L’entente de principe conclue, en juin, par les dirigeants d’une partie du front commun, sera sans doute ratifiée sans enthousiasme. Fort de cette éventualité, plusieurs d’entre nous, sont déjà passés à autre chose acceptant, en grognant, qu’à défaut de pain on mange de la galette comme disait ma grand mère. Ils n’acceptent pas l’entente, ils s’y résignent.
Plusieurs syndicalistes parmi mes collègues, adhèrent à l’argument qu’il vaut mieux un texte négocié qu’imposé par décret. Évidemment. Que cette entente sur le plan salarial est plus généreuse que ce qu’ont obtenus les salariés d’autres juridictions au Canada. En effet, un est plus grand que zéro et que s’appauvrir un peu vaut mieux que s’appauvrir davantage. Que sur le plan normatif, plusieurs demandes patronales ont été abandonnées et on enregistre même quelques gains dans la santé et l’éducation, notamment la création de postes.
Des perceptions différentes de la conjoncture
Lorsqu’on creuse un peu la discussion, on comprend vite l’analyse implicite fondant cet argumentaire. S’y révèle une perception de l’ espace social et politique tout en noir. Les salarié-es ont intériorisés le discours de la crise et l’étroitesse des marges de manoeuvres financières de l’État. Le Québec est dans le rouge nous scande tout les jours le système de presse de monsieur Péladeau. Le responsable: la gabegie des fonctionnaires. Plusieurs d’entre nous auraient même le sentiment d’être privilégiés du simple fait de disposer d’une relative sécurité d’emploi et ce particulièrement dans les régions ressources. En dépit du succès prometteur de la grande manifestation du printemps dernier, la mobilisation des membres tournerait à vide. Bref, «ça lève pas à la base». La messe est dite. Vaut mieux prendre ce qui passe et espérer que le syndicalisme québécois se déploie autrement dans la contestation sociale et l’action politique, par exemple. Alors qu’il peine à défendre le pouvoir d’achat de ses adhérents.
Cette analyse, qui n’est pas sans fondement factuels immédiats, reste néanmoins superficielle. De très nombreuses enquêtes démontrent que l’opinion publique reste attachée au service public et exprime particulièrement sa méfiance face au projet de PPP. Que la bataille pour l’opinion publique est loin d’être perdue particulièrement dans le secteur de la santé et de l’enseignement primaire-secondaire. On oublie aussi qu’une action gréviste, menée de façon intelligente et au moment opportun, peut contribuer à élargir une mobilisation. Encore faut-il oser un brin et essayer de coaliser le plus largement possible contre une hausse des tarifs et mener un vrai débat sur la fiscalité au Québec. Refuser cette voie, c’est prendre pour acquis les contraintes financières de l’État et inévitablement s’y adapter. D’où l’épaisse sinistrose dans laquelle nous nous engluons et ce, à tous les échelons du mouvement syndical. Le nouveau mantra? «Ça lève pas, stie!» Mais tous n’en sont pas frappés de la même manière. Étrangement, on retrouve dans le syndicalisme de très gros villages gaulois qui semblent immunisés. Notamment du côté de la construction, des infirmières, de certains syndicats de chargés de cours, d’enseignants de CEGEP, quelques CLSC, une fédération de profs du primaire-secondaire et sans doute beaucoup d’autres qui pourraient canaliser leur déception en action et non en résignation.
Je ne crois pas aux théories conspirationnistes, la face paresseuse de la sinistrose. Cette entente n’est pas le fruit d’un sordide et obscur complot tramé par les dirigeants syndicaux avec le gouvernement Charest et ce, pour des raisons tout aussi obscures. Pas question de déchirer sa chemise et de crier à la trahison. Cette entente est même le reflet assez fidèle du syndicalisme réellement existant, depuis que nous avons laissé derrière nous le syndicalisme de combat et sa ligne de risque. Les syndicalistes qui nous proposent d’adopter cette entente de principe sont de bonne foi et croient sincèrement que c’est le plus et le mieux qu’on puisse obtenir dans les circonstances. Nous ne faisons pas la même lecture de la conjoncture et en tirons tout naturellement des conclusions différentes. Voilà tout. Mais force nous est de constater qu’il y a un écart plus important que jamais entre d’une part, les revendications initiales et son discours de légitimation et, d’autre part, le résultat concret sur le plan salarial. Nous avons commencé à nous mobiliser pour, notamment, mettre fin à un déjà long processus d’appauvrissement. Nous avons expliqué que la qualité du travail dans le secteur public avait un prix et que l’écart de la rémunération avec le privé est devenu intolérable, menaçant à terme la qualité et la stabilité des services. Un peu naïvement sans doute, nous avons cru au bien fondé de ce constat. Nous méritons plus et mieux, disions nous. Nous voulions 11,25% sur trois ans… et nous avions raison.
Spéculer sur l’avenir immédiat du système
In fine, si cette entente est ratifiée, nous avons la certitude d’approfondir notre appauvrissement relatif les deux premières années et aucune garantie tant qu’au résultat global pour les trois autres années. Dis autrement, même avec une inflation modérée, personne ne peut affirmer où nous en serons dans cinq ans. Personne ne peut offrir de certitude à qui que ce soit sur l’impact réel de ce dispositif d’enrichissement dans le cadre d’un système économique caractérisé par le caractère cyclique de ses crises. Seul, un dispositif conventionné permettant l’indexation des salaires au coût de la vie permettrait cette garantie. Nous avons donc opté pour la ligne de risque, mais pas dans le sens où on l’entendait jadis dans le mouvement syndical: le risque inhérent à l’action gréviste. Ce risque est en fait un pari: celui d’une bonne santé relative de l’économie capitaliste dans trois, quatre et cinq ans. Nous spéculons sur le bon fonctionnement d’un système qui n’est pas le nôtre, espérant ainsi valoriser le prix de notre travail dont l’utilité sociale est par ailleurs indiscutable.
Hélas, plusieurs syndiqués-es ne sont pas ou alors très peu des syndicalistes convaincus. Personne ne connait avec précision les conséquences sur ces membres d’une déjà longue période d’érosion du pouvoir d’achat. Plusieurs seront sans doute tentés de poser la question dans le cadre étroit et tronqué d’une relation coût/bénéfice. En ai-je pour mon argent compte tenu des cotisations? Pour les syndicalistes convaincus, voir pour les secteurs plus militants, nous doutons que l’acceptation sans combat de cette entente de principe (pour 5 ans… ne l’oublions pas) puisse avoir un effet favorable.
Au collégial, c’est la tâche…
Mon syndicat local d’enseignant de CEGEP procède ces jours-ci, en instance, avec d’autres, à l’analyse fine des dimensions normatives de l’entente de principe. Nous en discuterons bientôt en assemblée générale et prendrons alors position sur le contenu de nos conditions de travail pour les cinq prochaines années. Faut pas se tromper, parce que cinq ans, c’est long… surtout quand nous voulions une convention de trois ans… À mon humble avis, mes collègues se feront une tête et prendront position en se posant une question celle de la tâche de travail qui indiscutablement s’est alourdie au fil des années. Cette entente de principe va t-elle contribuer à alléger ou alourdir davantage cette tâche? Quel sera l’impact concret, dans notre collège, dans nos classes de cet embauche de nouveaux profs que prévoit l’entente sectorielle? Qu’en pensent nos collègues des autres CÉGEP? Est-ce que nos éventuels gains sur le plan normatif nous ferons accepter , tout compte fait, l’entente de principe dans son ensemble? C’est ce que nous verrons bientôt. Mais connaissant les traditions de mon syndicat local, j’en doute fort et cette fois, c’est bien ainsi. Déjà, on ironise. Alors, on se retranche dans son petit village d’Astérix, noble et pathétique posture de combat, pendant que toute notre tribu de gaulois discute avec César? Gauchiste! Ou pire: dissident! comme on disait dans l’Union soviétique post-stalinienne avant de vous administrer une camisole de force chimique.
Non, on pense simplement qu’on mérite plus et mieux. Que quelque part entre la sinistrose et le délire aventuriste, il y a place pour une intelligente et patiente stratégie offensive axée sur la promotion du service public comme nous l’avons si bien commencé. On pense que quelquefois, il faut oser la ligne de risque surtout quand la partie patronale est très faible, comme c’est le cas actuellement avec ce gouvernement et on comprend mal pourquoi, sans combat, il faudrait accepter cette entente de principe aussi soudaine que surprenante. Pourquoi signer si rapidement? Où est l’urgence? Il n’y a pas de feu au lac. On nous explique que la mobilisation a atteint son maximum et que le rapport de force ne pourra que se détériorer en défaveur des salariés. On n’explique jamais ce qui fonde cette étrange prévision. On pense que les infirmières qui planifient un vote de grève fin septembre ne sont pas des folles finies même si l’isolement dans lequel elles risquent de se retrouver, si nous acceptons l’entente, pourrait les conduire à revivre le triste film de la répression à la Lucien Bouchard.
Cette fin annoncée du front commun, ne présage rien de bon pour la suite des choses sur le plan de l’unité syndicale. Si les infirmières montent seules à l’assaut du ciel, que ferons nous? En signant nous renonçons à notre droit de grève pour cinq ans. La moindre des choses, c’est de prendre tout le temps nécessaire pour faire le débat en profondeur avant de voter.
François Cyr, enseignant au Collège Ahuntsic
22 août 2010
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