C’est en août 2007 que la crise financière éclate, quand le marché du crédit s’enraye. Tout au long de l’année qui suit, les banques centrales s’activent à injecter des liquidités dans le système et réduire les taux d’intérêt, alors que les banques américaines et européennes trébuchent. À l’automne 2008 les principales banques d’affaires américaines s’écroulent, provocant un affaissement des marchés boursiers et une onde de choc planétaire menant à une récession économique généralisée.
À coups de milliards de fonds publics, les gouvernements orchestrent le rachat de banques par d’autres banques, fournissent des garanties de prêts, acquièrent des parts du capital-actions, prennent en pension des créances douteuses. Aux États-Unis, on crée le programme TARP[1], permettant au gouvernement d’acheter ou de garantir auprès des institutions financières jusqu’à 700 milliards d’actifs « troublés ». Des aides substantielles sont aussi consenties par les gouvernements américain et canadien à General Motors, que la mauvaise gestion et la récession ont mise à genoux.
En matière de politique monétaire, les taux directeurs sont abaissés au plancher, près de 0 %. Face au risque de déflation, la Réserve fédérale américaine s’engage en outre dans « l’assouplissement quantitatif », une variante contemporaine du recours à la planche à billets qui consiste à racheter massivement des bons du Trésor en imprimant de l’argent. Après QE1 viendra QE2 et bientôt, possiblement, QE3[2].
Dès l’amorce de la récession les gouvernements des grands pays mettent en œuvre des programmes substantiels mais temporaires de stimulation de l’économie, prenant la forme d’allègements fiscaux et de dépenses publiques accrues. Malheureusement, les effets des stimulants seront en bonne partie contrecarrés par les compressions appliquées dans plusieurs petits pays et au niveau des gouvernements régionaux et locaux. Au Canada, les partis d’opposition devront menacer de remplacer le gouvernement conservateur de Harper par une coalition pour le décider à présenter, au début de 2009, un programme de stimulation plus en rapport avec les exigences de la situation. Au Québec, un ambitieux plan de réfection des infrastructures lancé fort opportunément quelque temps avant la récession permet d’amortir le choc mieux qu’ailleurs.
La reprise qui s’esquisse à l’automne 2009 fait oublier aux gouvernements toutes les promesses de réforme du système bancaire, en dépit des engagements pris au sommet du G-20 de l’automne 2008. Au mieux, des tests de résistance non concluants sont administrés aux banques américaines et une modeste recapitalisation à l’horizon 2019 est imposée aux banques européennes. Plusieurs pays qui ont vu leurs déficits publics croître en raison de la récession, et leur dette s’alourdir en conséquence, se tournent vers des politiques d’austérité afin de rétablir leurs équilibres budgétaires. L’orientation mise de l’avant par le nouveau gouvernement conservateur au Royaume Uni figure sans doute parmi les plus drastiques.
Au printemps 2010, une nouvelle menace financière plane sur l’Europe, en rapport avec les difficultés qu’éprouve la Grèce à refinancer sa dette publique, dette due en très grande partie à des banques allemandes, françaises, ou d’autres pays européens. Après bien des tiraillements, l’Union européenne et le FMI s’entendent pour proposer un plan d’aide financière publique assorti de conditions draconiennes visant le rééquilibrage budgétaire. La crise politique éclate sur fond de résistances sociales intensifiées. Le même type de scénario se reproduira l’automne suivant en Irlande, puis au Portugal quelques mois plus tard.
Dans les pays émergents, ceux du BRICS notamment, où l’expansion économique fébrile n’a été que légèrement infléchie par la récession, les problèmes socio-économiques découlent plutôt de la flambée des prix des produits de base consécutive à l’apparition de bulles spéculatives dans plusieurs secteurs. Les autorités réagissent en prenant diverses mesures de resserrement du crédit, quitte à freiner la croissance économique.
La résurgence du problème de refinancement de la dette grecque au printemps 2011 déclenche une nouvelle crise, cette fois de solvabilité, alors qu’il devient clair que le pays se trouve dans l’incapacité d’honorer ses engagements à court comme à moyen terme. Les milieux néolibéraux ne voient d’issue possible à cette situation qu’à travers des ajustements de l’offre, c’est-à-dire une baisse généralisée des salaires et une réduction du « salaire social » qui favoriseraient une amélioration de la compétitivité des produits grecs sur les marchés internationaux. La population ne voit pas les choses du même œil, il va sans dire. Encore cette fois, un arrangement au sujet de la dette grecque intervient à la mi-juillet, mais cela ne sert qu’à gagner du temps. Si la contribution des agents privés, c’est-à-dire les banques, a été longuement discutée, il ne semble pas que l’accord exige grand-chose de leur part.
Les atermoiements des autorités européennes concernant l’aide à fournir et le risque de contagion de la crise aux autres petits pays, mais aussi à l’Espagne et à l’Italie, menacent désormais d’emporter l’euro. À cet égard, il convient de signaler le rôle délétère des agences de notation, comme Moody’s ou Fitch Ratings, qui jettent de l’huile sur le feu en décotant les États à tour de bras. L’Europe est désormais confrontée à des choix décisifs : soit abandonner l’euro, soit s’atteler sérieusement à la construction d’une Europe politique et fiscale.
Aux États-Unis, l’été 2011 est marqué par la crise fabriquée de toutes pièces concernant le relèvement du plafond autorisé pour la dette publique, qui constitue habituellement une formalité. La droite américaine, regroupée notamment au sein du Tea Party, cherche par ce moyen à forcer le président Obama à renoncer au relèvement des impôts des grandes entreprises et des riches et à couper davantage dans les dépenses sociales, dans le cadre d’un plan à long terme visant l’assainissement des finances publiques. (Sur chaque dollar dépensé, faut-il rappeler, le gouvernement emprunte 42 cents). Dans l’accord conclu in extremis, le président Obama a cédé à ces exigences, tout comme il a cédé en décembre 2010 en reconduisant les baisses d’impôts de Bush, puis au printemps lors de la menace de blocage du gouvernement. Entre-temps, l’économie américaine fait du sur-place et ne parvient pas à résorber ses 14 millions de chômeurs.
Globalement, alors que les perspectives économiques se détériorent un peu partout, les politiques d’austérité budgétaire ne font qu’aggraver la situation. Comme le signalait récemment Paul Krugman[3], « Même si on parvient à éviter une catastrophe immédiate, les ententes en voie de conclusion des deux côtés de l’Atlantique vont presque certainement empirer le marasme global ».
Pierre Beaulne, économiste à la CSQ
[1] Troubled Asset Relief Program
[2] QE : Quantitative easing
[3] Paul Krugman, The Lesser Depression, The New York Times, 21 juillet 2011 (traduction libre)