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Inégalités et financement des écoles

Philippe Hurteau, Nouveaux Cahiers du socialisme, L’école publique au temps du néolibéralisme, no. 26, automne 2021. (Philippe Hurteau est chercheur à l’IRIS).

Les écoles québécoises sont sous pression. En plus du contexte de pandémie qui augmente le stress organisationnel autant sur le personnel que sur les élèves, il ne faut pas oublier le contexte financier qui, depuis des années, fragilise la mission éducative de nos institutions d’enseignement. Dans ce texte, nous proposons un tour d’horizon critique de l’évolution récente du financement scolaire.

Bilan des années d’austérité

Le gouvernement caquiste n’a pas ménagé ses efforts depuis 2018 pour mettre de l’avant son programme : abolition des commissions scolaires[1], généralisation des maternelles 4 ans et diminution des taxes scolaires[2]. Sous couvert de prioriser l’éducation, d’en faire une priorité nationale selon les dires du premier ministre, ces réformes ont en fait perpétué une pratique de gouvernement qui tend à limiter l’éducation à son simple rôle de formation d’un futur bassin de main-d’œuvre.
Disons-le, avec les années d’austérité budgétaire imposées par les gouvernements précédents, le terreau était fertile pour accueillir la conception strictement utilitaire de la Coalition avenir Québec (CAQ). Depuis 2003-2004, les crédits alloués aux commissions scolaires n’ont pas permis de combler l’augmentation des coûts de système. Pour y arriver, il aurait fallu bonifier de 1,4 milliard de dollars les sommes versées en 2016-2017[3].
Pendant que les montants investis manquaient pour satisfaire les besoins, le nombre d’élèves présentant un handicap ou des difficultés d’adaptation ou d’apprentissage (HDAA) a connu une hausse de 34 %. Rappelons que cette « catégorie » d’élèves requiert des services spécialisés complémentaires, et donc des investissements supplémentaires à la hauteur des besoins. À cela s’ajoute un bon nombre d’élèves qui ne sont pas reconnus comme HDAA, mais qui devraient l’être selon les enseignantes et les enseignants.
Le sous-financement survenant en même temps qu’une augmentation des besoins a été rendu possible, notamment, par le biais de la détérioration des conditions de travail du personnel de l’éducation. Détérioration des salaires bien entendu puisque ceux-ci ne suivent même pas l’inflation, mais plus globalement détérioration des conditions de pratique. En gros, le réseau de l’éducation tient debout essentiellement en raison de l’intensification de la productivité du travail ou, pour le dire plus crûment, par le fait que le personnel doit chaque année apprendre à faire plus avec moins. Si cette logique fonctionne au plan comptable, elle s’avère un échec désastreux au plan humain et pédagogique.
Ces tendances parallèles et contradictoires, soit un retard de financement qui se couple à une augmentation des besoins peut s’observer d’une autre manière : en révélant l’évolution de la la part que représentent les investissements dans les écoles par rapport au produit intérieur brut (PIB) québécois. De cette façon, il est possible de suivre les fluctuations de l’importance sociale associée à l’éducation. Que constatons-nous ? Que cette importance est en baisse : la part du PIB consacrée aux dépenses publiques pour le réseau scolaire est passée de 2,50 à 2,28 % entre 2003-2004 et 2016-2017. Rétablir le niveau de 2003-2004 équivaudrait alors à une augmentation des crédits versés par Québec de 873 millions de dollars[4]. Que l’on utilise les coûts de système ou la part du PIB, on arrive toujours au même résultat : le réseau scolaire est sous-financé.
Une autre manière de montrer le retard du Québec en matière de financement de son système éducatif primaire et secondaire est de procéder à un comparatif interprovincial. Afin de tenir compte des diversités propres à chaque province, notamment les diversités démographiques, il est utile d’avoir recours aux dépenses moyennes des établissements par élève afin de mettre de l’avant des comparaisons adéquates.
Sur les dix provinces canadiennes, le Québec arrive au septième rang en matière de financement par individu[5]. Par rapport à la moyenne canadienne, le retard québécois se chiffre à 777 dollars par élève par année.
Quand vient le temps de financer son réseau scolaire, le Québec est loin d’être à la hauteur ces dernières années. Est-ce encore le cas ? Bien entendu, les deux premiers budgets de la CAQ ont pu mettre de l’avant d’importants réinvestissements variant entre 6,7 % et 4,5 % pour l’ensemble de la mission Éducation et Enseignement supérieur[6]. Cependant, pour les commissions scolaires, transformées depuis en centres de services scolaires, ces réinvestissements n’ont pas été au rendez-vous, notamment en raison de la contraction des budgets associée à l’uniformisation de la taxe scolaire.

Ponction du secteur privé

Le monde scolaire québécois est marqué par une séparation nette entre le réseau public et les écoles privées. Après l’application des mesures d’austérité entre 2010 et 2016, il appert que les écoles privées ressortent de ces dernières années de coupes avec un positionnement qui les avantage encore plus qu’avant comparativement aux écoles publiques. Une analyse comparative des revenus des écoles privées et publiques rend cette asymétrie limpide : les écoles privées ont traversé beaucoup plus facilement cette période difficile[7].
Tout d’abord, en faisant le portrait des transferts gouvernementaux pour la période des compressions et les années qui précèdent, on s’aperçoit que les écoles privées étaient mieux préparées pour affronter les années d’austérité. De 2001-2002 à 2015-2016, ces transferts avaient augmenté de 18 % au privé contre 11 % au public[8]. Cet avantage marqué pour le privé est encore plus important lorsqu’on prend en compte leurs revenus totaux, qui ont grimpé de plus de 40 %. Ces chiffres portent à croire que les établissements privés d’enseignement avaient les reins plus solides et étaient davantage prêts à supporter les compressions.
Ensuite, des sources de revenus plus diversifiées ont permis aux écoles privées de mieux s’adapter aux aléas du financement gouvernemental. Alors que les commissions scolaires sont dépendantes à plus de 75 % des transferts gouvernementaux du ministère de l’Éducation, les écoles privées, elles, peuvent compter sur un plus large éventail de sources de revenus. Par exemple, les « contributions des élèves » (droits de scolarité) représentent 29 % de leurs revenus; les « revenus généraux », 16 % et les « dons », 5 %. Cette diversification les a prémunis contre les courses au déficit zéro et autres objectifs de compressions imposées par Québec.
Pour bien comprendre la différence entre l’exposition des écoles privées et des commissions scolaires aux compressions, il est intéressant de relever qu’en 15 ans, les années de coupes n’ont pas eu les mêmes conséquences dans chaque secteur. Du côté du privé, à trois occasions leurs subventions en provenance de Québec ont baissé. Cependant, à chaque fois, la diversification de leurs revenus a fait en sorte que leurs revenus totaux ont tout de même augmenté.
À l’opposé, les quatre années durant lesquelles le financement public des commissions scolaires a chuté ont entraîné un recul de leurs revenus totaux. En clair, le privé peut compenser les coupes tandis que le public n’a pas cette marge de manœuvre. Le bilan de l’austérité aura donc été d’accroître les écarts de financement à l’avantage du privé.
Il est également important de mentionner que la population fréquentant les écoles publiques ne ressemble en rien à la « clientèle » du privé. Les écoles privées ont la possibilité de procéder à un écrémage de leurs élèves en ne sélectionnant ou ne conservant que les « meilleurs éléments ». Ceux-ci nécessitent beaucoup moins de suivi que les élèves ayant des troubles d’apprentissage ou provenant de milieux plus défavorisés en ce qu’ils proviennent le plus souvent de milieux plus aisés, plus instruits, ils sont donc plus susceptibles de réussir à l’école.
De plus, de 2001-2002 à 2012-2013, le taux d’élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (EHDAA) est passé de 12 % à 22 % dans le réseau public alors qu’il se situe à moins de 5 % dans les écoles privées[9]. Pour la même période, la fréquentation du secteur public de la formation professionnelle a également augmenté de 25 % et celle de la formation des adultes de 13 %. La responsabilité éducative qui incombe aux écoles publiques est nettement plus complexe et socialement plus large, et cela exige conséquemment des ressources supplémentaires.
Une tendance se démarque clairement : autant pour les centres de la petite enfance (CPE) et les CLSC que pour les commissions scolaires, l’ancien gouvernement libéral a laissé tous les réseaux publics se détériorer au profit de l’essor d’établissements privés, qui opèrent selon leurs propres objectifs et suivant leurs propres intérêts. Cette orientation n’a rien de rassurant pour l’avenir, surtout que tout indique que la CAQ se contente d’en être le prolongement.

Conclusion

Ce portrait général s’inscrit aussi dans la conjoncture particulière des dernières années. Autant par la conversion des commissions scolaires en centres de services que par les réformes apportées au régime de taxation foncière devant les financer, les gouvernements du Parti libéral (PLQ) et de la CAQ ont systématiquement attaqué le réseau scolaire public. Le maintien d’un sous-financement chronique fait partie de cette attaque. Rappelons que malgré la crise découlant de la COVID-19 et ses répercussions sur les finances publiques, Québec n’a pas hésité une seconde à tout de même aller de l’avant dans son projet de diminution des taxes scolaires[10]. Ce cadeau aux propriétaires, base électorale fondamentale du gouvernement Legault, a été financé à même la fiscalité générale. En clair, pendant que Legault fragilise encore le financement des écoles pour plaire à son électorat, il compense ce manque à gagner en pigeant dans les sommes allouées aux autres missions de l’État.
Il est peut-être temps de raviver l’idée de confier au bureau de la Vérificatrice générale une évaluation indépendante des besoins financiers du réseau scolaire. Publiée chaque année avant le dépôt du budget à Québec, une telle évaluation permettrait de se doter d’une perspective plus neutre sur les sommes à engager pour satisfaire les besoins de la population. Au gouvernement, ensuite, de justifier pourquoi il choisit de ne pas faire les investissements qui s’imposent.

NOTES
[1] Eve-Lyne Couturier, Abolir les commissions scolaires : une menace pour l’éducation?, Montréal, IRIS, 2019.
[2] Julia Posca, Réforme de la taxe scolaire : un choix risqué pour les écoles québécoises, Montréal, IRIS, 2018.
[3] Eve-Lyne Couturier et Philippe Hurteau, Conditions de travail et compressions budgétaires. Portrait de la situation dans les écoles du Québec, étude, Montréal, IRIS, 2018.
[4] Idem.
[5] Statistique Canada, Indicateurs de l’éducation au Canada : une perspective internationale, 2019.
[6] Gouvernement du Québec, Budget 2020-2021. Plan budgétaire – mars 2020.
[7] Philippe Hurteau, L’austérité en éducation : les écoles privées sont-elles réellement désavantagées ?, note socioéconomique, Montréal, IRIS, février 2017.
[8] Notons que cette disparité dans les hausses de financement peut s’expliquer en partie par les trajectoires différenciées des cohortes d’élèves, mais pas entièrement.
[9] Gouvernement du Québec, Statistiques de l’éducation. Enseignement primaire, secondaire, collégial et universitaire. Édition 2014, p. 50.
[10] Gouvernement du Québec, Portrait de la situation économique et financière 2020-2021, Québec, 19 juin 2020, p. B.17.

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