Par Kaveh Boveiri
La lutte ou la chute ! est la réponse chomskyenne à « Que faire ? ». C’est la continuation d’un projet que Noam Chomsky, linguiste, politologue et activiste américain, a commencé à l’âge de dix ans avec son article sur la montée du fascisme en Europe.
Le fait d’être un internationaliste contre l’« Empire » américain lui a mérité le respect, mais a aussi entraîné des conséquences indésirables. Voici deux exemples parmi plusieurs : ses demandes de visa en vue de donner des conférences sur l’invasion de l’Afghanistan et de l’Irak ont été rejetées par le gouvernement du Pakistan ; son entrée en Israël a aussi été refusée à cause de sa position ferme « en faveur des droits des Palestiniens » (p. 36).
Ce livre, le résultat d’entretiens avec Emran Feroz, journaliste pigiste basé en Allemagne, fait partie d’une autodéfense intellectuelle s’adressant non pas aux intellectuels, mais bien aux « grands publics ». Tandis que le capitalisme actuel atomise chacune et chacun de nous comme autant de hamsters dans leur roue, l’autodéfense intellectuelle vise une éducation populaire et une vulgarisation afin de comprendre le monde actuel, lutter contre les maîtres de l’espèce humaine et donner lieu à une transformation bénéfique, ce qui n’est pas enseigné dans les universités.
Le thème principal de ces entretiens est notre responsabilité lorsque nous sommes aux prises avec la dichotomie soit de continuer notre lutte soit d’accepter la chute, qui va au-delà de nos vies individuelles et menace l’être humain. Cependant, selon Chomsky, nous ne nous en apercevons pas toujours. Il nous donne des exemples concrets. Les métaux dans nos téléphones mobiles et iPhone viennent du Congo oriental. Nous le savons peut-être. Mais nous ne savons peut-être pas comment ces métaux sont obtenus : « Avec l’aide de milices violentes qui ont tué près de cinq millions de personnes ces dernières années. Ces milices travaillent pour les grands groupes internationaux » (p. 97-98). Ces investisseurs internationaux qui sillonnent notre monde sont les maîtres actuels de l’espèce humaine contre lesquels nous, en tant que gens responsables, devons diriger notre lutte et auxquels nous devons apprendre la peur.
Cette responsabilité qui nous amène à la lutte contre le statu quo est double. D’une part, il faut distinguer les crimes à propos desquels nous avons, d’une manière ou d’une autre, une responsabilité : les crimes commis par nos gouvernements. Ici, nous sommes moralement et immédiatement responsables, car nous pouvons les atténuer et même les arrêter (p. 57). Ainsi, Chomsky en tant que citoyen des États-Unis, proteste contre le budget militaire de son pays qui est égal à la somme des budgets des sept pays qui le suivent. Il proteste contre ses 800 bases militaires actives à l’étranger, mais aussi contre les interventions américaines et les embargos imposés à plusieurs pays. D’autre part, l’autre volet de notre responsabilité est lié aux crimes commis par des ennemis officiels de nos gouvernements. Dans ce cas aussi, nous devons les reconnaître et les dénoncer. Mais bien que nous soyons également responsables, nous ne pouvons pas vraiment exercer une influence. Ici aussi, l’auteur pratique ce qu’il prône : il dénonce l’atrocité du régime d’Al Asad en Syrie, soutient les droits de la personne des activistes politiques en Iran (les pétitions qu’il a signées à cet égard sont innombrables) et, en 2018, il a visité Luiz Inácio Lula da Silva, l’ex-président et le candidat présidentiel brésilien, en prison.
En reformulant sa thèse de lutte, Chomsky appuie un propos de Gramsci : « Un vieux monde est en train de mourir tandis qu’un nouveau monde tarde à naître ». Cependant, il se distancie d’une autre phrase célèbre de Gramsci : « Je suis pessimiste par l’intelligenc