A l’heure où cet article est écrit, on ne sait pas encore si l’accident nucléaire de Fukushima est arrivé à son terme. Mais il est déjà évident qu’il est le plus important depuis Tchernobyl, en 1986. Et si ses conséquences ne peuvent être encore exactement mesurées, on ne voit pas comment il n’ébranlerait pas la politique énergétique mondiale. Il est certes trop tôt pour affirmer que la « renaissance du nucléaire » en sera avortée – notamment parce que c’est largement à la Chine de donner la réponse.
On peut aussi observer que, de la même manière que la marée noire du golfe du Mexique, en 2010, n’a pas infléchi la course avide au pétrole, de la même manière que la crise financière de 2008 n’a pas conduit à une refonte du système financier, l’accident de Fukushima pourrait ne pas obstruer durablement le cours d’une augmentation constante de la consommation énergétique.
Mais la succession de ces faillites, de ces accidents, de ces craquements atteste que la logique qui préside à leur survenue est malade : on ne peut plus raisonner avec le pétrole sans penser au pic pétrolier et au changement climatique ; on ne peut plus observer le système financier sans constater qu’il vampirise les économies ; on ne peut plus croire aux récits lénifiants sur l’innocuité de l’énergie nucléaire.
Ce que nous dit l’accident de Fukushima, c’est que l’énergie doit revenir en politique : derrière les choix énergétiques se joue le mode de vie d’une société. Ils déterminent une façon d’être, qui doit être démocratiquement délibérée. Démocratiquement, c’est-à-dire de façon telle que les deux plateaux de la balance soient réellement présentés aux citoyens. Celui qui décrit le confort d’une société où l’énergie est abondante, certes. Où la myriade des objets technologiques qu’invente la société productiviste semble pouvoir couler dans la vie quotidienne comme s’ils tombaient du ciel. Le discours dominant et la publicité s’emploient jour après jour à le vanter. Mais il faudrait aussi qu’avec la même attention soit présentée la fragilité d’une culture énergétique qui oublie la radioactivité, l’épuisement des ressources, le changement climatique. Qui oublie, aussi, le prix humain nécessaire pour obtenir l’énergie si vitale au système économique qu’elle est devenue comme une drogue dont on ne peut plus réduire les doses sans un profond malaise.
Il n’est plus temps, pour les politiques, de se défausser des choix techniques sur des ingénieurs. Comme il n’est plus temps pour les citoyens de considérer l’énergie comme une donnée extérieure, en quelque sorte, à leurs soucis et à leurs souhaits.
Hervé Kempf (Chronique « Ecologie »)
* Article paru dans le Monde, édition du 16.03.11. | 15.03.11 | 13h31 • Mis à jour le 15.03.11 | 13h31.
* kempf lemonde.fr