Bogotá, 17 déc. 2021 [AlterPresse] — Le 18 décembre a été proclamé Journée internationale des migrantes et migrants par l’Assemblée générale de l’Organisation des nations unies (Onu) [1] dans sa 81e séance plénière, tenue en date du 4 décembre 2000.
Depuis, cette date devrait rappeler, chaque année, l’engagement de la communauté internationale de « veiller à ce que les droits humains de toutes les migrantes et de tous les migrants soient pleinement et efficacement protégés ».
Pour l’année 2021, la commémoration se tient dans un contexte international, continental (américain) et insulaire (relatif à l’île caribéenne, partagée par Haïti et la République Dominicaine) difficile, ponctué par des drames migratoires à répétition, des tensions diplomatiques et de grosses fissures dans la protection des droits humains des personnes migrantes, selon les informations rassemblées par l’agence en ligne AlterPresse.
De grosses fissures dans la protection des droits humains des personnes migrantes
« Environ 280 millions de personnes étaient des migrantes et migrants internationaux en 2020, soit 3.6 % de la population mondiale » [2] , selon l’Onu et l’Organisation internationale pour les migrations (Oim).
« Migrant.e » est, selon l’Oim [3] , un « terme générique, non défini dans le droit international, qui, reflétant l’usage commun, désigne toute personne qui quitte son lieu de résidence habituelle pour s’établir, à titre temporaire ou permanent et pour diverses raisons, soit dans une autre région à l’intérieur d’un même pays, soit dans un autre pays, franchissant ainsi une frontière internationale ».
Il s’agit d’une définition générale, qui, à force de vouloir regrouper toutes les catégories juridiques, finit par diluer les nuances, les spécificités et les problèmes particuliers propres à chaque groupe, dont les réfugiées et réfugiés, les demandeuses et demandeurs d’asile et les travailleuses et travailleurs migrants, entre autres.
Cependant, ce terme dit générique a l’avantage de rendre visible un pan significatif de la démographie de l’humanité, dont une grande partie se trouve de plus en plus coincée dans les frontières non seulement géographiques, mais aussi juridiques, sociales, politiques et culturelles des pays de transit et d’arrivée, notamment celles liées à la discrimination sur la base de la couleur de la peau, de l’origine ethnique ou nationale, du genre, de l’âge, entre autres motifs.
« Faute d’action internationale dans le domaine des droits humains, le monde est en train de devenir de plus en plus dangereux pour les réfugiés et les migrants » [4] : cette déclaration d’Amnesty International, prononcée à l’occasion de la présentation de son rapport annuel sur les droits humains dans le monde en 2012, vaut grandement pour l’année 2021.
La mobilité humaine, en particulier, celle des migrantes et migrants originaires des pays dits pauvres, tend à donner lieu à des drames migratoires partout dans le monde, alors que s’accroissent des tensions diplomatiques, entre des gouvernements, des États et des blocs régionaux, autour des problèmes migratoires.
On est en droit de se demander si la protection des droits humains des personnes migrantes, acquise au prix de tant de luttes depuis l’après-guerre, réaffirmée maintes fois par l’Onu, notamment dans sa proclamation du 18 décembre comme Journée internationale des migrants et migrants et pourtant de plus en plus fissurée à travers le globe, reste-elle une gageure à tous les niveaux.
En fait, le climat international de protection pour les migrantes et migrants s’est nettement détérioré au cours de l’année 2021, alors que la pandémie du Covid-19 (le nouveau coronavirus) n’a pas empêché les mouvements de population, volontaires ou forcés, qui « sont la conséquence de catastrophes, de difficultés économiques, d’une pauvreté extrême et de conflits, dont l’ampleur et la fréquence vont s’accroissant », reconnaissent l’Onu et l’Oim [5].
Ces mouvements de personnes, impliquant des enfants, des femmes, voire des communautés tout entières, sillonnent la géographie du monde et confirment, une fois de plus, la mondialisation de la migration et, donc, la nécessité d’une gouvernance mondiale de ce phénomène, par-delà la souveraineté de chaque État ; et ce, pour faire face à deux des défis contemporains majeurs sur l’échiquier international : éviter des tensions entre des gouvernements, des États et des blocs régionaux, et surtout garantir la protection des droits humains de toutes les personnes migrantes.
Tensions diplomatiques
À défaut de cette gouvernance mondiale, dont les mécanismes, institutions, règles et rouages institutionnels, politiques et juridiques restent encore à inventer et à exiger, l’humanité assiste, de plus en plus, à des prises de gueule et à l’escalade des conflits entre des pays, voire à la guerre des tweets, entre des autorités de part et d’autre, autour de la gestion des problèmes liés à la migration.
En Europe orientale, au cours du mois de novembre 2021 [6] , la tension est montée d’un cran entre la Biélorussie et l’Union européenne, qui a accusé le gouvernement de Minsk d’avoir orchestré la crise migratoire à sa frontière avec la Pologne.
La Biélorussie a fermement répondu à l’Union européenne, en réalisant des exercices militaires conjoints avec la Russie, considérée comme l’un des plus grands ennemis internationaux des pays occidentaux, en particulier, du bloc régional européen et de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (Otan).
On se souvient également, en novembre 2021, de la crise diplomatique entre le président dominicain Luis Rodolfo Abinader Corona et l’ex chancelier haïtien Claude Joseph, qui a répondu à une intervention du chef d’État du pays voisin, demandant à la communauté internationale de s’occuper de la sécurité d’Haïti.
Dans un tweet, jugé irresponsable par certains, l’ex chancelier a osé inviter le président dominicain à travailler ensemble avec les autorités haïtiennes pour améliorer la sécurité sur l’île entière, partagée par les deux pays. Offusqué par cette contre-attaque inattendue, le gouvernement dominicain n’a pas tardé à exercer des représailles contre les migrantes et migrants haïtiens se trouvant sur son territoire, dont les étudiantes et étudiants, et, par la suite, contre des femmes enceintes.
En Amérique du Sud, la situation des migrantes et migrants vénézuéliens en Colombie fait souvent l’objet de dérapages entre les gouvernements de ces deux pays voisins. Par exemple, en octobre 2021, suite à l’assassinat de deux jeunes vénézuéliens sur le territoire colombien, le président Nicolás Maduro a menacé de porter plainte par devant la Cour pénale internationale (Cpi) contre son homologue Iván Duque, sous le chef d’accusation lié au « délit d’extermination et persécution contre les personnes migrantes vénézuéliennes » [7] .
Drames migratoires
En marge de ces confrontations diplomatiques entre des pays, voire entre des égos démesurés, ont eu lieu des naufrages de bateaux de migrantes et migrants dans la Manche [8] , au large de l’île grecque de Chios [9] , dans les Caraïbes [10] , aussi bien que le déclenchement de crises d’accueil de réfugiées et réfugiés çà et là : à la frontière polono-biélorusse [11] et espagnole-marocaine [12] , à Bangladesh [13] et en Afghanistan, où des Afghanes et Afghans cherchent à fuir la persécution, la faim et la tragédie humanitaire, surtout depuis l’arrivée des Talibans au pouvoir en août 2021 [14] .
Au cours de cette année, le continent américain présente également un scénario de drames migratoires. 2021 est l’année de presque tous les records de la migration continentale américaine.
La liste est longue. Un total de plus de 6 millions de Vénézuéliennes et Vénézuéliens ont déjà abandonné leur pays [15] en moins d’une décennie : du jamais vu dans le continent !
Près de 123 mille étrangères et étrangers ont demandé l’asile au Mexique, de janvier à novembre 2021, selon l’agence EFE [16] .
Les caravanes de migrantes et migrants, composées de plus en plus de dizaines de milliers d’Haïtiennes et d’Haïtiens, provenant majoritairement du Brésil et du Chili, ne cessent point d’arriver à la frontière Sud du Mexique, en route vers les États-Unis d’Amérique, accomplissant ainsi un dangereux périple du Sud au Nord du continent.
La localité mexicaine Tapachula devient le symbole de cette crise migratoire Sud-Sud, alors que Río Blanco, au Texas, montre la continuité de l’actuel gouvernement démocrate, en ligne droite avec l’administration républicaine précédente de Donald Trump, en ce qui a trait au durcissement étasunien contre les migrantes et migrants originaires du Sud, dont Haïti, l’Amérique Centrale, le Mexique, le Venezuela et d’autres pays sud-américains.
Tout semble indiquer que la politique migratoire étasunienne n’a pas substantiellement changé sous l’administration démocrate de Joseph Robinette (dit Joe) Biden Jr., alors que le gouvernement mexicain tente, pour sa part, de contenir les flux migratoires arrivant à sa frontière (au Sud) avec le Guatemala, tout en faisant trop de concessions au grand voisin du Nord.
L’actuel président mexicain Andrés Manuel López Obrador (surnommé AMLO par ses sympathisantes et sympathisants), charismatique et considéré pourtant comme étant « de gauche » et « anti-impérialiste », a cédé aux pressions de l’ex président Trump et de l’actuel chef d’état Joe Biden, dans son élan pour plaire au voisin du Nord, au détriment de ses croyances idéologiques.
Par exemple, le gouvernement mexicain a accepté, le lundi 6 décembre 2021, de renouveler le programme « Quédate en México » (en Anglais, « Remain in Mexico »), qui oblige les demandeuses et demandeurs d’asile, majoritairement Haïtiens et centraméricains, à attendre, sur le sol mexicain, la date de leur audience, avant de se présenter devant une cour migratoire des États-Unis, pour définir leur éligibilité ou non au statut de réfugié [17] . Les autorités mexicaines ont avoué que leur pays ne dispose pas d’assez de structures d’accueil, pour héberger ces dizaines de milliers de demandeuses et demandeurs d’asile. Pourtant, elles ont accepté la proposition étasunienne.
Le cas haïtien
Le cas haïtien présente, pour sa part, un niveau extrême de vulnérabilité et d’abus, auquel font face les migrantes et migrants originaires de ce pays caribéen, qui, par ailleurs, s’enfonce dans l’insécurité généralisée, le chaos politique, la misère, la crise humanitaire, le désespoir, la corruption.
Dans ces conditions déplorables, la saignée migratoire haïtienne, frappant surtout les jeunes de plus en plus essoufflés et désespérés, ne s’arrêtera pas sous peu, pendant que l’hospitalité leur est refusée dans les Amériques et l’hostilité est la réponse qu’on tend à leur donner au large de ce continent.
Par exemple, l’Onu et l’Organisation des états américains (Oea) ont dénoncé, à maintes reprises, les abus commis à l’encontre des migrantes et migrants haïtiens, notamment en République Dominicaine et aux frontières mexico-étasuniennes.
Seulement au cours du mois d’octobre 2021, la Commission interaméricaine des droits humains (Cidh), un organe de l’Oea en matière de protection de droits humains, a dénoncé l’usage excessif de la force contre les migrantes et migrants haïtiens à la frontière Sud des États-Unis [18] . La Cidh a également publié un document, plaidant pour la protection des migrantes et migrants haïtiens à travers le continent et pour une plus grande solidarité interaméricaine avec eux [19] .
Ces deux actions de la Cidh ont fait suite à un communiqué conjoint de l’Oim et de trois agences de l’Onu, dont le Haut-Commissariat des nations unies pour les réfugiés (Hcr), le Fonds des nations unies pour l’enfance (Unicef) et le Haut-Commissariat des nations unies aux droits humains (Hcdh), qui « appellent à des mesures de protection et à une approche régionale cordonnée pour les Haïtiennes et Haïtiens en déplacement » [20] . Ce document, publié en date du 30 septembre 2021, a insisté sur la nécessité pour les pays des Amériques de « faire respecter les droits fondamentaux des Haïtiennes et Haïtiens en déplacement et offrir des mécanismes de protection ou d’autres dispositions légales, pour un accès plus efficace aux voies de migration régulière ».
Cependant, moins de deux mois après la publication de ce document, le Système des Nations unies en République Dominicaine a fustigé, dans un communiqué diffusé le 16 novembre 2021 [21] , le fait que des autorités migratoires de ce pays « mettent en danger l’intégrité physique et la vie, principalement celle des femmes enceintes [haïtiennes], qui cherchaient des soins ou en trouvaient déjà dans les centres de santé et les hôpitaux, et ont été appréhendées et déportées ».
Un total de 165 femmes enceintes haïtiennes a été rapatrié par la République Dominicaine en novembre 2021, selon la plateforme Groupe d’appui aux rapatriés et refugiés (Garr), soulignant combien « la majorité de ces femmes disent avoir été appréhendées dans des hôpitaux publics, puis détenues pendant deux à trois jours, dans des conditions inhumaines, avant d’être conduites à la frontière » [22] .
Des perspectives sombres
Tout compte fait, le panorama de la migration dans le monde est ponctué par des drames et des tragédies à répétition, survenus aux frontières terrestres et maritimes, et dans des camps de réfugiées et réfugiés, alors que des États et gouvernements et des bloc régionaux sont plutôt enclins à convertir ces crises migratoires en tensions diplomatiques, où la gageure n’est pas la protection des droits humains des personnes migrantes, mais plutôt l’affirmation de la souveraineté nationale et/ou régionale, et de l’hégémonie internationale, au détriment des pays voisins, et la sécurité des frontières contre les « intrus ».
Donc, il s’ensuit que les perspectives s’obscurcissent de plus en plus pour ces migrantes et migrants, ayant pourtant besoin de protection internationale et dont une grande partie se sont vus obligés de fuir leur pays d’origine et maltraités dans les pays de transit et de destination.
Alors que les crises politiques, économiques, humanitaires, des conflits internes, des guerres, des catastrophes dites naturelles et d’autres facteurs déclencheurs des migrations s’intensifient dans les pays d’origine, les mesures migratoires, prises par des pays de transit et de destination, tendent à devenir plus inhumaines.
Entre-temps, l’hostilité gagne de plus en plus d’esprits, par ailleurs, enflammés par des discours idéologiques axés sur l’enfermement et le purisme identitaire, surtout en période électorale.
L’indifférence plombant les sociétés, surtout celles de transit et de destination, tend à anesthésier la pensée humaniste et critique, et, donc, à conduire à l’inaction citoyenne face à des actions barbares contre les migrantes et migrants, dont des enfants, des femmes enceintes, des étudiantes et étudiants, et des jeunes en général.
Les agences de l’Onu, les organes de l’Oea, des personnages de stature internationale, comme le chef de l’église catholique, apostolique et romaine, le Pape François, et des organisations de droits humains de grande renommée, dont Amnesty International, ne cessent pas, semble-t-il, de prêcher dans le désert en faveur de la protection des droits humains des personnes migrantes, de la solidarité et de l’hospitalité envers celles-ci.
Pourtant, force est de constater que les nuages obscurs du désespoir persistent, ne laissant pas entrevoir des lendemains meilleurs pour la protection des droits humains de toutes les personnes migrantes, dans un contexte de plus en plus difficile de mouvements mondialisés de population, en temps de pandémie et/ou de post-pandémie.
Par Wooldy Edson Louidor