Yves-François Blanchet a trébuché un certain nombre de fois depuis le début de la campagne. En soi, ce n’est pas si grave. sachant que tous les politiciens s’enfargent. puisque la « game », ce n’est pas d’émettre des idées voire des propositions claires, mais de « bien paraître ». En général, les chefs de parti ont autour d’eux une armée de « spins » dont la compétence est de produire des messages de type publicitaire. Quelques fois ils réussissent. D’autres fois, ils se trompent. Cette fois-ci, on a eu un foirage en règle.
Mais les trébuchements en question sont peut-être plus graves en autant qu’ils sont des indicateurs, des marqueurs. C’est souvent de cette manière que se révèlent les fractures, qui ne semblent pas nécessairement profondes au début mais qui, en s’accumulant, démontre qu’il y péril en la demeure.
La plus grosse bourde de Blanchet a sans doute été l’appui au troisième lien à Québec. C’est une question locale, mais avec de grandes répercussions dans le contexte d’un face-à-face consistant qui dépasse le projet comme tel. D’un côté, il y a les entrepreneurs en construction et autres businessmen du genre, avec les médias poubelles, notamment ceux de Quebecor. Tout ce qu’il y a de droite et de droite dure est derrière ce projet pour divers arguments « économiques », quand ce n’est pas, pour l’extrême-droite, pour dénoncer la vaste « conspiration écologiste ». De l’autre, tout ce que la région compte de progressistes et de réformistes, du NPD en passant par le PQ jusqu’à Québec Solidaire et les groupes communautaires, avec une forte composante jeune et écologiste, s’y oppose. Entre les deux, une population qui hésite, assommée par le discours dominant, mais de plus en plus conscience que le compte à rebours est commencé pour la planète.
Il n’est pas vraiment possible dans un tel contexte, de se « tromper » de mots. Ou bien on est dans un camp. Ou bien on est dans l’autre. Blanchet pourrait peut-être invoquer un argument électoral, puisque la population dans plusieurs comtés de la région, surtout de la Rive-Sud, espère que le troisième lien va leur rendre la vie plus facile. Mais cela ne peut pas être seulement cela. Quand il était ministre de l’environnement dans le gouvernement péquiste, Blanchet pensait qu’il fallait ouvrir l’Île d’Anticosti aux forages pétroliers. Tout au long de ses années au pouvoir, le PQ ne s’est pas vraiment démarqué de la vision pétro-centrée du « développement » qui devait avoir la préséance sur l’environnement. C’est son background politique.
Mais maintenant, tout cela se retourne contre lui. Une partie de électeurs et électrices bloquistes pourraient changer de camp. Les éléments plus conservateurs, partisans en majorité de la CAQ au niveau provincial, pourraient être tentés d’aller vers le Parti Conservateur qui a arraché avec Erin O’Toole une certaine crédibilité. On dit bien une « certaine » crédibilité puisqu’une bonne partie des députés conservateurs et un plus grand nombre encore parmi les bases « militantes » du PC, restent toujours accrochés aux idées de droite extrême, complotistes, anti-immigrants, anti-autochtones et dans une large mesure, anti-Québec. Mais ce n’est pas nécessairement ce qui apparaît au grand public d’autant plus que les médias, comme souvent, n’effectuent pas leur travail. Certes l’appui plus ou moins explicite de François Legault pourrait aider O’Toole à récupérer une partie du vote bloquiste, notamment dans la région de la capitale et au centre du Québec.
Et il y aussi une autre érosion. Traditionnellement, une partie importante de l’électorat du Bloc venait des partisans de l’indépendance, du PQ en effet, parmi lesquels on comptait plusieurs syndicalistes dont l’ancien chef Gilles Duceppe. Celui menait le Bloc vers des positions relativement progressistes, souvent en symbiose avec le NPD, pour défendre les chômeurs, pour réclamer plus de ressources pour la santé et l’éducation, pour s’opposer aux pipelines, etc. Bref en phase avec une opinion progressiste. Mais cet électorat est ébranlé devant la collusion entre le Bloc et la CAQ. Il est peu impressionné par la performance minable sur la question environnementale. Bref, les appuis à gauche du Bloc sont en train de s’éroder, peut-être pas au même niveau que ce qui était arrivé contre Jack Layton, mais à un niveau significatif, ce qui menace plusieurs des 32 députés actuels, souvent élus avec de courte majorité dans des batailles à trois où chaque candidat était à quelques centaines de votes des autres.
Il appert que cette érosion n’est pas conjoncturelle, qu’elle traverse tant le Bloc que le PQ, qu’elle exprime une « tendance lourde » depuis déjà plusieurs années. En réalité, la tentative amorcée par le PQ d’apparaître comme le grand rassemblement du peuple québécois, « ni de gauche ni de droite » comme le disait Bernard Landry, ne tient plus la route. L’élite économique québécoise, Québec Inc. est confortablement installée dans le périmètre nord-américain néolibéral. Il n’y a plus d’appétit pour une rupture avec l’État fédéral. Il en va de même pour les éléments plus conservateurs de la société québécoise, influencés par la grande vague de droite qui s’étend partout à commencer par nos voisins états-uniens. Du côté des couches moyennes et populaires, il est de plus en plus clair que la souveraineté ne peut survenir si elle n’est pas associée à de grandes réformes, à un projet de justice sociale et écologique. L’un ne va pas sans l’autre. Or, le PQ, comme le Bloc, répondent de moins en moins à cette aspiration.
Alors terminons par le commencement. La glissade de Blanchet est un phénomène politique de profondeur, non pas un « évènement » ou le résultat d’ « erreurs ». Comme la joute est serrée, il est difficile de prévoir ce qui va arriver le 20 septembre. La lutte est très dure entre le PC et le PLC,. Avec les trébuchements du Bloc, la campagne du NPD pour la première fois depuis longtemps est plus marquée à gauche. Est-ce assez pour faire basculer l’échiquier politique. Un sérieux recul du Bloc serait probablement le début de la fin dans un contexte pour ce parti au moment où l’hypothèse de l’indépendance est remplacée par le nationalisme frileux et identitariste de la CAQ. Le processus risque de se poursuivre par la suite jusqu’à l’élection québécoise de l’automne 2022 où le PQ mettra lui aussi sa survie en jeu.