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Faut-il liquider la gauche pour la sauver ?

Le désarroi des dominants aboutit présentement à une grave crise de légitimité non seulement des gouvernements en place mais aussi plus largement, du capitalisme «réellement existant» que l’on connaît sous le nom de néolibéralisme. Face à cette dérive, les réactions sont multiples. La montée de l’ultra-droite est l’une des plus connues, dans ce mélange de militarisme et de populisme qui débouche, à des degrés divers, sur la répression et la guerre. Mais le phénomène touche des couches intellectuelles et politiques beaucoup plus larges. Les grandes forces politiques, qui ont marqué le paysage depuis 50-60 ans, sont toutes affectées.

Désarticulation de la droite

Ainsi, la droite «traditionnelle» ne parvient plus à se présenter comme un projet «moderne». Elle est coincée entre ses thèmes de prédilection comme la défense des «valeurs» hiérarchiques et autoritaires et la demande de ses propres bases sociales pour revenir un demi-siècle en arrière lorsque les dominés devaient compter sur leur «compassion». Cette droite dans le paysage canadien est représentée par le Parti conservateur. Le «centre», sorte d’amalgame fragile entre la droite et certaines factions modernistes (le Parti libéral au Canada, les Démocrates aux États-Unis), est totalement bousculé. La base populaire demande l’arrêt du «grand projet» de liquidation de l’État-providence. Mais sa hiérarchie très proche des dominants ne veut pas cela évidemment.

Voyoucraties

C’est ce désarroi qui explique l’essor de ce qu’on peut appeler la «voyoucratie». Celle-ci prend diverses allures. Il y a les voyous «clownesques» comme l’ADQ (ou Sarah Pallin et Sarkozy), et dont la caractéristique est de dire n’importe quoi d’une manière qui fait honte à l’intelligence mais qui fait appel aux mêmes registres que ceux qui avaient été employés par l’ultra droite dans les années 1920-30.  Il y a les voyous «sérieux» qui misent énormément sur la «guerre sans fin» pour faire accepter aux dominés la «nécessité» d’en finir avec les politiques keynésiennes antérieures, comme Stephen Harper (Obama également).

Voleurs en cravates ou autrement

Il y a aussi les voyous tout simplement «voleurs» qui s’en mettent pleins les poches en pensant que de toutes façons, le déluge s’en vient : on pourrait mettre dans cela Jean Charest, par exemple (Berlusconi serait l’équivalent). Sous toutes ces variantes, ces voyoucraties sont prêtes à tout pour masquer leur ineptie. Au-delà des personnalités, elles ne sont pas capables de produire un discours cohérent.

De moins en moins d’hégémonie et de plus en plus de coercition

Ces voyoucraties sont encore moins aptes à gouverner comme les dominants traditionnels qui, lorsqu’ils ont l’ascendant, gouvernent en mélangeant habilement la coercition et l’hégémonie. Les voyoucraties sont dénudées et pour cela, elles deviennent dangereuses. La violence étatique est la manière principale de dominer dans un contexte où il n’y a plus de compromis à offrir aux dominés. Chaque jour qui passe nous rapproche de fractures encore plus importantes, de dérives, de manœuvres diverses destinées à terroriser, contrôler, punir.

Les dominés sous le choc

L’assaut est systématique, ce qui déstabilise profondément les dominés qui restent attachés, et pour cause, aux grands acquis arrachés aux lendemains de la grande crise et du fascisme. Tout cela est bien connu : destruction programmée du système de conventions collectives via la marginalisation des syndicats et l’atomisation du monde du travail, démantèlement des systèmes de couverture quasi universels dans les domaines de la santé, de l’éducation, de l’assistance sociale, élargissement des législations répressives et liberticides, etc. Les moyens de défense traditionnels, que sont les syndicats et les partis de centre-gauche sont désemparés et de plus en plus forcés à gérer leur propre déclin.

Dilemmes

Pendant plus d’un demi-siècle dans les pays capitalistes, la social-démocratie a lutté pour le «grand compromis». Elle parfois échoué, elle a aussi gagné, encore là, sous diverses formes. Au Québec, la social-démocratie avait pris la forme d’une fusion instable entre le nationalisme et certains objectifs de réforme sociale regroupée autour du PQ. Aujourd’hui, cette social-démocratie traditionnelle, ici mais également ailleurs, se retrouve le dos au mur. L’assaut des dominants est trop agressif et exclut une gestion par compromis. Les forces politiques de sensibilité social-démocrate peuvent alors tenter de gérer» le néolibéralisme, essayer de l’«humaniser» : c’est le cœur de la proposition des tenants de la dite «troisième voie» (mise de l’avant à l’origine par Tony Blair).

Virages

En gros, la «troisième voie» part du fait que le néolibéralisme a triomphé et qu’il se sert à rien de s’«accrocher» à l’État-providence. Il faut alors liquider l’héritage social-démocrate, à la fois par un discours résigné («on ne peut rien faire»), à la fois par des propositions qui se veulent nouvelles («il faut «libérer» l’initiative privée et «diminuer» l’État et la bureaucratie»). Parallèlement, la troisième voie propose de se positionner derrière une nouvelle offensive impérialiste, orchestrée par les États-Unis, contre les peuples du monde, tout en donnant à cette offensive un caractère «émancipateur» (on envahit l’Afghanistan «pour libérer les femmes»). À terme, quelques secteurs privilégiés de cette social-démocratie et de grands mouvements sociaux espèrent ainsi «sauver les meubles» tout en assurant leur participation au pouvoir et aux privilèges qui vont avec.

La guerre des idées

Il n’est cependant pas facile de convaincre des couches populaires que l’État-providence est le grand ennemi à abattre, qu’il est préférable de démanteler la sécurité sociale, l’accès à l’éducation et à la santé, et qu’il faut plutôt accepter la militarisation, la répression, le sauvetage des banques. La bataille des idées, nous l’avons évoqué auparavant, est alors une bataille pour faire peur, pour terroriser les gens et les forcer à accepter l’inacceptable. Mais cette bataille des idées est plus complexe. Il faut miner la capacité des dominés de résister, et même de penser la résistance. «Il ne sert à rien de résister», comme disaient les Nazis au moment de leur ascendance. À cela on ajoute : «on n’a pas raison de se révolter».

L’approche palliative

C’est ce discours, sous des formes modernisées, qui est servi aujourd’hui. La social-démocratie traditionnelle, désarçonnée, intègre ce discours. Elle offre, au mieux, une approche palliative : on ne doit pas démanteler «totalement» la sécurité sociale. On ne peut pas réprimer de manière «extrémiste» la dissidence. Il faut «discipliner» et non «massacrer» les Afghans ou les Palestiniens, etc. Les syndicats doivent accepter de ne plus pouvoir imposer des «standards de base».

«Moderniser» l’État-providence?

Au Québec et ailleurs dans les pays du G8, une petite armée d’intellectuels est à l’œuvre pour «articuler» ce discours. Ce sont eux, bien sûr, qui monopolisent l’univers médiatique. Certains font leur travail comme les mercenaires qu’ils sont, pour Québécor, Power Corporation, l’Institut économique de Montréal, etc. Certains le font parce qu’ils sont convaincus qu’il faut effectivement «moderniser» la social-démocratie, la détacher d’un État-providence qui serait selon eux «dépassé». C’est un peu ce travail que l’on constate au sein de et autour du PQ. Certes, ce parti a toujours été ambigu sur la social-démocratie. Il a toujours refusé ce que René Lévesque qualifiait dédaigneusement d’«étiquette» de gauche.

Le rêve de Pauline Marois

Après l’épisode réformiste de 1976-1980, le PQ a dérivé vers la «bonne gestion» ce qui impliquait notamment de remettre les syndicats à «leur place» (compressions du secteur public en 1982 et en 1995), quitte à donner à leurs dirigeants l’illusion qu’ils devaient également devenir «responsables» et «gestionnaires» (avec le Fonds de solidarité de la FTQ notamment). Aujourd’hui, Pauline Marois et les autres proposent de changer la donne en «libérant» l’initiative privée et en s’ajustant aux principes du «libre-marché» et du «libre-échange» qui nous ont conduits à la plus grave crise depuis 1929. En fin de compte, le calcul du PQ (comme celui de bien d’autres) est plutôt brutal. Il faut stopper la montée de l’ultra-droite en devenant nous-mêmes de droite, mais de façon «modérée».

Sorties de crise ?

Qui sait si ce projet peut avancer ? Certes, l’électorat est lassé de la voyoucratie et cherche «ailleurs». Le populisme et le mensonge ont le vent dans les voiles, un peu (mais pas totalement) comme l’avaient à l’époque Mussolini et Hitler. Les dominants restent un peu craintifs face à des projets qui jouent avec le feu. Au bout de la ligne cependant, la bourgeoisie en Allemagne ou en France, avait fini par capituler en estimant que des deux «périls», la droite extrême était un moindre mal face à la possibilité d’une remontée de la gauche. Mais aujourd’hui, on n’en est pas (encore) là. Reste alors dans une stratégie éprouvée depuis 50 ans, le jeu de l’«alternance». Après un gouvernement de centre-droit, on aura un gouvernement de «centre-gauche». Si ce «centre-gauche» est prêt à respecter les «règles du jeu» (sauver et maintenir le système), c’est une sortie de crise qui peut être contemplée.

Auto-liquidation

Le problème, cependant, est que les dominants demandent au centre-gauche de gérer le néolibéralisme, et non le grand compromis keynésien. C’est à cela que les dominants convient le PQ, notamment. On comprend dès lors les tiraillements internes, présentés dérisoirement par les médias-mercenaires comme les «éternelles chicanes» au sein du PQ. «Finissez-en avec cela» leur crie-t-on. Le retour au «bercail» des François Legault et Joseph Facal est la seule manière de revenir au pouvoir. Il faut briser les liens avec les syndicats. Si le centre-gauche ne peut aller vers la droite, la droite prendra son envol encore plus rapidement. L’auto-liquidation de la pensée social-démocrate traditionnelle est une «nécessité».

Résistances

Dans notre univers chaotique et menaçant, une partie importante de la population achète ce discours. Qu’est-ce qu’on entend d’autres dans les médias, y compris dans Le Devoir et à Radio-Canada, de toutes façons ?!? Mais la réalité n’est pas si simple. Les gens ne sont pas totalement dupes. Ainsi, malgré les appels des voyous et des clowns, on n’est pas prêt à détruire l’environnement pour quelques dollars qui iront aux monopoles énergétiques. Lassée des défaillances du système public, la population continue de défendre l’assurance-santé, l’accès à l’éducation supérieure, les CPE. Les illuminés du Réseau «Liberté» ont beau faire beaucoup de bruit, les faits restent têtus.

Renouveler

Aussi dans ce contexte, on peut espérer que le «renouvellement» de la social-démocratie, invoquée par un groupes d’intellectuels (1) pourrait vouloir dire autre chose que de procéder à l’auto-liquidation. Condition indispensable et de départ, le renouvellement en question doit se traduire par une rupture avec le PQ et aider à renforcer l’initiative de convergence en cours autour de Québec Solidaire. Faut-il rappeler que le grand projet de l’émancipation humaine, dans la tradition social-démocrate et socialiste, aspire à une société juste, démocratique, autonome ? Faut-il rappeler que l’émancipation est construite par les couches populaires elles-mêmes, et non «octroyée» par un «sauveur suprême» ? Par ailleurs, est-il nécessaire d’insister sur le fait que cette émancipation est antinomique avec le pouvoir des dominants et que, sans être dogmatique, il y a entre le capitalisme et la liberté humaine un fossé infranchissable ? Certes, on ne décrétera pas la mort du capitalisme demain matin. En attendant, il faut se défendre et imposer aux dominants, au moins, un autre «grand compromis». Si on se base sur l’expérience du passé, il n’y a pas 36 000 moyens pour y arriver. Il n’y a pas d’alternative à un principe aussi vieux que le monde et également terriblement efficace : la lutte.

(1) Benoît Lévesque et al, Chantier pour une nouvelle social-démocratie. http://www.oikosblogue.coop/?p=332.

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