manipulaient à tous les moments pour parvenir au prix des luttes fratricides au timon des affaires de l’État, à la manière des caudillos latino-américains. Depuis quelques années, la classe des petits-paysans tend à s’organiser tant à un niveau national qu’à celui régional. Des associations paysannes de diverses natures sont éparpillées dans toutes les sections communales du pays. Si cette classe se débarrasse peu à peu des griffes des grands propriétaires politiciens qui les conduisaient sans merci dans des batailles qui ne la concernaient pas en premier chef, elle ne s’est pas encore totalement affranchie de la nouvelle mouture de la classe politique traditionnelle qui détient toujours le secret pour infiltrer et détourner ses organisations en leur avantage. Le même constat se poursuit aussi dans tous les milieux urbains avec des organisations dont beaucoup d’entre elles, sont prétentieusement appelées populaires parce qu’elles ont seulement pris naissance dans un quartier défavorisé. Ce qui, au premier réflexe, semble une grande force, dissimule dans la réalité quotidienne une immense faiblesse parce qu’il n’existe pas malheureusement pour le moment un vecteur capable d’en fédérer les plus saines. L’initiative des luttes à caractère populaire a changé de camp. Aujourd’hui, ce sont les jeunes des quartiers populaires qui sont devenus la force principale des grandes sorties revendicatives politiques. Cependant, leurs mouvements quand ils ne sont pas spontanés, sont conçus à l’avantage d’un quelconque leader politique et dépourvus de toute autonomie. Ainsi, n’aboutiront-ils nulle part sauf à la promotion personnelle de quelques individus. Le mouvement syndical se trouve aujourd’hui très affaibli. La montée du chômage, la nouvelle orientation de la bourgeoisie locale à la recherche des profits immédiats dans le cadre de la globalisation au détriment de la liquidation des anciennes industries de substitution ont largement contribué au recul de l’organisation du prolétariat.

Le mouvement social est tout naturellement divisé parce qu’il renferme des groupes sociaux d’intérêts divergents et antagoniques. Beaucoup d’associations professionnelles, paysannes, socio-économiques se sont prononcées pour ou contre les élections sans pour autant que leur rôle ait pu influencer sensiblement le cours de ces évènements. Les classes travailleuses urbaines unies à celles rurales ne se sont pas encore montrées prêtes à utiliser leur force révolutionnaire pour diriger en faveur de toute la classe des exploités, leurs principales batailles politiques. La construction d’un parti politique digne de ce nom, le Camp du Peuple, Kan Pèp la, est à ce point à construire.

Notes:
[1] Conférence de presse du président René Préval jeudi 9 décembre 2010 –

Auteur-e-s: Marc-Arthur Fils- AiméDirecteur de l’Institut Culturel Karl Levêque, (ICKL)

Pays & Région(s): Haïti

Thèmes: Election

Source-s: ALAI, América Latina en Movimiento – 10 janvier 2011

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