Après le 11 septembre 2001
Au tournant des années 1990, les États-Unis se lancent dans une nouvelle tentative pour « dompter » les arabo-musulmans au Moyen-Orient.
Le projet prend une tournure inattendue après le 11 septembre 2001. Les invasions de l’Afghanistan et de l’Irak, les agressions à répétition dans la région de l’allié-subalterne israélien, les menaces contre l’Iran, la « chasse aux terroristes » qui s’étend partout dans le monde à coups d’enlèvements, de détentions illégales et de torture révèlent l’ampleur de la « guerre sans fin » décrétée par le président Bush.
De manière générale, les autres pays comme le Canada endossent les mesures répressives prises à l’égard de populations « suspectes » sur leurs territoires, c’est-à-dire contre les arabo-musulmans essentiellement. Plusieurs milliers de citoyens américains, canadiens, français, britanniques sont privés de leurs droits, emprisonnés sans accusation ni procès ou confinés à des systèmes de contrôle ahurissants, comme on l’a vu ici avec les « certificats de sécurité » et les cas extrêmes de citoyens canadiens envoyés à la torture.
A ce moment-là, les « théories » de la « guerre de civilisations » connaissent un fort regain. Il y a le côté vulgaire, construit par Hollywood. Inévitablement, de méchants « terroristes » masqués par leurs keffiehs aux couleurs palestiniennes tuent des innocents, puis sont tués à leur tour par des commandos de la civilisation. La bataille des idées entre également dans l’espace public, notamment en France, où toute une intellectualité réactionnaire s’agite contre les « barbares ». Le plus connu, Bernard Henri-Lévy, se permet des « enquêtes » truffées de mensonges, et où les « sauvages » arabo-musulmans, comme au Pakistan, sont présentés comme des êtres qui « aiment tuer ».
Peu à peu cependant, des malaises surgissent face à ce qui se révèle comme une tentative des États-Unis de maintenir leur hégémonie. Les populations dans plusieurs pays européens, au Canada et ailleurs, s’insurgent contre le discours haineux et mensonger et s’opposent à la guerre sans fin, ce qui contribue à l’échec subséquent de Bush. Après leur humiliante défaite en Irak, les États-Unis restent cependant déterminés. Le passage de Bush à Obama indique un changement de tactique, mais sur le fonds, c’est la continuité. Washington endosse les nouvelles agressions israéliennes contre les Palestiniens et le Liban et bloquent tout processus de paix, à l’ONU notamment. Les législations liberticides demeurent en place, même si elles sont moins utilisées.
A une autre échelle, la bataille des idées continue de plus belle. Islam = islamisme = terrorisme.
Sauver « notre » civilisation
Sous l’égide de la guerre sans fin, la stratégie de conquête et de contrôle se fait sous la bannière des « droits ». Le droit du plus fort pour agresser et conquérir est accepté, mais pas celui du plus faible. Cette interprétation particulière des droits est une autre manière de poursuivre, dans le domaine des idées, la « guerre des civilisations ». L’agression contre les Palestiniens, Libanais, Irakiens, Maliens et autres, c’est pour préserver la démocratie. C’est un peu risible, mais avec la complaisance des intellectuels de service et d’Hollywood, cela influence une partie de l’opinion. Mais visiblement, ce n’est pas assez. Alors voilà que se glisse une autre interprétation perverse. Le complot arabo-musulman, dans la fantasmagorie des Henri-Lévy et des Denyse Bombardier, est en train de pénétrer le « cœur de la civilisation ». Les barbares ont des intentions terroristes, et ils veulent tuer non seulement des personnes, mais notre « démocratie ». Pour cela, ils transforment les mosquées en des centres de conspiration. Ils cherchent à imposer leurs valeurs dans nos institutions, nos écoles. Il serait certes abusif d’affirmer qu’en aucun moment ni lieu, il n’y a pas des poches d’intégrisme, y compris (mais pas exclusivement) chez les arabo-musulmans. Effectivement des prédicateurs salafistes existent, comme des « preachers » d’extrême-droite qui veulent envoyer en enfer les femmes qui ont eu un avortement. Dans cette petite minorité existe une autre encore plus petite minorité qui penche vers l’action terroriste. En tout et pour tout, il s’agit d’une poignée de gens, la plupart du temps totalement infiltrés et surveillés par les appareils policiers. C’est de là qu’on tente de saisir l’opinion publique avec la funeste idée : islam = islamisme = terrorisme.
Le fantasme de la femme voilée
Des journalistes mal intentionnés à l’œuvre dans les médias-poubelles, des politiciens populistes prêts à tout et parfois des intellectuels peu informés s’emparent de cette image pour convaincre l’opinion qu’il y a une grave menace. La question est tordue par une interprétation du droit à l’égalité et du statut de la femme, comme si le voile était antinomique avec « nos » valeurs et comme si les arabo-musulmans, peut-être encore plus les arabo-musulmanes, menaçaient nos droits. Ça marche car au Québec, on est majoritairement en accord avec l’idée de l’égalité, même si le système économique, capitaliste appelons-le par son nom, fait en sorte que dans notre société « moderne » et égalitaire, les femmes restent en bas de l’échelle sociale.
Quels sont les faits ? D’abord, c’est une assez petite minorité des Arabo-musulmanes qui portent le voile. Celles qui le portent le font pour des raisons très diverses : respect de la tradition familiale, attachement à la religion, désir de manifester son identité au moment où un dispositif étatique et médiatique la dénigre, etc. En fin de compte, plus le voile est décrié, plus il devient le faux emblème d’une expression identitaire. Pour une petite minorité de cette minorité, il y a sans doute des intentions réactionnaires plus ou moins avouées, de promouvoir une « civilisation » contre une autre (c’est l’envers de Samuel Huntingdon, également mensongère).
Laïcisation
Au Québec, la majorité de la population est partisane d’une laïcisation intelligente, qui ne prend pas les gens pour des imbéciles, y compris ceux qui sont attachés à leur religion. La laïcisation s’est faite progressivement sous l’impulsion des luttes féministes et de la résistance à l’État clérical, réactionnaire et catholique qui sévissait durant les longues années de la « grande noirceur ». Ce fut d’abord un travail « par en bas », dans la société civile et les institutions, et non un décret par en haut qui aurait eu le désavantage d’être autoritaire et d’être perçu comme « anti-religieux » pour une population encore attachée à une histoire, des références, des habitudes, ce qui fait qu’on célèbre Noel ou Pâques sans penser qu’à l’origine, ces fêtes avaient été pensées pour rappeler les « fidèles » à l’ordre. Pour autant, des législations ont été mises en place pour institutionnaliser cette laïcisation, qu’on pense à la déconfessionnalisation (partielle) des écoles (on a laissé les écoles privées proliférer sous l’influence des élites et des milieux catholiques), au droit à l’avortement libre et gratuit, et à l’interdiction de pratiques archaïques qui au nom des religions (y compris catholique) confinaient les femmes dans un statut de seconde classe, l’interdiction du droit de vote par exemple (que défendaient becs et ongles Duplessis et ses amis de la hiérarchie catholique).
Résister
La « nouvelle » islamophobie constitue un réel danger pour affaiblir, diviser et confondre les couches moyennes et populaires. En tout cas, c’est ce que semble indiquer l’impact de la croissance de la droite et de l’extrême-droite en Europe où se distille le poison de l’idéologie de tout-le-monde-contre-tout-le-monde. Derrière cela, il y a la dislocation sociale et économique, la dérive des partis politiques (y compris de la social-démocratie), les interdictions et blocages érigés contre la liberté d’association et de parole. Il y a la peur construite par les médias-poubelles et l’intellectualité réactionnaire. Il y a un sentiment d’être dans un monde qui est une sorte de gros Titanic qui s’en va vers la catastrophe …
Il faut résister
. Au premier plan, une lutte sans merci et sans relâche contre la discrimination dont on connaît très bien les conséquences, quand on s’appelle Mamadou, Fatima ou Mohamed, et qui se traduit pas des statistiques à faire peur, comme le fait que le taux de chômage frappe deux fois plus les arabo-musulmans à Montréal, malgré les diplômes (qu’on ne leur reconnaît pas). Cette discrimination ne touche pas seulement les arabo-musulmans, mais bien d’autres couches immigrantes, qui connaissent l’humiliation quotidienne, la difficulté de se loger, et parfois, le profilage policier et les regards haineux. Les mouvements populaires doivent être en campagne permanente contre ces discriminations.
Également, sur l’égalité entre les hommes et les femmes, il n’y aucun compromis à faire, pour qui que ce soit. Cette bataille, rappelons-le, est loin d’être terminée et dans la plupart des cas, n’a pas grand-chose à voir avec le voile ou la religion.