Supposer que la récession puisse être effacée par une mini-reprise, c’est ne pas voir plus loin que le bout de son nez. Que l’ajustement sur l’emploi ait été (relativement) modéré compte tenu de l’ampleur du choc, c’est possible. Mais la contrepartie est un recul brutal de la productivité que Rexecode chiffre à 2,2 %. Cela veut dire que les résultats des entreprises se dégradent d’autant, ainsi que les finances publiques pour la part du chômage partiel qu’elles prennent en charge. Qui peut croire que les entreprises ne vont pas chercher à rétablir leurs profits, en bloquant les salaires, ou en ajustant leurs effectifs ? Tous les dispositifs, comme le chômage partiel qui joue un rôle considérable en Allemagne, ont une durée d’utilisation limitée. Et, lorsqu’ils seront épuisés, les licenciements secs prendront le relais. Le gouvernement le sait bien, qui a fait plutôt profil bas à propos du « recul » récent du chômage acquis à coup de radiations, et qui n’empêchera pas son augmentation ultérieure (sous réserve de nouveaux traitements « statistiques »).
L’hypothèse d’une reprise significative est peu probable en raison même des ajustements face à la crise. Aux Etats-Unis, le taux d’épargne des ménages a sensiblement augmenté, ce qui veut dire que la surconsommation fondée sur le surendettement ne pourra plus retrouver son rôle de moteur de la croissance. La Chine redémarre mais la demande intérieure joue un rôle plus important que les exportations, ce qui implique aussi de moindres importations et donc des débouchés moins dynamiques pour les Etats-Unis ou l’Europe. Le Japon est catatonique, le Royaume-Uni en quasi-faillite, et l’Allemagne ne compte que sur les exportations, contribuant ainsi à déprimer la croissance dans toute l’Europe. Un secteur moteur comme l’automobile va tomber en panne une fois que les primes à la casse seront supprimées. Et les entreprises ne sont en rien incitées à investir au-delà d’un maintien des capacités de production dans quelques secteurs. Ne parlons pas de l’immobilier.
Les mois à venir verront donc s’enclencher une nouvelle boucle récessive alimentée par deux mécanismes qui ne jouent pas encore. D’abord, la demande salariale va finir par stagner en raison de la baisse de l’emploi et du blocage des salaires. Ensuite, les mesures destinées à résorber les déficits budgétaires vont progressivement annuler l’effet d’entraînement des dépenses publiques et sociales sur l’activité économique.
On aurait donc tort de se laisser impressionner par le sentiment général de soulagement : « ce n’était finalement pas si grave ! » Il y a au contraire devant nous plusieurs années de croissance déprimée et de mesures d’austérité destinées à éponger les plans de relance. Derrière les discours lénifiants, se joue en réalité une sinistre comédie : ce qui se passe aujourd’hui, c’est la reconstitution discrète des profits et des rentes, dont l’affaire du milliard de bonus est un petit symbole. Et de très mauvais coups se préparent contre la Sécu et les retraites.
Tout ceci est après tout compréhensible : les intérêts sociaux dominants n’ont qu’un seul objectif, celui de rétablir le fonctionnement du capitalisme antérieur à l’éclatement de la crise. C’est logique mais en même temps absurde. Logique, parce qu’il n’existe pas d’alternative : de la dernière grande récession (celle de 1974-1975) le capitalisme a pu sortir au prix du grand tournant néolibéral du début des années 80. Mais il n’y a au fond que deux manières de fonctionner pour le capitalisme : « à la Keynes », comme pendant les « Trente Glorieuses », ou « à la libérale ». Comme les pressions sociales sont insuffisantes pour revenir à la première formule, il ne reste d’autre issue que d’aller encore plus loin dans la voie néolibérale. Mais c’est absurde : cette voie est durablement bouchée parce que ses conditions de viabilité ont été détruites par la crise financière. Telle est la contradiction majeure de la période qui s’ouvre.