Comme dans tous les pays capitalistes, l’immigration au Canada est une affaire de l’État hautement importante. Il faut contrôler les flux et les ajuster aux besoins de la «société». Ou plus clairement dit, en fonction des impératifs déterminés par l’accumulation capitaliste.
Par Pierre Beaudet
Les origines
Dès la création de l’État canadien en 1867 et par la suite tout au long du XXe siècle, les gouvernements entreprennent une politique volontariste pour amener au pays la «force de travail» nécessaire au développement du capitalisme. Il est également important pour la classe dominante locale et l’Empire britannique auquel elle reste associée d’amener au Canada plus de gens pour «sécuriser le territoire». Il faut en effet confiner et déloger les Premières nations. Et également minoriser et contrôler les populations francophones du Bas-Canada dont la «loyauté» à l’égard de l’Empire est suspecte. Enfin, il faut faire en sorte que l’occupation du territoire empêche les Etats-Unis de faire au Canada ce qu’ils font alors au Mexique à qui ils arrachent de force une grande partie du territoire national.
«Race» et «classe» à découvert
L’immigration devient donc un grand enjeu économique et politique. En conséquence, des moyens considérables sont mis en placer pour recruter des centaines de milliers de paysans et de travailleurs, surtout d’Europe. D’emblée, la politique officielle est ouvertement raciste. Il faut trouver des immigrants de race blanche, préférablement de tradition britannique et «si nécessaire», proche de (Irlandais, Écossais, Nordiques, etc.). L’immigrant «idéal» est alors un ouvrier anglais, préférablement qualifié et alphabétisé. Pour les politiciens de l’époque et les médias, ils sont d’une «race supérieure et ils vont ajouter dans la population canadienne des «éléments sains» aptes à faire contrepoids aux «races inférieures» (amérindiens, asiatiques, francophones, noirs).Cependant, les dominants constatent rapidement que l’influx en provenance des îles britanniques n’est pas suffisant. Il faut absolument trouver, surtout au moment de la grande vague d’industrialisation avant, pendant et après la première guerre mondiale, une vaste main d’œuvre non qualifiée. On se «résigne» donc à recruter ailleurs, surtout en Europe centrale et du Sud (Russie, Italie, Grèce, Yougoslavie, etc.) où l’essor du capitalisme se traduit par un immense exode rural où des millions de petits paysans n’ont plus d’autre choix que de s’exiler pour vendre leur force de travail.
La «menace» immigrante
Peu à peu se construit au Canada un discours médiatique et politique spécifique à l’égard de ces immigrants non-britanniques. Ils sont «dangereux», pathologiquement instables. Sur le plan médical et sanitaire, ils peuvent «contaminer» le reste de la société. Ils sont également politiquement turbulents, attirés par les idées socialistes qui progressent dans leurs pays d’origine. Ils constituent de par leur oppression et leur exploitation une «cible naturelle» pour les «agitateurs communistes» et les syndicats. Tout un système de contrôle policier et médical est alors mis en place pour surveiller et contrôler ces immigrants de «seconde classe».
La «pyramide»
En bas et même en dehors de cette hiérarchie raciale établie se situent d’autres catégories. Il y a bien sûr les Asiatiques, notamment les Chinois, recrutés «à contrat», sans avoir d’autre droit que celui de travailler, interdits de séjour prolongé. On recrute les hommes, on interdit aux familles de venir les rejoindre. On les «place» avec les entreprises de construction qui les exploitent sans merci. Le statut même d’immigrant «normal», avec toutes ses ambigüités, leur est refusé. Ce sont les premiers immigrants «à contrat», assignés aux travaux les plus durs pour des durées spécifiques (construction, agriculture), et sans pratiquement avoir accès à la citoyenneté. A la base de cette différenciation se trouve la logique de hiérarchisation et de disciplinisation de la force de travail. La «pyramide» sociale devient en même temps raciale, atténuant et gommant la dimension de classe. En créant ces catégories, «Britanniques» contre «Italiens», «Italiens» contre «Chinois», tous avec des statuts différenciés, on construit un obstacle formidable à l’identité et l’organisation de classe.
La modernisation d’un système de discrimination
Dans les années 1960, cette politique de discrimination officielle a été abolie. Mais à la place s’est substitué un autre système de hiérarchisation qui comprend à la fois des dimensions sociales et raciales. Le sommet de la pyramide est réservé aux «immigrants reçus» qui comme on le sait ont droit aux mêmes conditions sociales «normales» que les citoyens jusqu’à temps qu’ils ne deviennent eux-mêmes citoyens après une période variable (3 à 5 ans) et après avoir été approuvés par le gouvernement. Ces immigrants sont choisis après un processus long et coûteux sur la base d’un système de points qui valorisent les catégories éduquées et spécialisées et ce dans le but implicite d’«importer» au Canada une main d’œuvre «sur mesure» pour les besoins de l’économie canadienne.
Au milieu de la nouvelle pyramide, se trouvent les immigrants à contrat déterminé. Un programme fédéral géré par Immigration-Canada vise à recruter ces travailleurs «temporaires». Selon le Ministère, le Canada en 2005 a admis 99 146 travailleurs «temporaires, «pour combler des pénuries de compétences sur le marché du travail canadien». Le nombre est impressionnant et en fort croissance (+ 9,5% par rapport à 2004). Parmi les travailleurs à contrat, on compte beaucoup de travailleurs domestiques (caribéens et Philippins), ainsi que les travailleurs agricoles (Mexique et Amérique centrale). De par leur statut précaire et leur mobilité réduite, ces travailleurs sont condamnés à accepter des conditions de travail que personne d’autres ne désirent : salaires bas, heures de travail prolongées, protections sociales réduites au minimum.
En bas de la pyramide enfin, on trouve les illégaux. Il est difficile d’estimer leur nombre et la manière dont ils arrivent au Canada. Selon des enquêtes, il semble que la plupart des illégaux arrivent avec un visa de touriste ou de travailleur temporaire et décident de rester sur place. Ainsi, environ 8% des 800 000 personnes ayant obtenu un visa d’entrée temporaire au Canada en 2002 sont ainsi «disparues» de l’écran radar. Selon diverses estimations, il y aurait 200 000 illégaux au Canada en ce moment. Dans certains secteurs économiques, la construction par exemple, leur présence est palpable. Les employeurs et même la police «tolèrent» cette situation parce qu’elle est très bénéfique aux employeurs. En Ontario, 25% de la main d’œuvre sur les chantiers serait «illégale».