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La politique, le temps long et le temps court

Pierre Beaudet, 15 décembre 2020.

Depuis longtemps, les peuples se révoltent. Ils confrontent, ils résistent, ils cherchent. Le dispositif du pouvoir, énormément puissant, les met souvent en déroute. La force brutale n’est jamais loin à travers les tueries, l’incarcération, les violences inouïes contre les plus faibles, qui sont souvent des femmes. Des fleuves de larmes coulent chaque heure qui passe, dans l’indifférence à peu près général d’un univers médiatique bien en mains par l’oligarchie. Justement, cela indique l’autre outil de la domination (l’hégémonie) dont le but est d’inculquer l’impuissance, de nous persuader que l’individualisme possessif est la seule voie, tout-le-monde-tout-le-monde. Une armée d’intellectuels-mercenaires travaille fort pour imposer cela. Malgré tout cela, dans les interstices du pouvoir, il y a des fissures, des percées, des avancées. On entreprend des « petites » batailles (qui ne sont jamais si « petites » que cela). On est astucieux, déterminé et puis, oups, on gagne. En disant cela, je pense aux braves travailleurs et travailleuses de C-Zinc à Valleyfield (un an de grève !). Tout le monde sait cela à Valleyfield, mais personne ne le sait, en dehors de Valleyfield !

La résistance rebondit, se stabilise, parfois même, elle recule.

Comment alors provoquer des étincelles et surtout, se mettre ensemble ? Alors vient l’idée, un peu risquée, de faire de la « politique » ? Mettons cela entre guillemets, car la « politique » institutionnelle est plus souvent un jeu sous contrôle. Il faut ne pas penser fort (ou penser fort avec de mauvaises intentions) pour appeler cela la « démocratie. Le rituel du vote, du Parlement ou de l’Assemblée nationale, les gouvernements qui prétendent gouverner mais qui ne le font pas, et tout le reste, constitue un labyrinthe dont le but est de maintenir l’oligarchie au pouvoir, quelque qu’en soit le prix, en trichant, en volant, en mentant. C’est « systémique » pour employer une expression à la vogue, cela dépasse les individus qui sont un peu victimes et un peu complices de la « machine ».

Et donc, il ne faut pas s’illusionner. En même temps, on a le droit, et peut-être même le devoir. d’intervenir partout pour que la voix du peuple soit entendue. Ici et là, on s’organise pour prendre part à cette « politique », en sachant les risques, les impasses et les contradictions que cela provoque. Il est trop facile, on l’a tellement vu, pour la gauche, dans l’opposition et même au gouvernement, de s’enliser, de se « provincialiser », au nom d’un faux « réalisme » qui est dicté par les médias, autant dire, par l’oligarchie.

Réconcilier des revendications partielles justes et légitimes, qui répondent aux échos d’une grande partie de la population, avec les ambitions plus complexes d’une transition post-capitaliste, est alors tout un défi. On ne peut pas, au risque de s’enliser, rester dans le registre de ce qui est « possible » dans le système actuel. C’est vrai, ce système peut être parfois (s’il y a beaucoup de résistance) être humanisé. C’est ce qui arrivée le siècle dernier sous l’égide du keynésianisme, un cadre politique qui a permis à partie du monde, au Québec notamment, de sortir de la grande noirceur.

On peut, on doit lutter sur ce terrain, comme l’explique Gabriel Nadeau-Dubois dans une entrevue réalisée ce mois-ci dans l’Actualité[1]. Il faut revamper le secteur public, repenser les politiques commerciales et industrielles, sortir des mensonges du néolibéralisme. Certes, le projet d’élire des députés solidaires reste dans ce contexte très noble dans le « temps court » de la politique.

Mais cela ne suffit pas.

Dans les résistances éparpillés et éphémères, émerge quelques fois l’idée qu’il faut plus que réformer le système, mais le réinventer. Pour dire les choses brutalement, il faut briser le dispositif du pouvoir et mettre à sa place un autre projet, une alter société, un alter État, une alter économie. Quand ce processus devient dramatique, on peut appeler cela une révolution. Mais même quand cela ne va pas jusque-là, il y a comme une flamme citoyenne qui éclaire la citoyenneté. On voit cela maintenant au Chili. Les pseudo réformes mises en place par la droite et même le centre-gauche (quand il était au pouvoir), ne peuvent pas déboucher sur un vrai changement. Le système parlementaire ne peut pas être l’outil de la transformation. D’où cette grande et ambitieuse idée d’une « assemblée constituante », pour redéfinir le pays dans lequel on veut vivre.

Je m’inquiète de ne pas entendre Gabriel et l’appareil si bien organisé de Québec Solidaire sur cette nécessité de rupture. Je peux comprendre que c’est risqué, que les médias vont nous rentrer dedans, que des tas de gens vont se demander si on est sur une autre planète. Mais il faut quand même essayer :

  • La transition écologique, autant difficile et complexe qu’elle est, doit être la bannière de QS. C’est le « temps long » de la politique axée sur une nécessaire transformation. Sans cela, on devient des gestionnaires du statu quo avec plus de voitures électriques, plus de boîtes vertes, plus de métros. Ce sont des bonnes idées, mais il faut avoir le courage de dire : ce n’est pas assez dans ce monde qui navigue joyeusement vers l’iceberg, avec les riches en haut qui boivent le champagne et qui savent qu’il y aura, pour eux seulement, des canots de sauvetage.
  • Il faut l’indépendance, qui n’est pas seulement un vieux projet péquiste, encore moins, une question de nationalisme frileux. Sans briser l’État fédéral, qui est à vrai dire le seul « vrai » État dans ce pays, on n’ira nulle part. De cette déconstruction doit naître non pas tout bêtement un autre « État », mais quelque chose de différent, construit sur le pouvoir citoyen et la nécessité de vivre en harmonie avec les autres peuples sur le territoire, qui sont autant « propriétaires » que nous.
  • Il faut une vision internationaliste, pas seulement pour dire qu’on est gentils et qu’on aime les Palestiniens ou les Chiliens ou les Haïtiens. Ce n’est pas tout simplement pas vrai qu’on peut aboutir à quelque chose sans lutter avec les autres. La bataille québécoise est partie intégrale d’une lutte pour la transformation, un morceau du puzzle. Ils sont dans nous. On est dans eux. Sans cette vision altermondialiste du monde, on n’ira nulle part.

Pour le moment, je n’entends pas trop les 10 braves solidaires sur ce terrain. Je peux comprendre qu’ils sont préoccupés avec d’autres choses, qu’ils répondent aux exigences de l’action parlementaire et des médias. Pour autant, on ne peut pas fonctionner sur ce registre seulement. On va perdre notre « âme », notre capacité d’apparaitre comme une force de changement, ce qui compte pour partie importante de la population et aussi pour cette frange militante qui reste le noyau dur des mouvements sociaux. Plus encore, on va faire comme le PQ et « bien gouverner » ce qui est à toutes fins pratiques ingouvernable dans le système actuel. Et alors, il y aura une grande déception et on va reculer, comme tous les PQ de ce monde.

Je serais d’accord avec Gabriel qui dit à la fin de ce son texte « la crise des changements climatiques, que la COVID-19 nous a fait temporairement oublier, exige une gauche prête à agir. Au risque de déplaire ». Cela sera plus convainquant quand le discours et la stratégie de QS seront pensés plus stratégiquement, en pensant aux « deux temps » et, en étant plus conscients du fait que le QS n’est ni une simple machine parlementaire ni un « outil » pour l’aile parlementaire.


[1] Gabriel Nadeau-Dubois, « La fin des certitudes », L’Actualité

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