La nouvelle organisation Révolution ésocialiste a fait son lancement public ce 15 décembre avec une cinquantaine de personnes.
Pierre Beaudet
Selon Benoit Renaud, un des animateurs de la nouvelle organisation, la genèse de ce projet remonte aux divers regroupements socialistes qui ont proliféré autour de Québec Solidaire depuis 2006, dont le « Réseau écosocialiste », constitué en 2013. « L’idée était alors de développer une approche de gauche un peu plus cohérente auprès de militant-es socialistes actifs dans QS. Cela eu un impact au niveau du programme qui propose d’ailleurs une approche plutôt à gauche ». En 2018 cependant, il est apparu nécessaire de constituer un cadre de travail plus organisé et permanent. « La plupart d’entre nous restent actifs dans QS, mais Révolution écosocialiste est une organisation indépendante, à laquelle on invite les gens à s’identifier. « En tant que socialistes, nous ne voulons pas seulement remplacer le mauvais gouvernement actuel par un bon gouvernement. Au-delà de toutes les batailles et de toutes nos revendications immédiates, « nous pensons qu’une rupture est nécessaire avec le capitalisme ». Au début de 2020, une plateforme a été élaborée autour de l’écosocialisme, de l’écoféminisme et de l’anticolonialisme. Pour autant, l’attachement des militant-es de Révolution écosocialiste à QS reste important. Selon Benoit, « nous voulons encourager QS à se lier aux luttes et aux mouvements populaires. Nous insistons également pour un fonctionnement inclusif, participatif, démocratique », en essayons d’éviter l’aplatissement du parti comme ce qui advient souvent avec des formations politiques agissant au niveau parlementaire. « Ce ne sera pas facile explique Benoit, car il s’agit « d’un phénomène global qui prend la forme de la professionnalisation des partis autour de leurs élus ». Le pari est que QS puisse éviter cette évolution.
Confronter la crise
Roger Rashi qui fait partie de la coordination de Révolution ésocialiste prévoit la mutation de la pandémie en une sorte de crise généralisée. « Le retour de l’austéritarisme est inévitable dans le contexte d’un pouvoir qui refuse de considérer des changements fondamentaux et qui vise « retour à la normale »,, C’est selon lui ce qui se traduira à coût sûr par des attaques contre le secteur public et la population en général, de manière que les intérêts de l’oligarchie financière soient préservés . Il estime par ailleurs que la crise environnementale va également revenir au premier plan, sachant que le très modéré secrétaire général de l’ONU veut déclarer une situation d’ « urgence climatique », d’ici 2030. « Le plan vert de Legault est bric-à-brac, faible, mensonger, sachant qu’avec les timides mesures mises en place, le Québec n’atteindra jamais les cibles au niveau du réchauffement ». Il faut donc redonner une charge radicale à la lutte pour une transition juste, autour de revendications structurantes, par exemple :
- Il est nécessaire de briser les reins du capitalisme destructeur, ce qui veut dire de stopper immédiatement tous les projets pour produire et exporter gaz et pétrole. C’est possible selon Roger, qui voit la mobilisation contre GNL comme un projet précurseur.
- Il faut socialiser le système financier, au cœur du capitalisme prédateur. Ce qui veut dire de créer de nouvelles institutions et réguler les banques actuelles. Cela serait possible par une fiscalité qui irait chercher l’argent où elle est, dans les grandes banques et les grandes fortunes.
- Un autre chantier est la réorganisation de l’État autour d’un plan de transition juste, ce qui impliquerait la création massive d’emplois par et pour les classes populaires.
- Enfin, il faut mettre l’emphase sur la sécurité et la souveraineté alimentaire, en mettant l’agroécologie et l’agriculture de proximité au premier plan, au détriment de l’agrobusiness.
Une perspective écoféministe
Selon Ginette Lewis, une militante féministe et syndicale de la région de Québec, le monde du travail doit se réorganiser autour du CARE, c’est-à-dire des services de base nécessaires pour garantir une bonne vie. Or ce secteur explique Ginette est très majoritairement composé de femmes où on retrouve des bas salaires et des conditions de travail médiocres, comme tout le monde l’a constaté avec la crise du Covid-19 : « ce sont les travailleuses des CHLSD et des établissements de santé qui sont le plus frappées (en proportion) par la pandémie. Or en parle peu. Mêmes les syndicats sont plutôt timides sur la question. Une chance que certaines organisations comme la FIQ aient attiré l’attention, notamment en manifestant devant les ponts ». La gauche doit être présente dans toutes ces batailles. « La violence contre les femmes s’exerce de bien des manières. Ce ne sont pas faits isolés, des incidents. Il y a un système capitaliste qui surexploite, discrimine, se rend coupable d’abus très graves ». « Le patriarcat, selon Ginette, est comme le colonialisme contre les autochtones, c’est-à-dire systémique ». Pour confronter cela, les mouvements populaires doivent décloisonner les luttes pour y intégrer, partout et à chaque étape, les revendications des femmes qui doivent disposer, par ailleurs de leurs organisations autonomes, tout en étant en mesure d’exercer un leadership dans les groupes mixtes ». Cette approche dite intersectionnelle est proposés par Révolution écosocialiste comme un outil indispensable de renforcer le mouvement populaire. À cet égard, André Frappier, qui a été actif dans le mouvement syndical depuis plusieurs années, s’inquiète que la direction des centrales ne semble pas vouloir développer un réel rapport de forces. « On a l’impression qu’elles pensent que la négociation pour renouveler la convention collective du secteur public va se faire comme avant, alors que la situation est plus grave et que beaucoup de travailleuses, surtout parmi des groupes vulnérables venant de l’immigration (dont plusieurs centaines de sans papier) ont peur car elles ne se sentent pas protégées ».
Repenser l’indépendance
Selon Bernard Rioux, un militant socialiste de Québec, la lutte pour l’émancipation nationale est incontournable pour permettre l’avènement d’une société socialement et écologiquement juste et équitable. « L’État canadien s’est construit pour maintenir l’oppression des nations autochtones et québécoise » dans la bonne tradition du « divide and rule » de l’Empire britannique. « Cet État est l’outil privilégié pour le capitalisme canadien prédateur et lié au dispositif impérialiste mené par les États-Unis ». Dans le contexte de la crise selon Bernard, « la lutte d’émancipation n’a rien à voir avec le nationalisme ». Produit des classes dominantes, l’État canadien doit être déconstruit par un projet de souveraineté populaire : « cela implique une rupture avec les projets souverainistes, notamment celui du PQ, qui était en fait une proposition pour laisser une place aux élites québécoises une plus grande place au sein du capitalisme impérialiste canadien ». La nation québécoise, apparaît alors comme un projet populaire en construction, et non, comme le propose le discours dominant, comme une question d’une « identité » établie une fois pour toutes, les soi-disant « valeurs essentielles ». Par ailleurs, il va sans dire que la souveraineté populaire québécoise peut s’exercer si et seulement si elle reconnaît, appuie et lutte pour la souveraineté autochtone.
« Le projet nationaliste traditionnel de défaite en défaite a abouti à proposer une sorte de gouvernance provincialiste, ce qui, à l’avantage de la CAQ a été endossé par le PQ ». À l’origine explique Bernard, les militants socialistes se sont opposés à l’idée d’une alliance entre QS et le PQ, qui aurait amené le parti à se subordonner au nationalisme conservateur avec ses accents ethnistes et xénophobes. Pour André Frappier, la lutte pour l’indépendance et la souveraineté populaire ne peut réussir sans une autre sorte d’alliance, avec les couches populaires et la gauche ailleurs au Canada. « Les travailleurs et travailleuses au Canada, même s’ils sont embrigadés dans une vision fédéraliste et canadianniste, ont intérêt à un projet de rupture au Québec qui les aiderait de leur côté à confronter l’État. « Pour nous au Québec, un rapport de forces favorable pour la gauche exige de trouver des alliés stratégiques au-delà du territoire québécois.