En octobre 1970, le FLQ passe à l’action. L’enlèvement du consul britannique James Cross, puis celle du Ministre libéral du travail Pierre Laporte, est présenté par le FMQ comme un acte de résistance «nécessaire». Le FLQ demande la libération des prisonniers liés à ses actions, la lecture à la télévision du Manifeste, le réemploi de 400 ex-employés de l’entreprise Lapalme par Postes Canada à la suite de leur mise à pied, le libre-passage des cellules responsables des enlèvements vers Cuba, ainsi que $500 000. Jusqu’à la proclamation de la Loi des mesures de guerre (16 octobre), l’effervescence est palpable au Québec. Le 8 octobre, le gouvernement cède à l’exigence du FLQ en présentant la lecture du Manifeste à Radio-Canada. L’émotion est vive. Des syndicalistes, des leaders communautaires, des curés, des intellectuels, des jeunes, pensent et disent que ce Manifeste «touche juste». C’est un texte très poétique, imagé, utilisant l’ironie et la dénonciation, et qui parle de l’oppression, mais aussi de la révolte.
Le Front de libération du Québec n’est pas le messie, ni un Robin des bois des temps modernes. C’est un regroupement de travailleurs québécois qui sont décidés à tout mettre en œuvre pour que le peuple du Québec prenne définitivement en mains son destin. Le Front de libération du Québec veut l’indépendance totale des Québécois, réunis dans une société libre et purgée à jamais de sa clique de requins voraces, les « big boss » patronneux et leurs valets qui ont fait du Québec leur chasse-gardée du cheap labor et de l’exploitation sans scrupule.
Le ton est plutôt libertaire :
Travailleurs du Québec, commencez dès aujourd’hui à reprendre ce qui vous appartient; prenez vous-mêmes ce qui est à vous. Vous seuls connaissez vos usines, vos machines, vos hôtels, vos universités, vos syndicats; n’attendez pas d’organisation miracle. Faites vous-mêmes votre révolution dans vos quartiers, dans vos milieux de travail. Et si vous ne la faites pas vous-mêmes, d’autres usurpateurs technocrates ou autres remplaceront la poignée de fumeurs de cigares que nous connaissons maintenant et tout sera à refaire. Vous seuls êtes capables de bâtir une société libre.
Les étudiantEs en octobre
Peu après le 8 octobre, des assemblées ont lieu un peu partout dans les universités et cégeps. À de nombreux endroits, les assemblées sont remplies à craquer et des résolutions en appui aux revendications du FLQ sont votées. Le débat porte parfois sur la violence, certainEs remettant en question la légitimité des actions du FLQ. Cet argument par ailleurs est porté par les chefs du Parti Québécois, dont René Lévesque, qui dénonce le FLQ en des termes assez durs. À l’Université du Québec à Montréal, ces hésitations ne sont pas très populaires. Une grève générale et illimitée est déclarée, «jusqu’à la satisfaction des revendications du FLQ». Les bâtiments administratifs de l’UQAM sont occupés, ce qui en fait une sorte de quartier général improvisé de la fronde étudiante. Pendant la semaine subséquente, des rencontres ont lieu pour organiser une grève générale à l’échelle de la province. Un grand rassemblement est finalement convoqué le 15 octobre à Montréal. 5 000 militantEs, principalement des jeunes et des étudiants, sont réunis pour affirmer leur appui aux revendications du FLQ. La foule est chauffée à bloc par l’avocat Robert Lemieux et le syndicaliste Michel Chartrand. Quelques heures plus tard dans la nuit du 16 octobre, la loi des mesures de guerre est proclamée. Des centaines de personnes, dont un grand nombre de militantEs étudiantEs, sont arrêtées. Pour un temps, le mouvement d’appui au FLQ est passablement cassé. La présence de plusieurs milliers de militaires dans les villes du Québec et les tactiques d’intimidation de la police durent pendant plusieurs semaines. Dès novembre cependant, des manifestations reprennent contre la Loi des mesures de guerre. De grosses assemblées ont lieu à l’UQAM et à l’Université de Montréal, pour mettre en place une coalition contre la répression. Quelques dizaines de gens au début, des centaines et finalement des milliers, bravent le climat mais aussi la peur pour sortir dans la rue. Au début de 1971, les manifestations reprennent en appui aux détenus. Les procès des «5» (Lemieux, Chartrand, Vaillières, Gagnon, Larue-Langlois) aboutissent à de puissants échanges médiatisés (les accusés sont libérés). Lors du procès des membres de la cellule Chénier, Paul Rose et ses camarades sont appuyés par divers manifestants et manifestantes qui dénoncent le caractère illégitime de la répression.
Le rebond
Au printemps 1971, les mobilisations continuent. L’UQAM, toujours elle, tombe en grève. Les employéEs de soutien, syndiqués avec le SCFP, organisent le piquetage auquel se joignent plusieurs centaines d’étudiantEs. Certes c’est une grève comme d’autres, autour de revendications spécifiques. Mais en même temps c’est une grève qui brise la glace pour le mouvement social. Le fait qu’elle ait lieu en milieu universitaire n’est pas non plus un hasard. Les grévistes du SEUQAM remportent une victoire décisive, qui ouvre la voie à la remobilisation étudiante et syndicale. À l’automne 1971, moins d’un an après la crise d’octobre, plusieurs conflits de travail acquièrent un caractère très politique. Au journal La Presse, le conflit met aux prises une vaste coalition syndicale CSN-FTQ contre un des grands monopoles médiatiques, très liés au gouvernement libéral. Parallèlement, les profs de l’UQAM ferment (encore une fois) l’Université, avec des revendications professionnelles, mais également politiques, sur la nature du système éducatif notamment. Enfin, c’est la grève des employés de l’Université de Montréal qui veulent, comme leurs camarades de l’UQAM, marquer des points. Tout cela se combine évidemment. Les étudiantEs de même que les jeunes travailleurs et travailleuses, sont très actifs dans ces grèves et ces mouvements. Au début de 1972, les syndicats prennent les devants et articulent un programme pour l’ensemble du secteur public. Un rassemblement-monstre a lieu au Forum de Montréal. Quelques mois plus tard, des grèves sont déclenchées un peu partout, menant à l’occupation d’entreprises et de villes.
Un mouvement de profondeur
Tous ces épisodes démontrent la profondeur et l’enracinement d’un mouvement des jeunes qui prend ici et là l’allure d’une révolte. Les jeunes en ont marre d’un système qui hérite des structures de domination archaïques imposées pendant la «grande noirceur». La perception est que la «révolution tranquille» a été détournée par «ceux d’en haut» qui ont modernisé ces structures en en préservant l’essentiel. Certes l’éducation devient plus accessible (avec la création des cégeps et de l’UQAM), mais elle reste élitiste. La condition des jeunes travailleurs n’est plus la même que celle qui prévalait pour leurs aînés, mais pourquoi la société québécoise doit-elle tolérer l’injustice et l’exploitation ? Ces questions et bien d’autres résonnent parmi les jeunes. Une partie importante de ceux-ci évoluent vers le PQ qui apparaît, avant et après Octobre, comme une porte de sortie réaliste, une ouverture vers les changements, sinon révolutionnaires, mais au moins fondamentaux. D’autres jeunes veulent aller plus loin, et beaucoup d’investissent dans l’action communautaire et syndicale, où ils bousculent les structures établies et les leaderships qu’ils perçoivent comme hésitants et tièdes. D’autres enfin se mettent à construire des projets politiques révolutionnaires qui prennent toutes sortes de couleurs. Les retombées de cette irruption sont importantes et ont des effets à long terme.
Relire Octobre 1970
Somme toute, relire Octobre 1970 implique de mieux comprendre le contexte et d’analyser les mouvements de société en profondeur. Les actions du FLQ au départ appuyées par un grand nombre de jeunes (beaucoup ont changé d’idée lors de la mort de Pierre Laporte) correspondaient d’une certaine manière à l’«air du temps». Non pas que les jeunes voulaient «passer à l’action» dans les termes du FLQ (l’idée de la lutte armée n’avait pas beaucoup d’adeptes). Mais plusieurs pensaient nécessaire de confronter le système et forcer des changements radicaux.
Les NCS organisent un colloque, 40 ans après Octobre 1970, le 30 octobre prochain. Les détails sur le site web : https://www.cahiersdusocialisme.org/