Anne Latendresse, professeure au département de géographie de l’UQÀM
Depuis un mois, la population palestinienne de Jérusalem-Est et des autres territoires palestiniens occupés, sont dans la rue malgré la pandémie, exprimant ainsi indignation, colère et résistance face à une nouvelle tentative d’expulsions de familles palestiniennes dans le quartier Sheikh Jarrah à Jérusalem-Est. Depuis 1967, plusieurs bâtiments et habitations ont été confisqués par l’État d’Israël. À la suite de l’échec du processus de négociations d’Oslo des propriétés palestiniennes sont ciblées par des colons juifs qui s’y installent par la force. Leurs tactiques sont sensiblement les mêmes : des colons le plus souvent armés, viennent intimider les habitants palestiniens durant plusieurs jours consécutifs, parfois en pleine nuit, dans le but de les faire fuir. L’État israélien se dit non responsable de ces actions, mais en réalité, l’évacuation des familles palestinienne se déroule le plus souvent sous l’œil bienveillant des forces de police, voire de l’armée. Une fois qu’une propriété est occupée de façon illégale par des colons, ces derniers procèdent alors à une stratégie de grignotage, occupant une à une les maisons environnantes.
Les expulsions « légalisées »
Dans les cas où les familles palestiniennes entreprennent des poursuites légales, les avocats au service des colons juifs font valoir la loi « des biens des absents » qui attribue à l’État juif la propriété de tout bien dont les propriétaires sont absents (c’est ainsi que les propriétés des réfugiés palestiniens ont été confisqués par l’État d’Israël). Une autre loi sur les affaires juridiques et administratives permet aux Juifs israéliens de faire valoir des revendications de propriétés foncière et immobilière qui auraient appartenu à des familles juives de Jérusalem-Est avant la création d’Israël en 1948. Lorsque de tels cas se retrouvent devant les tribunaux, ces derniers ont à trancher la cause selon les lois israéliennes. Aujourd’hui six familles Sheikh Jarrah sont menacées d’expulsion. Les 27 Palestiniens et Palestiniennes impliqués risquent de perdre leur carte d’identité si elles se voient obligées de quitter Jérusalem pour aller vivre ailleurs en Cisjordanie. Ainsi, ce quartier où se trouve multitude de petits commerces, de garages et d’ateliers de travail, en plus de sa vocation résidentielle, perpétueen un sens la Nakba ( « catastrophe » en arabe), soit la genèse du drame vécu par le peuple palestinien depuis la création de l’État d’Israël.
À qui appartient Jérusalem ?
Comme le rappellent journalistes et commentateurs, Jérusalem est en effet, une ville sainte pour les trois grandes religions monothéistes, soit l’Islam, le christianisme et le judaïsme. De ce fait, cette ville occupe une place symbolique majeure dans les représentations politiques d’Israël qui l’a consacrée sa « capitale éternelle ». Du l’autre côté, pour l’Organisation de libération de la Palestine (l’OLP) qui représente les Palestiniens et Palestiniennes peu importe où ils et elles se trouvent, et pour l’Autorité palestinienne (l’AP) qui gouverne la Cisjordanie, Jérusalem-Est est appelée à devenir la capitale du futur État palestinien.
Rappelons qu’en 1948, à l’issue de la première guerre Israélo-arabe, la ville était séparée en deux parties, l’ouest de la ville étant absorbée dans le territoire du nouvel État israélien et l’Est, placée sous contrôle jordanien. Nombre de familles palestiniennes de Jérusalem ont été forcées de quitter leur demeure et sont allées s’établir ailleurs dans le territoire alors sous contrôle jordanien, ou ailleurs dans le monde arabe. De 1948 à 1967, la Vieille ville de Jérusalem où se situent les lieux saints, était sous la protection des forces des Nations Unies. Dix-neuf ans plus tard, en 1967, Israël s’accaparait la partie arabe de la ville à la suite de la deuxième guerre israélo-arabe, et ce à l’encontre de la Convention de Genève et du droit international afin de « réunifier » la ville et d’en faire sa « capitale éternelle et indivisible». En regroupant les deux parties de la ville pour en faire sa capitale, il était impératif pour le gouvernement israélien de créer un rapport démographique majoritaire en faveur des Juifs et des Juives, d’où le fait que le nouveau tracé municipal adopté laissait certains villages et camps de réfugiés palestiniens à l’extérieur des frontières de la ville. Outre la stratégie d’exclure des secteurs palestiniens densément peuplés à l’extérieur des limites de la ville, l’État israélien planifiait la construction de colonies de peuplement dans la partie est, soit de nouveaux quartiers destinés exclusivement à des Juifs et des Juives, construits sur des terres palestiniennes.
Une judaïsation qui ne passe pas
Toujours pour imposer par la force sa légitimité sur l’ensemble de la ville, les dirigeants israéliens ont au fil des ans, eu recours à différentes mesures pour limiter la croissance démographique palestinienne. En ce sens, la municipalité impose des contraintes à la construction de nouvelles demeures ou d’agrandissement des maisons déjà existantes pour leurs enfants etc. Cette judaïsation forcée de Jérusalem crée des tensions qui n’en finissent plus d’allumer des brasiers dont celui qui existe maintenant et dont les retombées vont bien au-delà de Jérusalem, vers l’ensemble vers l’ensemble des territoires d’occupés d’une part, et même vers les pays arabes et musulmans de la région. Malgré la répression, les Palestiniens et Palestiniennes de Jérusalem (40 % de la population) persistent et signent.