Première leçon : Ne pas faire confiance à la solidarité des étranger-è-s.
Ils ne sont ni plus savants que nous, ni plus vertueux. Ils ne veulent pas nécessairement nous aider et sont souvent motivés par l’appât du gain. Ils se foutent de notre bien-être comme de l’an quarante. Par-delà leurs discours de bienfaisance, certains ont témoigné combien ils étaient là pour faire du profit selon la structure du capitalisme du désastre tandis que d’autres tentaient de nous manipuler comme lors de l’épisode du choléra Népalo-onusien. À l’image répétée de notre désespoir, certain-e-s sont en train de se frotter les mains.
Dès lors, il convient de mettre nos propres dispositifs, notre propre appareillage de contrôle pour assurer à la fois l’efficacité et l’efficience d’un processus de reconstruction, de relèvement tenant compte de nos besoins. Il faut casser la dépendance par rapport à l’Internationale notamment à l’Occident, capitaliste, qui intervient dans le pays uniquement en fonction de ses priorités et qui, qu’importe la situation qui se présente, en profite pour nous transformer en non sujets de droits, en subalternes, dans notre propre pays.
Dans une ville, “disasters and emergencies can stem from many different causes. Consequently, disaster or emergency incidents may vary dramatically both in their causes and effects.” L’essentiel est de savoir quelles sont les mesures que les autorités locales, les collectivités territoriales et les communautés locales vont mettre en place pour y faire face. Si on n’arrive à mettre en place une telle démarche haïtienne participative, par nous-mêmes, comme cela a été fait au Chili sous le gouvernement de Salvador Allende (1970-1973), les catastrophes naturelles deviendront un fait divers de notre quotidien.
Deuxième leçon : Il est hors de question de compter sur les structures actuelles de l’État en Haïti
Longtemps resté à l’écart des grands réseaux mondiaux, il y a juste quatre décennies que l’État en Haïti a entrepris un certain nombre d’ajustements structurels, à la demande des institutions internationales, pour engager le pays sur la voie de la mondialisation néolibérale. Il s’agissait là d’une condition sine qua non pour avoir accès à des financements internationaux ainsi qu’à l’aide au développement. « La conditionnalité, nous dit Holly (2011), est un élément central des politiques imposées aux PVD par les pays donateurs de l’aide au développement » (p. 194). Sous le diktat des agences internationales, les représentants de l’Etat en Haïti ont été incontestablement un promoteur des processus de libéralisation à tous les niveaux. Depuis 1999, les Institutions Financières Internationales (IFI) ont mis en place un arsenal sémantique et conceptuel tournant autour de la notion de « pauvreté », les mécanismes inclusifs de « participation » et la « bonne gouvernance » (Chalmers, 2014 ; Deneault, 2013). Depuis ce temps, il ne fait aucun doute que l’État en Haïti est un acteur au service de l’économie capitaliste mondialisée.
Le processus de reconstruction du centre-ville de Port-au-Prince, à la suite du séisme de 2010, a offert l’occasion de constater une nouvelle fois cette orientation désastreuse pour le pays. Des acteurs engagés dans le processus de la reconstruction sont allés jusqu’à considérer que ce sont les firmes transnationales et quelques magnats du grand capital qui dictent les décisions politiques en matière de reconstruction au bas de la ville en fonction de leurs intérêts au détriment du pays.
Aujourd’hui plus que jamais, composés de bons fantoches et de courtiers de l’Internationale, le personnel étatique est à la solde, sous contrôle et en commandite. Inhabitués à penser les problèmes depuis Haïti, selon une perspective haïtienne et dans l’intérêt de la population haïtienne, il n’est pas étonnant qu’ils soient vite désarmés face au plus petit problème que confronte la communauté, que tout devient pour eux une gageure et que leur seul reflexe soit le recours à leurs commanditaires, leurs tuteurs, aux blancs. Et pour autant que nos catastrophes sont un analyseur de la mondialisation capitaliste et de sa politique économique ultralibérale, il devient dès lors hors de question de compter tant sur le personnel que sur les structures de l’État en Haïti.
Troisième leçon : Il est urgent de se rappeler que les plans servent s’ils sont élaborés par les concernés, s’ils correspondent à leurs attentes et besoins et sont applicables
Au niveau politique, le séisme du 14 août arrive dans un contexte d’imbroglio pire que celui du 12 janvier 2010. Les expériences récentes post désastres réalisées en Haïti (séisme 2010, ouragan 2016) ont mis en évidence une dynamique sociale contraignant à une production moyenne de plans insignifiants et inapplicables. C’est le triomphe de l’ordre médiocratique qui a hissé le stade moyen au rang d’autorité et les médiocres au pouvoir. Dans le cadre du séisme du 14 août 2014, il est urgent de se rappeler que tant les évaluations post-désastres et les plans de reconstruction ne sont pas un exercice médiocre de visibilité, ils ne servent que s’ils sont mis en application. Comme le souligne Alain Deneault (2016), « Médiocrité est en français le substantif désignant ce qui est moyen». Le médiocre est devenu le référent de tout un système.
Dans l’ordre médiocratique, le travail standardisé, réduit à une activité moyenne, se trouve dépourvu de sens propre. La fierté du travail bien fait, fut-il manuel ou intellectuel, a disparu au profit d’une prestation, vite fait, quelconque devenue moyenne. L’essentiel étant de jouer le jeu.
En effet, le ton de ce jeu a été donné par le Premier Ministre de facto, M. Ariel Henry, lors du lancement du PDNA, le lundi 23 aout 2021, à grands renforts de langue de bois et de formules passe-partout. Il a indiqué avoir « la ferme volonté d’orienter la reconstruction sur la voie du développement durable ». Il a affirmé dans son discours de lancement : « le Gouvernement a la lourde responsabilité de relever le défi de la reconstruction de la Péninsule Sud. Pour ce faire, nos cadres accompagnés du secteur privé, la société civile, et les partenaires internationaux évaluent les effets et les impacts sur la société. »
Henry a encouragé tous les acteurs impliqués dans le processus à privilégier une approche inclusive et participative par les territoires : « Les acteurs de la région du Sud doivent prendre part à la réflexion devant amener à reconstruire leurs territoires dévastés par le séisme du 14 août 2021. Il est important de signaler à l’attention de tout un chacun que les autorités et les administrations communales sont indispensables à la réussite de la mise en œuvre des programmes de l’aménagement et du développement des territoires ».
Ces formules sonnent creuses car, il est connu que l’actuel gouvernement, à la fois illégal et illégitime, ne dispose d’aucun mandat de la sorte. Il est juste là pour liquider les affaires courantes. Une telle entreprise de reconstruction ne saurait relever d’un tel gouvernement. Le seul acteur légitime en cet instant c’est la population. La population du Sud a plus de responsabilité que M. Henry. La population est permanente alors que ce gouvernement, à moins d’un consensus large, peut ne pas exister demain. L’initiative doit revenir à la population du Sud à travers ses structures organisées et ce sont « les acteurs du gouvernement qui doivent prendre part à la réflexion ». Ce n’est pas l’inverse ! M. Henry parle du caractère indispensable « des autorités et des administrations communales à la réussite de la mise en œuvre des programmes de l’aménagement et du développement des territoires » : à quelle autorité fait-il référence ? À quelles administrations communales ? Si seulement, il était sérieux !!!
Par ailleurs, M. Henry a-t-il pris le soin avant de se lancer dans ses envolées de demander le compte sur ce qui a été fait dans le Grand Sud après l’ouragan Matthew. C’est cette même région qui avait été frappée en octobre 2016. Actuellement, dans la première section de Torbeck, dans la localité Boury, sur l’habitation Piloge, des gens – dont une majorité d’enfants – ayant pris refuge dans un ancien hôtel à la suite de l’ouragan Matthew (2016) y sont encore cinq années après. Avec le passage du séisme, ils sont dépourvus de tout, l’hôtel est fissuré et les enfants – comme les adultes – sont laissés pour compte[1].
Comme souvent en cette matière et comme tout politicien, M. Henry s’est lancé dans une vaste entreprise d’enfumage pour « jouer le jeu » en oubliant qu’un plan de reconstruction est à la fois une démarche politique et un outil de planification juridique. Son élaboration est un processus qui s’inscrit dans la durée et qui mobilise diverses forces vives territoriales : élus, acteurs institutionnels, société civile.
Quatrième leçon : Il est prioritaire de renforcer les capacités de la population des zones touchées à être maitres et décideurs de sa destinée et de son avenir
Tant sur le plan politique, technique que stratégique, il convient de renforcer rapidement les capacités locales, spécialement les compétences professionnelles et de gestion des acteurs publics, des productrices et producteurs ainsi que des structures de coordination et de régulation. De la phase d’évaluation complète des besoins à celle de la réduction efficace des risques pour surmonter les cycles répétés de vulnérabilité, il nous faut aller impérativement dans le sens de la concertation citoyenne – du community planning – en aménagement du territoire et en urbanisme puisqu’il s’agit de leur cadre de vie, de leur existence. Pour cela, faut-il bien se rappeler du premier principe fondateur de ce pays : « Tout moun se moun, pa gen moun pase moun ».
Pour l’heure, rappelons-nous qu’il y a les aléas et il y a la vulnérabilité conduisant aux catastrophes. Afin de brouiller les pistes, le discours officiel tend volontairement à confondre les deux car, comme le rappelle Bouamama (2020),
« la vulnérabilité fait fonction d’analyseur des contradictions d’un système social, de révélateur du réel. Le centrage volontaire sur la dimension « catastrophe » diffuse des images d’imprévisibilité, d’incertitude, d’absence de responsabilité humaine, etc. Le centrage sur la vulnérabilité interroge les causes économiques et sociales d’une situation, les raisons réelles de l’ensemble des conséquences d’une catastrophe et les intérêts économiques qui ont produit cette vulnérabilité.»
Rappelons-nous aussi que, si la capitale haïtienne plutôt que d’être reconstruite est en passe de s’engouffrer définitivement dans les limbes onze années après le séisme, cela ne tient pas uniquement à la mauvaise gouvernance des autorités locales, mais le mécanisme de solidarité internationale, notamment le business de l’humanitaire et de la détresse endosse une grande part de responsabilité. Le même schéma semble sur le point de se remettre en place. Aux populations d’être vigilantes et de prendre en main la destinée des communautés touchées, faut-il user pour cela de forceps.
[1] Erns Jean Pierre, Emission Gran Chimen, Ayibobo FM (89.5), mardi 24 aout 2021.