Une année marquée au fer rouge
La dernière année laissera pour plusieurs personnes un goût fortement amer. En effet, ce qui a d’abord débuté par une crise financière causée par un mélange complexe d’abus financiers, de déréglementation et de profits abusifs s’est rapidement transposé dans l’économie réelle. Pourtant loin d’être la conséquence d’abus de quelques individus, la crise actuelle est au contraire le résultat des défaillances internes propres au système capitaliste mondialisé. Ce sont effectivement les règles de ce dernier qui ont permis une concentration sans précédent de la richesse. Ce sont ces mêmes règles qui ont mené à la création d’oligopoles qui dominent aujourd’hui non seulement le système économique et financier, mais qui ont une influence considérable sur le système politique et même judiciaire. Ce pouvoir d’influence est utilisé à une seule fin : augmenter continuellement les profits de ces oligopoles et protéger les intérêts des grands détenteurs de capitaux. Il n’est donc pas surprenant de voir ces hommes de pouvoir (car évidemment il y a très peu de femmes) faire pression pour la sauvegarde prioritaire du système financier qui est le socle du système capitaliste actuel.
Au cours des derniers mois, les populations de tous les continents ont été stupéfaites d’assister aux faillites des plus grandes banques américaines. Devant la catastrophe annoncée par cet effet domino, les États sont accourus à la rescousse de ces institutions multi-milliardaires aujourd’hui acculées à la faillite par la cupidité et l’avarice de différents acteurs. Combien de Bernard Maddox le système tolère-t-il ? Combien de milliards de dollars iront en faramineux bonis aux présidents de ces banques aujourd’hui en banqueroute ?
Bien qu’il soit tout à fait légitime de condamner fermement ces abus, il importe de garder en tête que c’est le système économique actuel qui a causé la crise planétaire à laquelle nous sommes aujourd’hui confrontéEs. Il est donc primordial de trouver les causes profondes de cette débâcle et de remettre en question les prémisses dusystème actuel, soit : la (sur)consommation, l’exploitation de la force de travail etl’individualisme. C’est à ce défi que nous devons nous attaquer, non seulement en tant que citoyenNE, mais également en tant que société.
Le plus grand danger de cette crise : le maintien du système capitaliste
Après les difficultés rencontrées par les institutions financières, la population mondiale a vu la croissance économique ralentir, les faillites surgir, les mises à pieds monter en flèche et la crainte des pertes d’emploi gagner de plus en plus de ménages. C’est également impuissantes que les populations ont assisté à des plans de sauvetage où les bouées étaient principalement destinées aux institutions financières, celles-là mêmes qui nous ont conduitEs au naufrage actuel. Le gouvernement faisait ainsi le pari que les citoyens et citoyennes devraient tenter de rester à flot par leurs propres moyens.
En effet, les différents plans de sauvetage proposés n’ont qu’un seul objectif : sauver le système financier capitaliste de l’abîme. Ainsi, c’est à coups de centaines de milliards de dollars distribués aux multinationales, banques et autres entreprises que l’on espère empêcher le navire de sombrer. L’objectif de nos politiciens est clair : rétablir au plus vite le cirque de la mondialisation néolibérale car « the show must go on ! »
Or, le rétablissement du système, même avec quelques changements comme le propose l’administration Obama ou le G-20, mènera inévitablement à une nouvelle crise, encore plus profonde. Comme nous l’a enseigné la crise de 1929, même si des mesures importantes sont mises en place pour éviter les abus, les trafics d’influence et les fraudes, elles s’effritent au fil des ans et finissent par être abolies sous la pression du pouvoir d’influence démesuré que détiennent les grands oligopoles. La nature même du système capitaliste implique la déréglementation maximale d’un marché qui prétend s’autoréguler.
Or, les premiers bénéficiaires d’un tel système sont évidemment lesgrandes entreprises et les multinationales, celles-là mêmes qui détiennent un pouvoir d’influence politique considérable et qui contrôlent en partie le marché. Il est donc dans la nature et dans les intérêts de ces entreprises d’utiliser leur pouvoir d’influence pour abolir ces lois qui restreignent leurs profits. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé, aux États-Unis, avec le Glass Steagall Act. Cette loi fut imposée au lendemain du krach de 1929 afin d’encadrer les pratiques bancaires et financières des entreprises américaines. Or, au fil des ans, cette loi a été affaiblie et par la suite régulièrement bafouée au cours des années ’90 (avec l’autorisation du congrès), pour finalement être officiellement abolie en 1999. Tant qu’on ne s’attaquera pas à la cause structurelle qui génère les inégalités socioéconomiques, on ne pourra prévenir ou empêcher la prochaine crise.
À la lumière des importants et passionnants défis et remises en question que suscitecette crise économique, nous vous proposons une réflexion qui aura comme axe transversal la crise que nous traversons. Nous tenterons de faire ressortir les liens – passés, présents et futurs – entre celle-ci, le système capitaliste et les différents maux socioéconomiques qui touchent notre société. Pour ce faire, nous aborderons trois grands thèmes inter-reliés qui regroupentdes enjeux majeurs de notre société soit : la pauvreté, la démocratie et l’environnement.
La pauvreté chez nous
Malgré une croissance économique significative au cours des 30 dernières années, force est de constater que cette croissance ne bénéficie pas de la même façon à toutes et tous. Le dernier recensement effectué par Statistique Canada a mis au jour une situation depuis longtemps décriée dans le monde : les riches s’enrichissent, les pauvres s’appauvrissent et le fossé les séparant se creuse sans cesse. Par exemple, dans les années soixante-dix, les patrons gagnaient, en moyenne, 30 fois le salaire d’un employé. Aujourd’hui, ces patrons gagnent 300 fois celui des salariéEs. Il n’est donc pas surprenant de constater qu’au cours des 25 dernières années, les revenus des 20 % des Canadiens les plus riches ont augmenté de 16 %, tandis que ceux des 20 % les plus pauvres diminuaient de 21 % et ceux de la classe moyenne stagnaient .
Ces chiffres sont le reflet du monde du travail tel qu’il a évolué au sein du systèmecapitaliste. On constate une stagnation ou une diminution des revenus des ménages salariés qui se conjugue et s’explique par une diminution du taux de syndicalisation (le Québec étant – jusqu’ici – l’exception), une augmentation du travail atypique et à temps partiel, une diminution du pouvoir d’achat des personnes travaillantau salaire minimum ou sur l’aide sociale, une diminution de l’accès à l’assurancechômage (assurance-emploi), etc. Pourtant, la richesse mondiale a augmenté, nous disent unanimement les économistes. Où donc est-elle alors allée ? Puisque la richesse est normalement le produit du labeur des travailleurs et travailleuses, ceux et celles-ci auraient dû voir croître leurs revenus… et pourtant, tel ne fut pas le cas !
Cette situation témoigne de la réalité du système capitaliste où la plus-value créée par les travailleurs et travailleuses est en grande partie détournée au profit des dirigeants plutôt que redistribuée parmi les salariéEs. Parallèlement à cette création de richesse sous forme de biens et services se développe, dans le monde financier, une richesse virtuelle fondée sur la spéculation et qui ne bénéficie principalement qu’à une poignée d’individus : travailleurs du secteur financier, actionnaires, dirigeants d’entreprises. Pensons par exemple à Couche Tard : alors que ses employéEs sont payéEs au salaire minimum, le PDG de cette chaîne de dépanneurs « gagnait », en 2004, 11,7 millions de dollars. Pensons également à l’empire de Québécor qui, après avoir imposé un lock out de 16 mois à ses employés du Journal de Québec, s’attaque maintenant à ceux du Journal de Montréal. Pensons enfin à ces millions d’épargnants québécois qui ont vu leurs épargnes fondre suite aux dérives spéculatives des administrateurs de la Caisse de dépôt et de placement du Québec qui eux sont, rappelons-le, grassement payés.
Or, la croissance économique du système capitaliste étant principalement basée sur la consommation des ménages, l’élite économique, afin de maintenir et accroître sa domination, devait assurer cette croissance malgré l’appauvrissement des ménages. C’est ainsi qu’au cours des 30 dernières années, parallèlement à la distribution inégale de la richesse, apparaissaient différentes méthodes visant à pallier cette perte du pouvoir d’achat des ménages afin de maintenir, voire de continuer d’accroître, leur consommation : accès facilité au crédit et aux prêts, politique commerciale « achetez maintenant, payez plus tard », valorisation sociale de la consommation matérielle, création de nouveaux besoins (maisons et véhicules disproportionnés par rapport aux besoins, appareils énergivores, culte de la beauté et de la jeunesse, etc.). Il n’est donc pas surprenant, à la lumière de ces deux situations combinées, que le niveau d’endettement des ménages canadiens soit passé de 70 % à 124 % entre 1985 et 2005 . Ceci signifie que pour chaque dollar de revenu annuel après impôts, les Canadiens et Canadiennes ont 1,24$ de dette. Qui plus est, le taux d’épargne des Canadiens et Canadiennes est à son plus bas niveau en 20 ans . Or, puisque la classe moyenne ne s’est guère enrichie au cours de ces années et que les plus pauvres se sont appauvris, cet endettement n’a pas servi à entretenir un train de vie démesurément luxueux, mais simplement à compenser la perte réelle de revenu des classes moyennes et défavorisées.
Ce transfert de richesse des poches des gens les plus pauvres vers celles des plus riches a également été permis par l’augmentation des tarifs des services publics et par la cure minceur qu’a subie le filet social québécois. Cette orientation a été directement influencée par la théorie de Milton Friedman selon laquelle l’État doit intervenir le moins possible et laisser plutôt le marché définir la valeur de chaque bien et service, du système de santé à l’éducation en passant par l’électricité et l’eau.
Ces choix politiques néolibéraux devait servir à alléger le fardeau fiscal des contribuables, à commencer par les plus fortunés. Ainsi, en quarante ans, le système fiscal québécois est passé d’un système à 10 paliers d’imposition (allant jusqu’à 34 % des revenus) à un système à trois paliers d’imposition (allant jusqu’à 24 % du revenu). Parallèlement à cette perte de revenu, l’imposition des entreprises a chuté, devenant l’une des plus faibles dans toute l’Amérique du Nord et permettant ainsi aux riches d’accumuler encore davantage de richesses. Pour pallier ce manque à gagner, les gouvernements québécois qui se sont succédés ont réduit les dépenses reliées aux services sociaux et augmenté les tarifs qui devaient dorénavant correspondre davantage à la valeur que leur donne le marché. Au fil des ans, plusieurs assistés sociaux et assistées sociales ont dû se contenter que de demi-indexations, l’accessibilité à l’assurance-emploi a été considérablement restreinte malgré des surplus de cotisations accumulés de plusieurs dizaines de milliards de dollars, l’accessibilité à l’aide juridique a été considérablement réduite, etc. Pendant ce temps, les Québécois et Québécoises ont simultanément vu les tarifs d’électricité, de transport en commun et de frais de scolarité grimper rapidement. En rétrospective, ce sont l’ensemble de ces mesures et de ces choix qui sont partie intégrante de l’idéologie néolibérale et qui ont causé l’appauvrissement du plus grand nombre d’entre nous.
Devant ces inégalités, plusieurs travailleurs et travailleuses ont cependant dénoncé les abus patronaux. Par exemple, de nombreux employéEs, que ce soit du secteur de l’hôtellerie, de la poste ou du secteur de l’alimentation, sont entréEs en grève pour exiger de meilleures conditions de travail. D’autres, comme au Journal de Québec, forcéEs au lock-out, ont décidé de se réapproprier leur force de travail en produisant leur propre journal. Rappelons que ce journal, distribué gratuitement, entrait en concurrence directe avec le Journal de Québec, dorénavant produit par des cadres et des briseurs de grève, comme le conclura une décision de la Commission des relations de travail . Les employéEs du Journal de Montréal, lorsqu’à leur tour forcéEs au lock-out par le même employeur, ont, quant à eux et elles, mis sur pied un quotidien en ligne intitulé « Rue Frontenac ». Ainsi, si les exemples d’abus foisonnent, particulièrement en cette période de crise économique, force est de constater que certains exemples de solidarité sociale nous proposent d’autres modèles d’organisation du travail qui méritent qu’on s’y attarde si nous voulons repenser le modèle économique actuel.
Pauvreté : Le monde et nous
Les répartitions inégales de la richesse que nous avons évoquées plus tôt se retrouvent – de façon encore plus exacerbée – à l’échelle planétaire. Il n’est pas surprenant qu’un capitalisme mondial ait, au cours des trente dernières années, aggravé la problématique de la répartition inégale de la richesse notamment entre les pays du Nord et ceux du Sud. Or, les problèmes sociaux et économiques résultant de l’appauvrissement d’un nombre grandissant de personnes sont de plus en plus graves et se font dorénavant sentir dans les pays occidentaux. Par exemple, les migrations causées par les guerres, les famines ou l’absence d’un avenir décent dans de nombreux pays poussent les gouvernements néolibéraux à investir des sommes colossales dans la surveillance des frontières et la sécurité intérieure. Évidemment, ces sommes ne sont ensuite plus disponibles pour s’attaquer aux problématiques sociales comme l’intégration des nouveaux arrivants, les conflits inter ethniques, l’intolérance, les préjugés, la violence, etc. Ces problématiques ont pourtant des coûts – économiques et sociaux – à la fois pour les populations du Nord, mais surtout pour celles du Sud. En effet, les pays du Sud vivent actuellement un exode des cerveaux qui réduit considérablement leur capacité à s’organiser et à se développer collectivement. Ce cercle vicieux est donc un complexe mélange de choix politiques et économiques qui sont faits à différents paliers – régionaux, provinciaux, nationaux et internationaux, et ce dans l’ensemble des pays de la planète. Or, lorsque cette dynamique migratoire va en grandissant, tant les pays du Nord que ceux du Sud sont perdants.
En 2008, la répartition inégale de la richesse et l’appauvrissement des moins nantiEs a donné lieu à des révoltes populaires dans de nombreux pays. En Amérique latine et en Afrique, les émeutes provoquées par la hausse spectaculaire du prix de denrées de base comme le blé, le maïs ou le riz ont paralysé les pays durant plusieurs semaines. Ces famines sont le résultat des politiques des pays du Nord qui ont permis la spéculation sur ces ressources vitales et encouragé, par des subventions généreuses, le détournement massif de grandes quantités de céréales vers des usages énergétiques (éthanol). Au Canada, une récente étude de Statistique Canada démontrait que malgré la crise, les prix des aliments avaient augmenté de 7,9 %, ceux des céréales de 11 %, ceux des fruits de 19 % et ceux des légumes de 26 % au cours des 12 derniers mois. Dans un marché international où le libre-échange et la spéculation dictent les règles, les fluctuations des prix internationaux des matières premières sont portées à être relativement imprévisibles et de grande ampleur. Ce marché international libre-échangiste restera le théâtre de rapports de force qui désavantageront en premier lieu les personnes les plus pauvres, tant dans les pays du Sud que du Nord.
Au Nord, les accords de libre-échange (ALE) ont entraîné une perte de pouvoir des travailleurs et travailleuses dans leur rapport de force avec l’employeur. Ceci a eu pour conséquence de réduire leur chance d’améliorer leurs protections sociales et économiques, ce qui a permis le détournement de la richesse créée au profit de leurs employeurs. Au Sud, ce libre-échange a anéanti de nombreux commerçants, artisans et agriculteurs locaux et permis le pillage des ressources de ces pays par des multinationales occidentales. Comme c’est le cas de la minière canadienne Barrick Gold, ces multinationales, en plus de s’enrichir en appauvrissant les pays africains et sud-américains, ont des pratiques souvent contraires aux droits fondamentaux de la personne et à la protection de l’environnement. Que ce soit en ce qui a trait aux droits du travail ou à l’ingérence politique de ces multinationales, un seul objectif est visé, celui de faire le plus de profit possible, et ce au détriment des populations locales.
Comme nous le verrons ci-après, ces inégalités ne se limitent pas uniquement à la sphère économique, mais touchent l’ensemble des droits d’un individu et viennent menacer les fondements de nos sociétés dites démocratiques.
Document produit par Mouvement d’éducation populaire et d’action communautaire du Québec [août 2009]
Voir le document complet du MÉPACQ : La crise et nous : Impacts et écueils [PDF – 9 pages]