Bruce McKenna, militant néodémocrate, délégué syndical au Syndicat des étudiant.e.s employé.e.s de l’UQAM (Sétue)
Dans une vue d’ensemble, on constate que ce parti a une tradition socialiste interne qui remonte à l’époque de la Cooperative Commonwealth Federation, et qui n’a pas disparu avec la conversion de plusieurs gouvernements néodémocrates au néolibéralisme dans les années 1990. Aujourd’hui, plusieurs tendances au sein de son membership militent pour des politiques de gauche, incluant notamment le réseau Courage, qui se tient tout de même à une distance critique du parti à certains égards.
Un parti à géométrie variable
Lors du récent congrès fédéral du NPD en mars dernier, les militant.e.s de Courage et leurs allié.es ont réussi à faire adopter des résolutions en faveur du salaire minimum de 20 $ l’heure, et pour des sanctions contre le gouvernement d’Israël en solidarité avec le peuple palestinien. D’autres résolutions proposant des réformes socialistes ambitieuses sont mortes au feuilleton. Cependant, il faut reconnaître que l’utilité du congrès comme site d’intervention est limitée par le fait que le leadership ne se sent pas contraint par ses résolutions sur le plan politique. En 2018, le congrès a approuvé une résolution demandant l’élimination des frais de scolarité dans l’éducation postsecondaire. La plateforme électorale de 2019 parlait plutôt d’éliminer l’intérêt sur les prêts étudiants.
Les cadres semblent voir les congrès un peu comme une caisse de résonance où on entend le membership parler entre eux et avec les responsables et élus. Bien qu’il soit difficile de savoir les détails exacts, les positions prises par le caucus fédéral semblent être décidées avant tout par une coterie d’attachés politiques dans le bureau fédéral et dans les bureaux centraux financés par la Chambre des communes, en consultation avec le chef. Le degré d’influence des député.e.s semble varier, selon le style du chef. Thomas Mulcair avait une réputation d’autoritaire, mais c’est moins le cas avec M. Singh. Les cadres du NPD travaillent selon un paradigme de la politique qui est foncièrement professionnaliste et managérial. Pour plusieurs, la notion d’un parti authentiquement démocratique leur est probablement étrangère.
Tendances
Le NPD est un parti qui a récemment perdu la grande majorité de ses sièges, qui a eu des difficultés importantes de financement, et qui a vu beaucoup de rotation de personnel au bureau fédéral depuis 2017. Les employés au siège fédéral comprennent souvent la politique dans les termes conventionnels qui sont perpétués par les médias et les autres partis représentés à la Chambre des communes. Mais contrairement à d’autres formations comme le Parti travailliste en Angleterre ou les Démocrates aux États-Unis, il n’y a pas au NPD de stratégie élaborée pour bloquer la gauche. Il y a peut-être des député.e.s plus égoïstes et carriéristes que d’autres. Il y a peut-être des gens qui ne veulent pas antagoniser le secteur pétrolier. Mais il y a peu d’idéologues néolibéraux.
Les préjugés
Pour autant, il y a une sorte de préjugé contre les militants de gauche qu’on décrit comme des gens qui veulent manifester plutôt que gouverner. On les voit comme un peu incompréhensibles, romantiques, pas sérieux. La « vraie » politique est pensée autour de stratégies électorales selon les règles établies : marketing du chef, messages testés devant des panels de consommateurs, souci avant tout des sondages et des médias. Les cadres à Ottawa sont souvent des gens qui se voient comme des professionnels de communications et de marketing politique. Ils ont des bonnes intentions. Ils viennent peut-être du mouvement étudiant ou de la permanence d’un grand syndicat. Ils sont embauchés par des politiciens pour les aider à se faire élire. Un camarade me l’a bien exprimé une fois : « c’est du monde qui veut gagner ». C’est la business de la politique. S’il y a un projet de société, c’est une considération secondaire pour plusieurs.
Comment participer dans ce genre de parti ?
En d’autres mots, comment devenir sérieux ? D’abord, plutôt que s’attendre à ce que les résolutions du congrès réorienteront le parti, les socialistes doivent se mettre à reconstruire systématiquement sa culture démocratique qui a été érodée au fil des années. Le conseil fédéral est un corps souvent négligé qui pourrait prendre l’initiative de mettre sur pied des comités, des groupes de travail, et d’autres lieux pouvant permettre aux membres de participer dans le travail politique du parti. Nous pourrions imaginer, par exemple, une dynamique où des propositions sur des enjeux d’actualité seraient produites par des groupes de travail constitués de membres ordinaires. Au Québec, où le NPD n’a pas de section provinciale, il n’y a rien qui empêche les militant.e.s des associations locales de former des réseaux régionaux quasi formalisés, pour partager des connaissances et bâtir la capacité organisationnelle des circonscriptions, également pour développer des bases de pouvoir et d’influence au sein du parti.
Quand les socialistes essaient d’intervenir aux congrès tout en se tenant à une distance critique envers le parti, elles et ils risquent de négliger les opportunités qui viennent avec un engagement plus soutenu. Ils risquent aussi d’oublier qu’ils ont déjà plusieurs allié.es au sein du membership.
Ne pas oublier la centralité du travail local
Les courses à l’investiture représentent une opportunité d’influencer la composition du caucus. En principe, le parti peut refuser l’approbation de candidat.es pour des raisons idéologiques. En pratique, c’est assez rare. La course à l’investiture est une opportunité de recruter des bénévoles, de bâtir le membership de l’association locale, et d’identifier les gens qui peuvent jouer un rôle de leadership au niveau local. Ce qui est le plus important, c’est que les socialistes démontrent qu’ils sont capables de gagner des élections. Le travail de terrain doit mettre l’accent sur des éléments de plateforme qui peuvent avoir un impact réel sur la vie des gens, et bâtir la solidarité autour d’un projet de société. Si on sait comment mobiliser les gens et recueillir les fonds, et on est prêt à faire le travail acharné de parler aux électeurs du comté, le factionnalisme au niveau local a tendance à disparaître. C’est ainsi qu’on peut commencer à jouer un rôle de leadership dans le parti.
De plus, si un.e candidat.e socialiste trace prudemment sa propre voie un peu indépendante par rapport aux lignes de communications de la campagne centrale, il n’y a pas grand-chose que le centre peut faire, même si, ultimement, le chef et ses cadres détiennent beaucoup de pouvoir. Ce travail est plein de défis et de tensions. Mais peu importe les signaux mixtes, et peu importe l’hostilité réelle de certaines factions et de certains personnages qui entrent parfois en jeu, je pense que la porte est ouverte pour les socialistes.