Il est particulièrement douloureux de tenter de faire le bilan de ces 28 mois que nous avons vécu après la tragédie du 12 janvier 2010. Quiconque visite le centre de Port-au-Prince et les autres régions affectées a l’impression que finalement peu de choses ont été réalisées au cours des 2 dernières années. La « reconstruction » ne semble exister que dans le discours des gouvernants et des experts internationaux. On se demande de façon angoissée si le destin de notre capitale ne ressemblera pas à ce qui est arrivé à Kaboul et à Bagdad qui, plus de dix ans après avoir été détruits par les violents bombardements américains, n’ont toujours pas été reconstruits. On s’est contenté de créer ici et là de rares îlots de sécurité pour les étrangers et les couches dominantes mais la masse de la population continue à chercher le cadavre de leur ville dans les amas de débris et de cratères. Ce qui inquiète encore davantage c’est quand plus de 2 ans après des individus continuent à mourir écrasés sous des maisons sans doute fissurées le 12 janvier et qui n’ont jamais pu être réparées de façon convenable ou quand on voit les cahutes de fortune, construites comme auparavant, grimper inexorablement les flancs du morne de l’hôpital atteignant les sommets visibles depuis la route de Bourdon ou du Canapé Vert. N’aurions-nous rien appris de l’effroyable tragédie du 12 janvier 2010 ?
Un pourcentage important des débris causés par le séisme n’a toujours pas été ramassé à Port-au-Prince. La plupart des infrastructures essentielles qui se sont effondrées sont encore au sol et beaucoup de nos Institutions survivent péniblement dans des hangars ou des abris transitoires. L’exemple peut-être le plus emblématique est celui de l’HUEH[1], principal centre de santé du pays. Tout de suite après le séisme les gouvernements des USA et de la France ont pompeusement annoncé leur détermination à reconstruire l’HUEH. Les travaux n’ont toujours pas commencé. Au cours d’une visite effectuée à Washington peu avant sa démission l’ex-premier Ministre Gary Conille annonçait que les travaux de reconstruction de l’HUEH débuteraient peut-être en juin 2012 !
Réfléchir sur le bilan de ces 28 mois exige de projeter un éclairage décapant sur la crise de la société haïtienne, sur nos impasses et sur les mauvaises réponses que nous continuons de donner à la question des options du vivre-ensemble et notre étrange capacité à esquiver la construction d’un projet national. Cet exercice nous oblige à questionner nos incapacités de même que les fausses solutions que nous ne cessons de répéter avec entêtement. Il est surprenant de constater que les secousses du 12 janvier 2010 n’ont pas fissuré les structures d’exclusion, de dépendance, de brutales inégalités, de polarisation, de divorce entre l’État et la nation qui maintiennent les incohérences et les monstruosités d’un statu quo qui refuse de périr et qui ne cesse de renaitre sous les millions de mètres cubes de gravats qui semblaient avoir résolument tenté d’ensevelir la société traditionnelle haïtienne et ses multiples crises.
Dans cet article nous nous attacherons à dresser un bilan économique et financier de ce que les forces dominantes se plaisent à appeler « reconstruction » et qui cachent divers projets inavouables qui renforcent les travers et les blocages de notre société. Nous analyserons en premier lieu le comportement global de l’économie brusquement irriguée par des flux financiers inédits. Nous analyserons ensuite le comportement et les projets proposés par de multiples acteurs. En ce sens nous ne pourrons pas éviter de dresser un bilan de l’assistance internationale qui en renforçant des tendances déjà présentes depuis de longues années a, semble-t-il, exacerbé des contradictions qui la traversent d’habitude tout en détruisant toute possibilité de se construire une quelconque légitimité. Enfin nous esquisserons quelques pistes de réflexion en vue d’offrir aux divers secteurs animés d’une ferme volonté citoyenne d’engager un processus nouveau de construction nationale des horizons novateurs. Malgré l’épaisseur des blocages structurels bouillonne au sein de notre société de merveilleuses impulsions vers un nouveau bien-vivre qui ne pourra se matérialiser qu’au prix de ruptures révolutionnaires.
Camille Chalmers, Socio-Économiste – Professeur à l’UEH – Directeur Exécutif de la PAPDA. – Spécialiste des dynamiques de la mondialisation et de la construction de projets alternatifs
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[1] Hôpital de l’Université d’État d’Haïti