Faut-il refonder l’université ?

Titre du livre : Refonder l’université. Pourquoi l’enseignement supérieur reste à reconstruire
Auteur : Collectif
Éditeur : La Découverte
Collection : Cahiers Libres

Des IUT aux Facultés de Sciences Humaines, l’université française est au plus mal, répètent les médias qui appuient leur constat sur des classements visant à départager sans états d’âme le prestige des universités mondiales. C’est ce qu’entérinent aussi les auteurs de l’ouvrage collectif publié aux éditions de la Découverte, Refonder l’Université. Pourquoi l’enseignement supérieur reste à reconstruire 1. Mais ils posent le problème en termes de controverse qui anime deux analyses fortes de Marcel Gauchet et Laurent Batsch. Elles s’opposent à propos de l’alternative entre une régulation étatique ou bien compétitive susceptible l’une ou l’autre de favoriser l’évolution du système universitaire français. Si la tonalité polémique de l’ouvrage est adoucie par le report en annexes des articles disputés entre le philosophe et le président d’université, le lecteur gagnera à entrer dans ce débat frontal pour s’approprier les thèses remarquablement énoncées par leur confrontation. Il s’avère ainsi que c’est l’ensemble de l’ouvrage qui engage la réflexion dans ce qui se présente comme un manifeste de refondation de l’université. Manifeste au développement rigoureux auquel le lecteur est cordialement invité au fil des chapitres.

Le temps des crises

Il est clair qu’on observe aujourd’hui une profonde dérégulation des institutions universitaires qui vient mettre en question leur fonctionnement voire leur existence. Et leurs dysfonctionnements sont de nature aussi diverse que les difficultés d’accueil des publics d’étudiants dans les structures, le décalage entre les objectifs politiques annoncés et les résultats constatés sur le terrain ainsi que l’échec des dispositifs à enrayer les processus de ségrégation des filières distinctes des Grandes Ecoles et des parcours dans les Universités qui délégitiment la visée éducative émancipatrice de l’enseignement supérieur français.  L’université est en crise, voici la formulation qui résume ces constats. Mais si on a pour enjeu d’approcher l’état actuel du champ universitaire en évitant de simplifier et de dramatiser, alors le recours à la notion de « crise » permet de dégager un point de vue qui mentionne certains aspects significatifs sans contourner certaines contradictions.

L’analyse de la situation dans laquelle se trouve l’ensemble des universités françaises demande par conséquent à être discutée afin de déterminer qu’il y a quelque chose comme une crise contemporaine du système d’enseignement supérieur corollaire de l’évolution de l’institution éducative tout court.

Or, la crise n’est-elle pas souvent une épreuve de rupture et de reconfiguration salutaires ? C’est sur cette éventualité précisée par les titres et sous titres (Re)fonder l’Université et Pourquoi l’enseignement supérieur reste à (re)construire que s’ouvre l’ouvrage collectif du groupe des refondateurs de l’université française. Comme le mentionne également la 4è de couverture, il semble nécessaire d’établir « un diagnostic lucide de la situation » et de parvenir à « un large consensus des universitaires » pour sortir de la lutte qui a débuté en 2009 à propos de la masterisation des cursus de l’enseignement supérieur. L’ensemble des auteurs largement impliqués dans l’enseignement supérieur insiste sur l’effet déclencheur de la loi « libertés et responsabilités des universités (LRU) » de 2007 qui a amené à poser la nature des phénomènes de crise. Ils adoptent une posture critique qui ne restreint pas la signification de la crise dans un usage qui limite et obscurcit l’appréhension des dysfonctionnements constatés. Au contraire, une des acceptions de la crise retenue par les auteurs – celle de la décision – autorise une appréhension pertinente des transformations incontournables des structures universitaires.

L’ouvrage suit une problématisation en trois points soutenant cette visée de clarification qui tend de façon systématique et donc solide à démêler les incompréhensions qui se sont accumulées entre les acteurs de l’enseignement supérieur, les institutions et leurs « usagers ».  L’introduction permet de rassembler synthétiquement le faisceau de  circonstances  qui ont conduit à ce que l’université devienne un problème perçu comme tel autant par les familles d’étudiants que par les classes politiques et les universitaires eux-mêmes. C’est un point de départ qui a le mérite de préparer le lecteur à partager une argumentation sur les possibilités de dépasser le diagnostic délétère sur l’université française. Le groupe des auteurs dit « des refondateurs » en appellent alors au lecteur intéressé sans lui cacher la nature de la problématisation portée par du « bons sens » qui va être dépassée par ce qui suit.

La révolte des élites ?

La première partie expose les motifs qui ont déterminé l’arrière-plan de la crise aigüe de l’université. La question sur les origines de la révolte des universitaires permet de rassembler les thèses qui expliquent le rôle des acteurs de l’enseignement supérieur. S’interroger sur la récente fronde des universitaires2 donne l’occasion d’offrir un examen pièces en main de ce mouvement inédit. Il est principalement interprété ici comme l’aboutissement de la dégradation des conditions d’enseignement ressentie par les universitaires qui n’ont cependant pas eu l’allant nécessaire pour la rendre réversible. L’analyse s’approfondit quant il est noté que l’implication des juristes dans ce mouvement social caractérise le profond malaise se généralisant à tout l’enseignement supérieur. C’est donc l’émergence de la crise qui est déchiffrée sous forme d’un bilan rétrospectif. Il rend compte de la constitution dialogique du mouvement porté par les universitaires. Faite à la fois de réactions de contestation pouvant passer pour épidermiques et de manifestations d’un élan professionnel, cette révolte a le potentiel pour conduire à une recomposition de la fonction des élites universitaires dans la société de la connaissance. Mais voulant garder le principe non comptable de la liberté pédagogique et du rythme lent des investigations pour la recherche, il apparait que cette recomposition devient inconcevable dans le cadre de l’autonomie instaurée par la loi LRU du 10 août 2007. Au delà de la défaite du mouvement, il faut retenir l’urgence à trouver les moyens de faire évoluer la crise en solution de continuité.

Aux armes, les idées !

En requérant l’idéologie comme support de prolongement d’une révolution manquée, les auteurs inaugurent le coeur de la discussion, enjeu du développement de l’ouvrage, à propos d’un usage raisonné des symptômes de la tension universitaire française. C’est ainsi que la deuxième partie envisage les modalités de la sortie de crise. La thèse repose sur un énoncé déclaratif qui réclame un réaménagement de l’enseignement supérieur3. Il est certes dépendant de la prise en compte des logiques des acteurs vues plus haut mais surtout de la perspective structurelle de l’université. Le pari de l’argumentation repose sur le rappel de l’histoire de l’université qui a été jalonnée de relations obligées avec l’enseignement supérieur qui intègre les cursus des Grandes Ecoles. Ces derniers ont façonné par compensation l’orientation professionnalisante universitaire contenue implicitement dans le programme de la réforme LMD4. Mais faute de lever le tabou franco-français d’un parcours à double vitesse- la fabrication républicaine des élites et la formation universitaire dite démocratique- les universités se retrouvent dans une situation néfaste qui se diffuse à tout l’enseignement supérieur. Les auteurs établissent, chiffres à l’appui- des repères quantitatifs sur les flux des étudiants 5, leur réussite selon leurs baccalauréats 6 et des données sur le nombre de diplômes universitaires délivrés (p.133)- combien l’université française est le parent pauvre d’un système qui va tendre à la transformer en écoles professionnelles supérieures avec des effets négatifs sur les valeurs de l’enseignement et des diplômes.

L’originalité de la démarche des auteurs est de mettre au jour les tenants et aboutissants des schémas des réformes qui peuvent faire bouger le paysage de l’enseignement supérieur. Les PRES (Pôles de recherche et d’enseignement supérieur) crées par la loi d’orientation de 2006 ont été conçus comme des structures multidisciplinaires vouées à lier les activités d’enseignement et de recherche. Ils ancrent doublement les regroupements universitaires dans le territoire tout en les englobant dans une dynamique de recherche à vocation internationale. Une idée institutionnelle a priori justifiée pour contourner les impasses des dysfonctionnements des campus français. Les PRES seraient alors des établissements où pourraient se conduire à la fois la poursuite de l’excellence dans la recherche, dans des structures vastes mais aussi à taille humaine, comme les équipes de chercheurs, et qui regrouperaient aussi « des enseignements courts et longs, des filières de formations sélectives et des filières ouvertes, de la recherche et des voies professionnelles » 7. Il s’avère que les PRES se composant d’autant de paramètres à prendre en compte courent le risque de se transformer en projets vides puisque très difficiles à rendre opératoires dans les singularités historiques et politiques des actuelles institutions universitaires.

Formes de la (Ré)forme : transformation politique de la crise

Alors que les auteurs réitèrent l’effet de ségrégation sociale insupportable pour la jeunesse induit par le système des Grandes Écoles, ils en appellent à une rupture fondatrice « d’une réforme démocratique de l’université française » 8. C’est le discours réformateur issu de l’analyse approfondie de la crise explicité par la troisième partie de l’ouvrage qui en constitue l’axe fort entamé en début d’ouvrage. Une conception enrichie de l’université comme moment et lieu de (re)configuration de l’ensemble de ses composantes s’oppose aux apories de commentaires déclinistes. Ce discours refondateur mobilise la (ré)vision  de l’existant : cursus, disciplines et statut pour que se dégage une issue qui distingue les valeurs académiques portées par les savoirs et la réflexivité et la capacité de l’université à former des professionnels compétents qui soient aussi « des hommes d’esprit » (p. 183). L’essentiel du propos est d’envisager de mettre en mouvement une organisation générale de l’enseignement supérieur. La rupture réformatrice qui paraît essentielle consiste en la création d’un grand service public réunissant les IUT, BTS, classes préparatoires et premiers cycles universitaires. D’où la nécessité de penser des cursus de premier cycle selon des modalités variées déjà connues dans le cadre des bilicences. Plus exigeants pour les étudiants, ces parcours bi- voire tri- disciplinaires qui réclament un encadrement pédagogique spécifique, seraient utiles pour valoriser la fonction méthodologique d’une formation universitaire propice à développer une conception identitaire lisible d’un enseignement supérieur. L’écueil idéologique de cette dernière proposition est discuté par les refondateurs. Ce projet ne peut être rendu crédible que si s’établit un contrat de confiance autour de ce projet. Il sera indispensable pour évacuer l’obstacle idéologique cristallisé autour du principe de la sélection à l’entrée des premiers cycles universitaires. Pour cela l’exigence de sélection sera explicitée dans la mise en place de parcours étudiants qui puissent combiner des cursus disciplinaires finalisés par une orientation vers la spécialisation universitaire ou bien vers « la sortie vers l’emploi » 9– méchante expression dont la brutalité s’atténue si les premiers cycles garantissent une formation méthodologique à des connaissances et des savoirs indispensables à la formation contemporaine de l’esprit, dont la littératie 10 est d’après nous une notion-phare. Que ce soit dans des structures de « lycées d’enseignement supérieur » selon Pierre Dubois ou de « collèges universitaires » envisagés par Jacques Mistral, il semble intéressant que l’université s’attèle à former à « une excellence académique » (p.205) qu’elle conçoit et qu’elle fait évoluer selon des organisations pédagogiques nouvelles et adéquates avec les enjeux de la démocratie des savoirs.

Si les contributions des auteurs apportent une vision claire des enjeux organisationnels d’une institution si fragilisée, elles n’annoncent pas moins sa possible mort ou sa résurrection.

L’ouvrage a une ambition à la fois immense et humble qui donne une tonalité prophétique aux propositions. Informer d’abord un large public sur ce qu’il est raisonnable de penser à propos de l’enseignement supérieur actuel. Avec le risque de désespérer non seulement ses contributeurs mais surtout la jeunesse en demande de formation supérieure de qualité. Que la solidité des faits et de leurs interprétations se dessine et se déploie tout au long du raisonnement argumentatif implique une modestie du propos que nous avons retenu : recentrer l’analyse sur le politique. Non pas du côté des gouvernants qui, peu enclins en général à interroger un système rétif à toute appréhension lisible, voudraient expédier le problème universitaire sous la forme politique de base c’est-à-dire par la lutte de pouvoir qu’elle soit  larvée ou directive. Ni non plus sur le politique qui règlerait le fonctionnement de ce système dans le cadre particulier du problème universitaire français avec des moyens méthodiques, théoriques et pratiques individualisés pour satisfaire la reconnaissance de la représentativité des individualités administratives et pédagogiques qui pourraient émietter le projet de refondation.

Les refondateurs porteurs de ce projet réaliste semblent bien annoncer qu’il est temps de refonder l’université certes mais à travers elle c’est le politique qui se doit de se révéler en tant que levier d’appui du refus d’une construction technique de la crise universitaire. On voit donc que cette humilité peut s’avérer productrice de concepts opératoires. Le plus important serait d’après nous la recherche d’accords communs mobilisables pour de nouvelles discussions philosophiques générées par la réflexion sur l’université. Et ceci serait permis puisque un petit groupe, armé de ses analyses, est résolu à prolonger des nouvelles disputes politiques.

rédacteur : Catherine DUPUY,
Illustration : Flickr.com CC/ Chez Julius Livre 1

Notes :
1 – par Olivier Beaud, Alain Caillié, Pierre Encrenaz, Marcel Gauchet, François Vatin, La Découverte, Cahiers Libres, 2010
2 – comme Christopher Lasch l’avait fait dans La Révolte des élites et la trahison de la démocratie (The revolt of elites and the betrayal of democracy, 1994), Climats, 1999.
3 – « L’indispensable reconfiguration de l’enseignement supérieur dans son ensemble ».Titre du chapitre, p.101
4 – Avec les masters qui regroupent les anciennes maitrises baptisées Master 1 et avec les anciens DEA/DESS devenus Master recherche et Master professionnel
5 – p. 127
6 – p.129
7 – p.144
8 – p. 169
9 – p.201
10 – Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), dans le rapport publié le 14 juin 2000 : « La littératie à l’ère de l’information », la littératie est « l’aptitude à comprendre et à utiliser l’information écrite dans la vie courante, à la maison, au travail et dans la collectivité en vue d’atteindre des buts personnels et d’étendre ses connaissances et ses capacités »

Titre du livre : Refonder l’université. Pourquoi l’enseignement supérieur reste à reconstruire
Auteur : Collectif
Éditeur : La Découverte
Collection : Cahiers Libres
Date de publication : 07/10/10
N° ISBN : 2707166464

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