Dans un livre remarquable qui s’appuie sur une enquête de terrain approfondie, Sébastien Chauvin rend compte du fonctionnement des agences de travail journalier à Chicago sous l’angle des discriminations que subissent les Noirs et les sud-Américains sur le marché du travail non qualifié. Il met en évidence un régime de mobilisation de la main-d’œuvre précaire.
Recensé : Sébastien Chauvin, Les agences de la précarité. Journaliers à Chicago, Paris, Seuil, 2010, 339 p.
Au printemps 2006, les mouvements de contestation du CNE et du CPE ont mis en évidence les craintes d’une bonne partie des Français face au développement de la précarité. Des voix se sont alors élevées pour défendre les « garanties » du CDI [1] contre l’indétermination de ces nouveaux contrats, alliant flexibilité et durée limitée, et dénoncer les projets de loi favorisant l’avènement d’un marché du travail dérégulé sur le modèle anglo-saxon. L’angoisse suscitée à l’époque venait surtout de la très forte incertitude que ce type d’engagement faisait peser sur les salariés dans la relation d’emploi. C’est cet aspect, sans doute l’un des plus inquiétants et des plus emblématiques du marché du travail étatsunien, que Sébastien Chauvin aborde dans Les agences de la précarité. L’ouvrage, issu d’une thèse de sociologie [2], décrit l’univers des travailleurs intérimaires employés par des agences de day labor, dans la région de Chicago. Ces agences de travail journalier fournissent une main-d’œuvre peu qualifiée à des entreprises du secteur de l’industrie légère. Chaque jour ouvrable entre 4h et 5h du matin, avant même l’ouverture, une file d’attente s’organise devant ces établissements, où les candidats à l’embauche se pressent dans l’espoir d’obtenir les faveurs du « dispatcheur » (l’employé chargé de composer les équipes de travail) et de figurer sur un « ticket » (qui correspond à la liste de travailleurs qui accompagne chaque « livraison » de personnel). Cette population de salariés précaires, qui se compose pour l’essentiel de ressortissants mexicains ou sud-américains sans-papiers et de Noirs, souffre d’une forte discrimination selon le statut civique et l’origine ethnique. Elle correspond à ce que Yann Moullier-Boutang appelle le « salariat bridé » [3], c’est-à-dire un pan du « salariat dépendant dont la liberté est contrainte juridiquement » (p. 47) et qui, de ce fait, souffre d’une forte inemployabilité. L’ambition avouée de l’auteur est d’appréhender par la démarche ethnographique le rôle de ces agences dans la répartition de l’incertitude entre salariés bridés et employeurs sur le marché du travail secondaire [4].
Tout au long du livre, il s’efforce de mettre en évidence les formes de contrôle qui s’exercent sur la main-d’œuvre dans le but de « limiter sa mobilité autonome » (p. 20), autrement dit de garantir son immobilité pour mieux s’assurer de sa mobilisation au travail. À travers de multiples stratégies de rétention qui frappent des populations déjà stigmatisées, les entreprises du secteur tentent de s’arroger un pouvoir de convocabilité permanente des travailleurs pour répondre au mieux aux besoins des entreprises clientes, sachant que leur révocabilité est déjà nettement facilitée par le contrat de travail. Cette recherche s’appuie sur une enquête de terrain, fondée sur l’observation participante, la réalisation d’entretiens, le traitement secondaire de données statistiques et la consultation d’archives, qui informe l’ensemble de la réflexion.
Noirs et sans-papiers sur le marché du travail déqualifié
Aux États-Unis, la croissance très vive du secteur intérimaire lors des trois dernières décennies est alimentée par l’augmentation de l’immigration illégale et la politique d’incarcération massive qui frappe particulièrement les hommes noirs. Les politiques publiques en vigueur façonnent deux formes distinctes d’inemployabilité : l’une civique, l’autre judiciaire et ethno-raciale (chap. 1). La première forme d’inemployabilité repose sur des mesures favorisant tout à la fois « l’immigration et l’illégalité des nouveaux arrivants » (p. 49). En effet, les sans-papiers acquièrent progressivement des éléments de citoyenneté formels auprès des administrations, en dépit de la fausseté ou de l’illégitimité des documents en leur possession, encouragés en cela par des promesses de régularisation régulières mais souvent reportées. Le maintien indéfini dans un statut civique secondaire de travailleurs hispaniques fait partie, d’après l’auteur, d’un apprentissage de leur condition subordonnée, au cours duquel les dispositions morales des candidats sont mises à l’épreuve. Les agences de day labor servent ici à « externaliser l’illégalité en faisant assumer le risque judiciaire (et réputationnel) à des employeurs intermédiaires dans une démarche analogue à celle de l’assurance » (p. 62). De ce point de vue, les agences de travail journalier forment une niche civique en raison de leur capacité à attirer une frange importante de travailleurs étrangers non autorisés (16,2 % des étrangers légaux à Chicago en 2001 contre seulement 3,2 % de la main-d’oeuvre totale ; tout porte à croire que la proportion de sans-papiers est encore plus élevée). La seconde forme d’inemployabilité, judiciaire et ethnoraciale, touche principalement la population noire. Elle concerne en particulier les jeunes hommes, issus des quartiers désindustrialisés et pauvres de Chicago, souvent passés par la prison. Les chiffres en la matière sont accablants : « En 2002, 12 % des hommes noirs entre 20 et 30 ans étaient incarcérés. En 1999, 30 % des hommes afro-américains de 35 ans n’ayant pas fait d’étude […] étaient passés par la prison » ; à Chicago, dans le quartier noir de North Lawndale, « 70 % des hommes de 18 à 45 ans ont un casier judiciaire » (p. 70-71). Incarcération et racisme se combinent pour exclure les jeunes afro-américains de toute une série de professions et de formations, et les orienter assez naturellement vers les agences de travail journalier, incitées, notamment fiscalement, à embaucher ces travailleurs sous le régime du workfare [5] qui sévit aux États-Unis. Tout comme les travailleurs sans-papiers, ces Noirs se montrent incapables de donner des gages suffisants aux employeurs du marché primaire et se trouvent exclus des emplois les plus convoités.
Historiquement, le processus de substitution partielle d’une main-d’oeuvre hispanique à une main-d’oeuvre noire a été dissocié dans le temps et dans l’espace. En effet, la crise de l’industrie lourde a conduit les classes populaires blanches et les classes moyennes noires à quitter les quartiers centraux dans les années 1980 et 1990. Les mexicains ont ensuite investi les anciens quartiers blancs et ont profité d’une implantation de l’industrie légère dans les surburbs et exurbs de Chicago. En revanche, la frange la plus pauvre des afro-américains, résidant dans le ghetto, n’est pas parvenue à prendre pied dans ce nouveau secteur. Cette phase de transition a initié la baisse continue de la part des travailleurs noirs parmi les actifs industriels. Aujourd’hui, il existe à Chicago des filières de recrutement distinctes dessinant des niches ethniques bien différenciées, partition renforcée par la barrière linguistique entre anglophones et hispanophones. Par conséquent, dans la pratique, les salles d’attente des agences de day labor représentent le seul endroit où ces deux groupes font l’expérience de leur concurrence directe sur le marché du travail déqualifié. Cette concurrence se trouve toutefois atténuée par une différenciation ethnique des travailleurs, interne aux agences, ou le recours à une mixité raisonnée qui se fait toujours au détriment des Noirs, population d’ailleurs de plus en plus minoritaire dans ce secteur. Elle s’accompagne de discours de rejet puisant dans les registres du « mérite » chez les hispaniques et de la « citoyenneté » chez les Noirs.
Sébastien Chauvin se concentre ensuite sur le fonctionnement des agences, à partir d’entretiens auprès d’intérimaires et de patrons, et d’observations réalisées chez Bob’s Staffing et Minute Staff [6] (chap. 2). La procédure de recrutement des journaliers est lue, en prolongeant les travaux de Pierre Bourdieu, comme un « rite d’institution négatif » qui vise à distinguer travailleurs qualifiés et non-qualifiés, en stigmatisant ces derniers. L’auteur tend à montrer que le déroulement de l’embauche présente « l’image inversée d’une procédure de recrutement normale, aussi bien en termes de durée et de temporalité de la séquence, de formalité ou d’informalité des interactions, que du contenu des compétences « testées » » (p. 106), ce qui contribue à nier les qualités des travailleurs embauchés et à les réduire à des « compétences naturalisées » déduites du sexe ou de la race. Par exemple, l’expérience carcérale de certains journaliers fait partie d’un passé négatif qu’ils doivent apprendre à dissimuler ou à masquer, sous peine d’être durablement exclu de l’emploi. Puisque certaines de ses phases essentielles sont esquivées (présentation du CV, entretien de motivation, négociation du salaire, etc.), le processus de recrutement n’est jamais complètement achevé, instaurant un contrat à durée « indéfiniment limitée ». De cette façon, la main-d’œuvre est placée dans une situation d’attente, perpétuellement à la disposition des employeurs, sans qu’ils aient à se soucier de rémunérer cette attente ou de verser des indemnités de licenciement : « En abolissant partiellement la frontière entre main-d’œuvre potentielle et main-d’œuvre effective, il tend à rendre caduque la distinction entre flexibilité interne et flexibilité externe. » (p. 132).
L’incertitude comme mode de rétention de la main-d’œuvre
Le recours à l’intérim recèle pour les entreprises utilisatrices des risques importants de défection de la part de travailleurs, dotés en théorie d’une importante liberté. Le rôle des agences de travail journalier consiste justement à limiter l’autonomie et la mobilité de ses employés afin de faciliter leur mobilisation (chap. 3) : elles y parviennent grâce à un partage de l’incertitude asymétrique et inégalitaire qui définit la précarité. Au cœur de ces stratégies de rétention économique et spatiale vient se loger la question de l’attente. Toute la journée de l’employé d’agence est un long exercice de patience : dans la queue le matin avant l’ouverture du bureau ; puis, pour s’inscrire sur la liste ; dans les bus qui conduisent les équipes sur les différents lieux de travail, souvent très éloignés du centre-ville et inaccessibles en transport en commun, etc. La liste sur laquelle les candidats écrivent leur nom chaque matin, censée déterminer l’attribution des postes, est un instrument clé de la rétention par l’incertitude : elle impose une présence physique quotidienne ; elle matérialise l’espoir d’un emploi et entretient l’investissement des journaliers ; enfin, elle instaure un semblant de rationalité. De manière générale, l’organisation des agences traduit une valorisation morale de l’attente comme moyen d’écarter les employés les plus « indisciplinés » (et, éventuellement, de contribuer à leur édification), et d’infliger une sanction à ceux qui auraient défié l’autorité.
À l’intérieur de l’agence, s’opère une différenciation de la main-d’œuvre, notamment par le biais du dispatcheur qui est en mesure d’offrir aux travailleurs les plus fidèles la certitude de l’emploi (« boni de certitude », comme le fait d’être prioritaire sur un « ticket » ou d’éviter de faire la queue), à défaut de proposer des avantages pécuniaires (« boni monétaires »). Sébastien Chauvin rassemble les travailleurs sous trois types, qui définissent autant de stratégies de réduction de l’incertitude. Les « journaliers occasionnels » (casual temps) évoluent entre plusieurs agences et travaillent pour de multiples usines. Leur absence de loyauté envers un unique employeur leur interdit de profiter des avantages offerts par l’agence, ils sont les premières victimes de la gestion arbitraire par la liste. Les « journaliers réguliers » (regular temps) appartiennent, eux, au noyau de main-d’œuvre d’une seule agence, qui les envoie travailler chez de nombreux clients. Ils acquièrent ce statut en ayant fait montre de patience dans la salle d’attente et le conservent en ménageant de bonnes relations avec les dispatcheurs. Enfin, les permatemps sont employés depuis des années dans la même usine, pour le compte de la même agence, où ils bénéficient de certains avantages informels. Avec le temps, ils accèdent à des postes plus autonomes ou avec davantage de responsabilités, et regagnent une part de la flexibilité qu’ils ont concédée.
En tant qu’intermédiaire économique et culturel, le dispatcheur doit simultanément répondre aux demandes de ses clients, assurer la discipline dans la salle d’attente et même soigner les maux des journaliers. Il s’avère être une figure-clé du partage de l’incertitude (chap. 4). Pour s’attirer ses bonnes grâces, les travailleurs ne sont pas avares de cadeaux (plats cuisinés, boissons, etc.) qui, selon l’auteur, viendraient en reconnaissance de l’emploi et du salaire concédés. Comme dans relation de don/contre-don, les présents offerts par les journaliers répondent aux « faveurs » accordées par le dispatcheur, et sont attribués non pas au titre du droit mais en guise de récompenses, conformément aux analyses d’Alain Morice sur le paternalisme [7].
Les carrières informelles des journaliers
Le dernier chapitre du livre (chap. 6) déplace le regard vers les entreprises clientes, en prenant l’exemple de quatre d’entre elles où l’auteur a lui-même travaillé. Il cherche à saisir la diversité des situations rencontrées par les journaliers dans l’organisation de la production : si le plus souvent ils occupent une position marginale faute de disposer du temps nécessaire pour se faire une place, certains parviennent, grâce à l’ancienneté et à leur statut informel, à exercer des responsabilités. Dans ce cas, surtout lorsque l’usine emploie quasi exclusivement des intérimaires, l’espace usinier n’oppose plus tant travailleurs de planta (salariés de l’usine) et travailleurs de oficina (journaliers) que permatemps et casual temps. Chez ces sous-traitants de l’industrie, la journée de travail est jalonnée de nombreuses interruptions liée à l’organisation en flux tendu, ou plus exactement le fonctionnement en « juste-à-temps » (p. 280), puisque les commandes du donneur d’ordre sont assorties de contraintes temporelles strictes. L’usage extensif de la main-d’œuvre (qui écorne l’image de soi du travailleur) n’incite pas les entreprises à renvoyer les journaliers dès que l’ouvrage vient à manquer, mais il leur impose cependant des temps morts durant lesquels ils doivent rester mobilisés « en mim[ant] le taylorisme au sein d’une organisation qui ne l’est pas vraiment » (p. 305). De ce fait, le « sale boulot » ne correspond pas à la répétition d’une même tâche, mais aux changements fréquents de postes imposés par la hiérarchie qui empêchent tout gain d’autonomie. Toutefois, cette organisation n’exclut pas des formes de solidarité s’affranchissant des différences de statut, facilitées en premier lieu par une homogénéité ethnique et linguistique. « En outre […], l’emploi durable, massif et régulier de la main-d’œuvre journalière conduit à faire réémerger des règles collectives qu’on associe d’ordinaire à d’autres périodes industrielles : la « normalisation » du travail intermédié contribue en retour à lui conférer certaines propriétés « normales » » (p. 312), comme les pauses.
L’ascension professionnelle des travailleurs sans-papiers est freinée par leur statut civique, rompant la relation classique entre ancienneté et statut d’emploi, censée garantir avec le temps une promotion des salariés loyaux. Ils sont pris dans des relations de dépendance personnalisée à l’égard de leur employeur. Le cas de Filiberto, un travailleur mexicain clandestin, est éclairant. Au moment où Sébastien Chauvin le rencontre, il est employé depuis six ans dans la même entreprise. Au fil du temps, il a bénéficié d’avantages concédés par son patron (augmentation de salaires, congés payés, etc.) et occupe un poste d’encadrement où il exerce son autorité sur des employés permanents de l’usine et légaux, ce qui justifie aux yeux de l’auteur son rattachement à une dernière catégorie de journaliers : les « journaliers fictifs ». Ces journaliers s’élèvent dans la hiérarchie professionnelle jusqu’à atteindre un « plafond de carton » (nous sommes ici dans le secteur du conditionnement !), que leur illégalité ne permet pas de dépasser. Ces trajectoires révèlent l’existence d’une « segmentation imbriquée » qui, à la différence d’une « segmentation ségréguée » où les travailleurs illégaux ne peuvent s’extraire du marché du travail secondaire et où les travailleurs autorisés accèdent seuls au marché interne, n’interdit pas la promotion d’hispaniques sans-papiers à des postes à responsabilité, à des niveaux certes modestes. Ces parcours dessinent des « carrières informelles » durant lesquelles les travailleurs acquièrent des droits, eux aussi informels, et accèdent à la stabilité « dans la relation d’intérim, éventuellement par-delà cette relation, mais non en dehors d’elle » (p. 322). Leurs compétences et leurs droits sont reconnus uniquement dans l’usine qui les emploie, limitant sérieusement la mobilité autonome ou « automobilité », dans le lexique de Yann Moullier-Boutang. Ce mode de fidélisation informelle, nourri de paternalisme, ne serait pas complet si l’espoir de régularisation ne dépendait pas, lui aussi, du bon vouloir des employeurs.
En définitive, Sébastien Chauvin offre un livre extrêmement construit qui développe une théorie maîtrisée. La rigueur de la démonstration est d’ailleurs incontestable, mais ce mode d’exposition tend parfois à gommer les aléas de la recherche de terrain et les incertitudes propres à la situation d’observation au profit d’un édifice conceptuel achevé. Même si l’auteur prend bien soin d’introduire des cas négatifs pour enrichir l’analyse [8], notamment lorsqu’il souligne l’existence de formes de solidarité, peu évidentes a priori, entre les travailleurs intérimaires par delà les statuts d’emplois, et ce malgré les politiques d’atomisation et de mise en concurrence à l’œuvre au sein des agences, il aurait pu mieux articuler, dans certains passages, la comparaison de cas et les montées en généralité qu’il énonce. On aurait, en outre, aimé en savoir davantage sur les conditions de son accès au terrain et sur le déroulement même de son enquête. Il est, par exemple, fait mention à plusieurs reprises des relations que l’auteur a pu nouer avec Antonio, un enquêté qui l’a hébergé au cours de sa recherche. Comment l’a-t-il rencontré ? Quels échanges ont-ils eu ? Quelle inflexion cette rencontre a-t-elle introduite dans son travail d’enquête ? Rien n’est dit dans le livre. Il manque probablement une annexe méthodologique revenant sur l’expérience d’enquête et décrivant les étapes de son insertion sur le terrain, quoique cet aspect puisse probablement faire l’objet d’un autre livre sous la forme d’un « journal de terrain » remanié [9].
En dépit de ces réserves mineures, l’ouvrage de Sébastien Chauvin constitue une remarquable analyse de la précarité, servie par une écriture élégante et dense, et illustrée d’un grand nombre de comptes-rendus ethnographiques, d’extraits d’entretiens et de photographies. Il distingue avec soin précarité, flexibilité, intermittence et mobilité pour proposer, au carrefour de la sociologie de classes populaires, des études de race et des théories hétérodoxes du marché de travail, une armature théorique ambitieuse. Au delà de Chicago, ce livre vient grandement enrichir les recherches sur les transformations du salariat et les mutations des formes de discrimination face à l’emploi. Il suggère aussi des pistes de comparaison internationale [10] en faisant du travail journalier américain un cas particulier du travail précaire comme « régime historique de mobilisation de la main-d’œuvre » (p. 332).
Documents joints
*
En attendant le travail (PDF – 207.6 ko)
par Paul Costey
Notes
[1] Pour certains auteurs, le CDI ne fixerait pas un cadre aussi rigide et aussi sûr qu’on veut bien le dire, comparé au CDD ou au contrat d’intérim dont la rupture unilatérale est impossible avant son terme. Le lien établit habituellement entre CDI et sécurité de l’emploi tiendrait à la coïncidence historique, durant les « trente glorieuses », entre une phase hégémonique de cette forme de contrat et une période de quasi plein-emploi. Voir Claude Didry, « Misère de la sociologie et sociologie de la misère. Réflexions sur la précarité relative dans le capitalisme néo-libéral », in Jean Lojkine, Les sociologies critiques du capitalisme, Paris, PUF, 2002, p. 81-104 et Rémy Caveng, « Quelques aspects du nouveau régime de subordination », Regards sociologiques, n° 32, 2006, p. 5-21.
[2] Sébastien Chauvin, Intérim industriel et mobilisation de travailleurs journaliers à Chicago, thèse de doctorat de sociologie, EHESS, 2007. L’auteur a laissé de côté pour cette publication un volet de sa recherche qui concerne la mobilisation des travailleurs précaires pour la défense de leurs droits au sein d’un worker center. Sur ce point, voir Sébastien Chauvin, « « Il faut défendre la communauté. » Ethnographie participante d’un community meeting de travailleurs journaliers à Chicago », ContreTemps, n° 19, 2007, p. 59-69 ; « Le worker center et ses spectres. Les conditions d’une mobilisation collective des travailleurs précaires à Chicago », Sociologies pratiques, n° 15, 2007, p. 41-54 ; « Des mobilisations bridées. Le syndicalisme informel parmi les travailleurs journaliers aux États-Unis », in Sophie Béroud, Paul Bouffartigue (dir.), Quand le travail se précarise, quelles résistances collectives ?, Paris, La Dispute, 2009, p. 253-270.
[3] Yann Moullier-Boutang, De l’esclavage au salariat. Economie historique du salariat bridé, Paris, PUF, 1998.
[4] Il mobilise les travaux des théoriciens de la segmentation du marché du travail. Il faut noter qu’il n’est pas surprenant de voir ces références mobilisées, puisque les premiers travaux du genre cherchaient à expliquer les inégalités ethniques sur le marché du travail américain. Voir Peter B. Doeringer, Michael J. Piore, Internal Labor Markets and Manpower Analysis, Lexington, Heath, 1971 et Michael J. Piore, Birds of Passage : Migrant Labor and Industrial Societies, Cambridge (Mass.), Cambridge University Press, 1979.
[5] « Un dernier élément conduisant les hommes noirs vers les agences est le passage du welfare au workfare dans les années 1990. Bien que le welfare étatsunien se soit toujours situé du côté de l’assistance et ait toujours inclus une dimension de contrôle social, son abolition en 1996 a opéré le basculement d’un système de redistribution fondé sur les droits sociaux à un système d’assistance fondé sur le mérite moral. Son principe central est de conditionner le versement des aides sociales à l’exécution des tâches peu ou pas rémunérées pour lesquelles les entreprises d’accueil sont subventionnées. » (p. 73-74) Voir Jean-Claude Barbier, « Pour un bilan du workfare », La Vie des idées, 4 novembre 2008.
[6] Les noms des agences ont été modifiés par l’auteur.
[7] Voir le mémoire d’habilitation d’Alain Morice, Recherche sur le paternalisme et le clientélisme contemporains : méthodes et interprétations, HDR, Paris, EHESS, 1999.
[8] Sur l’importance des cas négatifs et la démarche d’induction analytique dans la recherche de terrain, voir Jack Katz, « Analytic induction », in Neil J. Smelser, Paul B. Baltes (dir.), International Encyclopedia of the Social and Behavioral Sciences, Oxford, Elsevier, 2001, p. 480-484.
[9] La publication conjointe de journaux ou de notes retraçant le processus d’enquête et d’un ouvrage académique présentant les résultats de la recherche, fait partie des pratiques courantes de l’ethnographie, au moins depuis Malinowski. Pour un exemple récent sur un terrain américain proche de celui de Sébastien Chauvin, voir Sudhir A. Venkatesh, Off the Books : The Underground Economy of the Urban Poor, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 2006 et Gang Leader for a Day : A Rogue Sociologist Takes to the Streets, New York, Penguin Press, 2008.
[10] L’auteur étudie actuellement les mouvements de travailleurs sans-papiers en France dans le collectif de recherche ASPLAN. Voir, par exemple, Pierre Barron, Anne Bory, Sébastien Chauvin, Nicolas Jounin, Lucie Tourette, « L’intérim en grève : la mobilisation des travailleurs sans-papiers intérimaires », Savoir/agir, n° 12, juin 2010, p. 19-26.