Jonathan Durand Folco, Relations, 6 octobre 2021
Merci à la revue Relations qui nous a autorisé à republier ce texte paru dans leur numéro d’automne 2021. Pour le texte originel : https://cjf.qc.ca/revue-relations/publication/article/face-retour-denis-coderre-il-faut-appuyer-projet-montreal/
L’auteur, professeur adjoint à l’École d’innovation sociale de l’Université Saint-Paul, a publié À nous la ville ! Traité de municipalisme (Écosociété, 2017)
En vue des élections municipales de 2021, une question majeure s’impose aux Montréalais et Montréalaises ayant à cœur l’écologie et la justice sociale : faut-il appuyer ou non le parti Projet Montréal ? La réponse ne va pas de soi pour qui fait un bilan critique du premier mandat de l’administration Plante tout en tenant compte des autres choix en présence sur le bulletin de vote.
UN PARTI SOCIAL-LIBÉRAL
D’un côté, il faut reconnaître que sur le plan écologique, Projet Montréal a bel et bien mis en œuvre plusieurs éléments de sa plateforme comme l’instauration de nombreuses mesures de mobilité durable (accroissement substantiel de la flotte d’autobus, projet d’extension de la ligne bleue du métro et gains sur le projet de ligne rose, création du Réseau express vélo). S’y ajoutent la création du Grand parc de l’Ouest, l’adoption d’un plan sur le climat visant la carboneutralité en 2050, ou encore la création d’un Bureau de la transition écologique et de la résilience. Sur le plan des mesures sociales et démocratiques, l’administration Plante n’a pas hésité à prendre position contre le projet de loi 21, à reconnaître l’existence du racisme systémique et à créer un poste de commissaire pour le combattre. Elle a aussi adopté un règlement visant à favoriser le logement social et abordable (mieux connu sous le nom de « règlement 20-20-20 »), soutenu activement les personnes en situation d’itinérance durant les premiers mois de la pandémie, tout en multipliant les budgets participatifs dans certains arrondissements et dans la ville-centre.
De l’autre côté, Projet Montréal a adopté la ligne « sociale-libérale » qui combine des mesures sociales et écologiques à une politique économique relativement orthodoxe et capable de s’accommoder du statu quo néolibéral. La stratégie de développement économique 2018-2022 Accélérer Montréal mise avant tout sur l’innovation, la compétitivité, l’entrepreneuriat et l’attractivité comme vecteurs de création de richesse. La déception de la mairesse quant au fait qu’Amazon n’implante pas son deuxième siège social à Montréal et son accueil enthousiaste d’entreprises du secteur de l’intelligence artificielle laissent transparaître une vision économique basée sur ledit « capitalisme numérique, vert et inclusif ». Si on ajoute à cela les allégations de concentration du pouvoir au sein du cabinet de la mairesse, le refus de l’administration Plante de définancer la police, l’expulsion brutale des campeurs sans-logis de la rue Notre-Dame et ses gestes timides en matière de régulation de la spéculation immobilière, il semble y avoir plusieurs raisons de douter du caractère « progressiste » de Projet Montréal une fois passée l’épreuve du pouvoir.
Les seules options viables, d’un point de vue écologiste et progressiste, consistent donc à offrir un appui critique à Projet Montréal ou à voter pour d’autres candidatures de gauche qui se présenteraient sous d’autres bannières en novembre 2021.
UN APPUI STRATÉGIQUE ?
Ainsi, faut-il lui accorder un second mandat ? Les personnes d’orientation écologiste et progressiste devraient en principe osciller entre les options suivantes : 1) appui sans réserve au parti ; 2) appui critique ; 3) vote pour un autre parti plus à gauche ; 4) abstention pour raison de cynisme ou d’opposition idéologique (posture anarchiste). S’il me semble impossible et contre-productif de convaincre les anarchistes de voter pour Projet Montréal, deux options doivent à mes yeux être éliminées d’emblée : l’appui sans réserve au parti, tout comme l’abstention par amère déception. La première option me semble sous-estimer les incohérences et les faux pas commis lors du premier mandat, alors que la seconde me semble trop intransigeante et paver la voie à une administration qui a de fortes chances d’être pire, si on se fie au bilan des années Coderre.
Chose certaine, on peut aisément anticiper qu’un retour en force de Denis Coderre, avec son look rajeuni et une campagne largement appuyée par l’establishment économique et médiatique, sera facilité si l’électorat progressiste ne vote pas aux prochaines élections. Notons à ce titre que le tropisme pro-Coderre des grands médias est apparent depuis l’hiver dernier si on se fie à la couverture du journal La Presse (notamment à propos du livre de Denis Coderre), et aux chroniqueurs de la droite populiste du Journal de Montréal qui font de Valérie Plante l’archétype de la politicienne « woke » favorable à la « gauche diversitaire » et à l’anglicisation accélérée de Montréal.
Les seules options viables, d’un point de vue écologiste et progressiste, consistent donc à offrir un appui critique à Projet Montréal ou à voter pour d’autres candidatures de gauche qui se présenteraient sous d’autres bannières en novembre 2021. En théorie, il serait possible d’avoir le meilleur des deux mondes avec une victoire de Plante à la mairie (qui éviterait le retour de Coderre) – et une multitude de victoires écologistes dans plusieurs arrondissements et dans une foule de municipalités et régions du Québec, notamment grâce à l’initiative de la Vague écologiste au municipal. Ce réseau panquébécois de soutien à l’émergence de candidatures écologistes, créé en vue des prochaines élections, pourrait accroître le poids politique des municipalités ayant à cœur la transition sociale et écologique, incluant l’administration Plante à Montréal qui s’en trouverait moins isolée à l’échelle québécoise.
Dans tous les cas, l’action de la gauche ne doit évidemment pas se limiter à un simple X sur un bulletin de vote. Sans une gauche réellement organisée à l’extérieur de la scène électorale, travaillant activement à la convergence entre les luttes féministes, antiracistes, écologistes, décoloniales et anticapitalistes, un second mandat de Projet Montréal sera insuffisant pour changer la donne. L’avantage d’avoir au pouvoir une administration ouverte aux idées progressistes est qu’il sera plus facile de dialoguer avec elle et de la convaincre de réaliser des changements plus radicaux… à condition bien sûr qu’il y ait des forces sociales pour la pousser à bousculer le statu quo. L’objectif est donc moins de choisir un « gouvernement municipal idéal » que de se choisir le meilleur interlocuteur sur lequel on pourra faire pression pour accélérer le changement social.