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Écologie et solidarité internationale

Gus Massiah explore ici les liens entre la solidarité internationale et l’écologie, à travers l’histoire de la convergence entre les mouvements écologiques et les mouvements de solidarité internationale, qu’il relie aux enjeux de la Conférence de Copenhague sur le changement climatique.

Le terme d’écologie a subi en un peu plus d’un siècle un glissement fondamental qui l’a conduit de la sphère biologique à la sphère politique [] Il apparaissait en 1866 [] comme une manière de définir l’étude des milieux pour les organismes vivants. Il est aujourd’hui un outil de la pensée politique qui voudrait réintégrer la nature, son évolution et les usages que nous en faisons, dans la façon d’organiser les sociétés. La dimension écologique s’est affirmée comme un nouveau paradigme de la transformation des sociétés. Elle est confrontée à d’autres dimensions : la justice sociale ; les droits et les libertés ; la géopolitique et la solidarité internationale. L’articulation entre ces dimensions caractérise l’écologie et qualifie les réponses qui sont proposées en son nom. Nous explorerons ici le rapport entre l’écologie et la solidarité internationale. Pour le faire, nous ne partirons pas des catastrophes écologiques et des solidarités événementielles qui se sont créées à leur suite. Nous nous intéresserons plutôt à l’histoire de la convergence entre les mouvements écologiques et les mouvements de solidarité internationale qui pose cette question sur la durée. Sur ce point, les positions que les mouvements sociaux et citoyens prennent vis-à-vis de la Conférence de Copenhague sur le changement climatique en éclairent les enjeux. Afin de comprendre comment se sont formées les questions en débat, il faut voir qu’en 1992, déjà, la convergence entre les écologistes et les associations de solidarité internationale avait marqué la Conférence de Rio sur Environnement et Développement. A partir de cette évolution, nous pourrons revenir sur les questions posées aux mouvements sociaux et citoyens dans la période actuelle, par rapport à la crise de la phase néolibérale de la mondialisation capitaliste. Les enjeux de la Conférence de Copenhague sur le changement climatique

La Conférence de Copenhague sur le changement climatique, en décembre 2009, aura une importance considérable. En effet, même si l’impératif écologique ne se limite pas à la question du changement climatique, les négociations qu’elle va susciter vont déterminer l’évolution de l’ensemble des enjeux écologiques. D’une part, la prise en compte du changement climatique a des conséquences sur toutes les autres questions environnementales. D’autre part, le changement climatique est porteur de la nécessaire refonte en profondeur du modèle de transformation sociale. Enfin, le changement climatique accentue la prise de conscience de l’urgence et ne permet pas des atermoiements sans fin sur les nécessaires réformes indispensables.

L’enjeu est mondial ; la négociation est internationale. Elle est d’abord entre les Etats. La dimension géopolitique est dominante dans le cours des négociations. La négociation oppose deux groupes de pays : le G8 qui regroupe les pays du Nord et le G77 qui représente les positions des pays du Sud. Dans ce duel, un petit groupe de pays émergents occupe une position pivot : essentiellement la Chine, l’Inde et le Brésil. Ce petit groupe est associé aux pays du G8 par le G20 qui se présente comme un nouveau directoire de la mondialisation. Mais il est aussi en phase avec le G77 dont certains sont même formellement partie prenante.

Trois questions sont en débat [] . Quel sera le niveau de la réduction des gaz à effet de serre et comment sera-t-il réparti ? Comment sera évalué le financement correspondant à cette réduction et comment sera réparti ce financement ? Quelles seront les modalités retenues pour le financement et quelles institutions seront responsables de la mise en œuvre ? Ces questions continueront à marquer l’espace du débat dans les années à venir.

Un accord partiel et partial favorisant les pays du Nord

Le champ de la négociation a été délimité dans la Conférence de Bangkok préparatoire à celle de Copenhague [] Cette conférence a réuni en octobre 2009 les délégations officielles des Etats et a été l’occasion d’un forum des associations et des mouvements de la société civile. Le niveau de réduction sera loin des 40% préconisés pour 2020 par le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), mais des efforts non négligeables pourraient être annoncés. Il ne s’agirait pas d’une réduction répartie dans un accord commun, mais d’une déclaration en commun des réductions annoncées par chaque pays. Ce qui permettrait de différencier ce nouvel accord du Protocole de Kyoto que les Etats-Unis n’envisagent pas de signer. La réduction serait financée à partir des niveaux d’émission. Les pays du Nord refuseraient toujours de lier le financement à leur responsabilité passée dans la détérioration des conditions climatiques. Les pays émergents pourraient accepter de contribuer plus fortement, à la mesure de leurs émissions en hausse. Près de la moitié du financement serait assurée par la taxation du carbone. Le G77 refuse, comme le propose le G8, de confier ce mécanisme à la Banque Mondiale et au FMI. Une institution des Nations Unies pourrait être créée pour le mettre en œuvre ; son instance de direction politique serait spécifique, mais elle pourrait prendre comme agents d’exécution les institutions de Bretton Woods.

La Conférence de Copenhague se dirige donc vers un accord partiel qui n’est pas à la hauteur des enjeux en matière de réduction et qui, même avec quelques concessions aux pays du Sud, maintient la suprématie des pays du Nord dans la défense de leurs intérêts et dans le refus de reconnaître leurs responsabilités.

La mobilisation des mouvements sociaux et citoyens

Les mouvements sociaux et citoyens qui se sont organisés pour peser sur les négociations regroupent des mouvements des sociétés du Nord et du Sud, et notamment, des mouvements écologistes, des organisations de producteurs, des organisations syndicales de salariés et des organisations paysannes, des associations de solidarité internationale. Ils ont affirmé, à partir de la diversité de leurs orientations et de leurs appréciations, des positions en désaccord avec le compromis qui s’ébauche.

Ils s’inquiètent, tout d’abord, de ce que l’urgence de la situation passe après les intérêts des grandes puissances et que les réductions ne soient pas à la hauteur des nécessités. Ils insistent sur le fait que le seuil de deux degrés de baisse de température doit être considéré comme un impératif. Ils considèrent que les réductions doivent être réparties de manière impérative selon un même critère. Ils rappellent que le financement doit prendre en compte la dette écologique contractée par les pays industrialisés. Ils s’inquiètent de la réalité des financements pour la transformation sociale des pays pauvres, d’autant que plusieurs pays ont déjà affirmé qu’il n’y aurait pas d’additivité par rapport à l’Aide Publique au Développement. Ils contestent les modalités envisagées de la taxation carbone. Ils s’alarment des conséquences dramatiques pour les populations fragiles, et les régions pauvres, en termes de pauvreté, d’inégalités et de discriminations. Ils attirent l’attention sur les risques des migrations environnementales et sur le nécessaire respect des droits des migrants dans tous les pays.

Les enjeux de la Conférence de Copenhague ne se limitent pas à la Conférence des Etats. Elle concerne aussi les mouvements sociaux et citoyens qui doivent définir leurs objectifs et leurs stratégies pour la suite. De ce point de vue, nous proposons de mettre l’accent sur la convergence entre les mouvements écologistes et les mouvements de solidarité internationale qui constitue un des points d’appui essentiels de l’intervention des sociétés civiles dans ce processus. Pour cela, comme nous l’avons dit plus haut, il nous faut revenir sur l’histoire de cette convergence à partir de la Conférence de Rio en 1992. Nous développerons alors une analyse de la situation actuelle et des débats qui s’ouvrent sur les issues à la crise globale. Les suites de la Conférence de Rio, Environnement et Développement, en 1992

Pour explorer la relation entre écologie et solidarité internationale, nous partirons de la convergence entre le mouvement écologiste et le mouvement de solidarité internationale. Quand et comment cette convergence s’est-elle tissée ? De façon visible, elle s’affirme dans la préparation, le déroulement et les suites de la Conférence des Nations Unies, Environnement et Développement, à Rio en 1992. A partir de Rio, plusieurs avancées sont engagées ; elles sont toujours d’actualité. Nous retiendrons : la convergence des mouvements sociaux et citoyens et la culture de la diversité ; l’émergence d’un nouvel espace des négociations internationales en relation avec une opinion publique mondiale ; la floraison des propositions liées à l’accès aux droits pour tous et au droit international ainsi que le rôle de l’expertise citoyenne ; le débat fondamental sur la science, la nature et le développement.

Une pensée de l’écologie liée aux contradictions Nord-Sud.

Mais cette convergence n’a pas commencé en 1992 ; elle existe depuis longtemps et a marqué les débuts du mouvement écologiste. La conscience du caractère global de l’écologie, et sa proposition de « penser global et agir local », se sont traduites par une sensibilité au tiers-monde et une écoute du mouvement de solidarité internationale. Cette convergence a résisté à l’offensive idéologique du Club de Rome affirmant que la population du Sud, la « bombe P », était responsable de la dégradation de la planète. Elle a résisté aussi à la crise de la décolonisation liée à l’évolution d’une partie des régimes politiques issus du mouvement des libérations nationales qui ont combiné l’étatisme, le productivisme et la remise en cause des libertés. En France, en 1974, le premier candidat écologiste à une élection présidentielle, René Dumont, est emblématique de la liaison entre l’écologie émergente et l’impératif de la solidarité internationale.

Dans la préparation de Rio s’est affirmée la convergence des mouvements écologistes et de solidarité internationale. L’impératif écologique s’affirmait comme un enjeu global ; il se devait de prendre en compte la contradiction Nord –Sud. Cette convergence s’est élargie, en quatre ans, au fil des Conférences internationales des Nations Unies. Elle a impliqué plus directement les associations de défense des droits fondamentaux, à la Conférence de Vienne, en 1993. Elle a impliqué les associations citoyennes et familiales à la Conférence Internationale sur la Population et le Développement, au Caire, en 1994. Elle a impliqué plus directement les mouvements de solidarité, les organisations syndicales de salariés et les organisations paysannes, au Sommet Social, à Copenhague, en 1995. Elle a impliqué plus directement les associations de femmes à la Conférence de Pékin, en 1995. A la Conférence sur la Ville à Istanbul, en 1996, elle a impliqué les associations d’habitants et les mouvements sociaux urbains.

Un nouvel espace public sur les questions mondiales.

Cette convergence est le fondement du mouvement altermondialiste et sera visible à partir de 1999 lors des manifestations de Seattle contre l’OMC. Elle formera la base des Forums sociaux mondiaux, qui réunissent des acteurs de la société civile mondiale, et de leurs déclinaisons régionales, thématiques, nationales et locales. Dans cette nouvelle configuration, sous différentes appellations, qui vont des associations aux sociétés civiles, émerge une nouvelle dynamique, celle des mouvements sociaux et citoyens. Dans ce mouvement, une nouvelle culture politique se fait jour à partir du refus de la fatalité et de la reconnaissance de la diversité. Cette diversité repose sur la complémentarité de toutes les formes de lutte porteuses d’émancipation, et sur la légitimité de toutes les luttes contre les discriminations et les oppressions. Elle prolonge les leçons des luttes des femmes dans le refus de la subordination de certaines luttes à la résolution des contradictions considérées comme principales.

A partir de Rio, les mouvements sociaux et citoyens vont investir un nouvel espace de négociation internationale qui se met en place. Cet espace est ouvert par une partie du système des Nations Unies qui ont été marginalisées par la création du G7 comme directoire mondial, appuyé sur les institutions de Bretton Woods, le FMI, la Banque Mondiale et l’OMC. Cette marginalisation faisait partie de la reprise en main du système mondial par les pays qui se nomment eux-mêmes « les démocraties industrielles », mais qui ont du mal à cacher qu’il s’agit des pays dominants le monde, des plus riches, des plus armés et de surcroît, tous anciens colonisateurs. Les Conférences mondiales redonnent la parole à tous les pays et ouvrent la discussion à d’autres acteurs internationaux. Les mouvements sociaux et citoyens débordent vite les ONG internationales d’abord mises en avant. Les écologistes renforcent leurs alliances avec les mouvements de consommateurs. D’autres acteurs sont associés à cette dynamique. Les collectivités locales et territoriales s’affirment sur le plan international à partir d’Istanbul en 1996. Les acteurs économiques se différencient. Les mouvements de l’économie sociale et solidaire s’inscrivent plus fortement dans les mouvements associatifs.

Le modèle de la Conférence internationale qui se met en place comprend la négociation officielle entre les délégations officielles des Etats. Dans de nombreux pays, les délégations consultent les acteurs de leur société et certains des experts des associations participent aux délégations. La conférence parallèle des sociétés civiles, ouvertes à tous les vents permet de confronter les propositions et de définir des points de vue communs. Enfin, les contre-conférences, appuyées par des manifestations diverses font connaître leurs critiques et leurs interpellations qui sont parfois relayées par les médias. C’est à travers cette configuration que les mouvements sociaux et citoyens s’adressent à l’opinion publique mondiale pour peser sur les institutions internationales et sur l’opinion publique internationale pour s’appuyer sur les opinions publiques nationales par rapport à leurs Etats. Elles cherchent aussi à favoriser la construction d’une opinion publique mondiale dans laquelle les opinions des pays du Sud s’affirmerait et se dégagerait de celle des pays du Nord et de leurs relais.

Une pensée de l’écologie fondée sur l’accès aux droits pour tous.

Cet évolution renouvelle et enrichit l’espace des propositions. Elle permet de s’opposer au « There is no alternative » de Madame Thatcher et à l’évidence autoproclamée des solutions néolibérales. Les idées qui cheminent sont nourries d’autres approches qui se retrouvent au croisement de certaines instances des Nations Unies, pour qui la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme reste une référence majeure, et des mouvements sociaux et citoyens. Dans certains cas, des avancées sont possibles, comme lors de l’élaboration et de l’adoption du Protocole additionnel des Droits économiques sociaux et culturels, ainsi que les accords internationaux sur l’environnement et notamment le Protocole de Kyoto. Dans beaucoup de cas, la bataille est plus incertaine et les tentatives de récupération par le néolibéralisme sont dominantes. Le cœur de la bataille reste la conception du droit international toujours soumis à la volonté des pays dominants de le subordonner au dogme du libre échange et au droit des affaires. Sans oublier la distance considérable qui sépare les déclarations des mises en œuvre et le redoutable effet dévastateur du « deux poids, deux mesures » qui mine la confiance des peuples dans le droit international.

L’intervention directe des mouvements écologistes et de solidarité internationale au niveau du droit international va prendre toute son ampleur depuis 1984, avec la catastrophe de Bhopal. Après la plus importante catastrophe industrielle jamais survenue, la multinationale Union Carbide propriétaire de l’usine chimique qui a explosé se réfugie derrière l’indépendance juridique de sa filiale pour refuser sa responsabilité et toute indemnisation. Devant ce cynisme des pouvoirs économiques et politiques qui organisent la mondialisation, des associations indiennes et internationales organisent des campagnes de sensibilisation et de dénonciation. En 1992, le Tribunal Permanent des Peuples organise à Bhopal une session pour pallier au scandaleux vide juridique international. Il organise une série de sessions sur les questions d’environnement, notamment sur l’Amazonie brésilienne, à Paris en 1992, et sur les multinationales, notamment à Paris en 1999, sur la multinationale française Elf, devenue Total, et avec six sessions en Colombie de 2006 à 2008. En 2002 à Johannesburg, au Sommet mondial sur le Développement durable, Greenpeace a publié son “Corporate Crimes Report” contenant les “Principes de Bhopal” pour exiger un accord international sur la responsabilité civile des entreprises.

Dans cette évolution, les mouvements sociaux et citoyens mettent en avant une expertise citoyenne qui se dégage de l’expertise dominante des grands Etats et de celle des forces économiques dominantes. Cette expertise citoyenne s’affirme à travers la convergence des mouvements qui prend des formes actives dans les plateformes de mobilisation et les campagnes mondiales. A Rio, il est apparu clairement que l’expertise citoyenne n’était pas une spécialité des associations du Nord. Sur les questions écologiques, les associations du Sud, notamment indiennes et brésiliennes ont apporté les références principales qui se sont imposées dans l’espace de la conférence et qui continuent à alimenter le débat mondial []. On a retrouvé ce changement qualitatif dans plusieurs autres questions, comme sur la dette sous ses différentes déclinaisons, financières, sociales et écologiques.

C’est aussi à Rio que s’est noué le débat fondamental sur l’évolution de la pensée scientifique. Au début de la Conférence, des scientifiques de renom ont publié un « Appel de Heidelberg », dans lequel ils déclaraient « nous nous inquiétons … de l’émergence d’une idéologie irrationnelle qui s’oppose au progrès scientifique et industriel et nuit au développement économique et social… dans la mesure où l’humanité a toujours progressé en mettant la nature à son service et non l’inverse ». De nombreux scientifiques, liés aux mouvements sociaux et citoyens, ont réagi avec vigueur, notamment dans « l’Appel à la raison pour une solidarité planétaire » lancé par Global Chance, contre cette conception datée du progrès conçu comme l’alliance entre la science et l’industrie, et portée par les « comportements d’impérialisme scientifique qui prétendent sauver l’humanité par les seules science et industrie ». []

La conférence de Rio a donc rendu visible une convergence en gestation depuis quelques décennies. Elle a permis de dégager une orientation commune qui lierait l’écologie aux droits et à l’émancipation d’une pensée néolibérale de l’écosystème. La crise globale actuelle en révèle l’urgence et la nécessité. Quelle place tient la crise écologique au sein de la crise globale ? C’est ce que nous voulons discuter à présent avant d’engager une réflexion sur la manière dont les débats écologiques s’inscrivent dans les issues stratégiques à la crise globale. L’écologie dans la crise globale

La crise globale est une crise structurelle de la mondialisation capitaliste dans sa phase néolibérale. Elle se déploie dans quatre dimensions : économique et sociale ; écologique ; géopolitique ; politique et idéologique. La séquence actuelle, constituée par une cascade de crises sociale, financière, monétaire, immobilière, énergétique, alimentaire, économique en est une déclinaison en situation. Plusieurs questions déterminent l’évolution de la situation à l’échelle mondiale et marquent les différents niveaux de la transformation sociale (mondiale, par grandes régions, nationale et locale) []. Parmi ces questions, soulignons la crise du néolibéralisme et la crise géopolitique avec la fin de l’hégémonie des Etats-Unis.

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L’élément le plus déterminant est la crise écologique mondiale qui est devenue patente. Il s’agit autant de l’aggravation de la crise écologique que de la prise de conscience de cette dimension et des dangers pour l’écosystème planétaire. L’écologie fonctionne comme un paradigme nouveau qui introduit de nouveaux aiguillages dans la manière de penser le monde. Ainsi, chacune des dimensions de la crise doit être appréciée dans son rapport à l’écologie. L’écologie interdit d’envisager une issue à la crise économique et sociale qui reprendrait le modèle dominant de la croissance et du productivisme. L’écologie redessine les équilibres géopolitiques déjà confrontés au rééquilibrage économique introduit par les pays émergents ; elle définit les nouveaux enjeux mondiaux dans la crise climatique et l’accès aux ressources naturelles. On retrouve directement à ce niveau les questions mises à jour par la Conférence de Copenhague : comment réduire les émissions de gaz à effet de serre ? Quelles conséquences sur le niveau et la nature de la croissance ? Comment répartir les réductions entre les pays ? Comment financer cette réduction ?

La réciproque est aussi vraie. La compréhension de l’écologie dans le contexte actuel ne peut être envisagée en dehors des autres dimensions de la crise. C’est ce qui caractérise la différence entre les réponses écologiques. Ainsi, la relation avec la dimension économique et sociale de la crise induit la nécessité de prendre en compte les inégalités écologiques et les inégalités sociales ; de lier écologie et social. Il faut reconnaître que la crise écologique est une crise sociale. Une transformation écologique des sociétés est inenvisageable sans une forte redistribution sociale et il est illusoire de penser que la transition pourrait être payée par les pauvres et avec leur accord. Ainsi, la relation avec la crise politique et écologique induit la nécessité de prendre en compte les insécurités croissantes, les dérives autoritaires, la remise en cause des droits fondamentaux et des droits environnementaux ; de lier écologie et libertés. Ainsi, la relation avec la crise géopolitique induit la nécessité de prendre en compte les risques de conflits et de guerres et les inégalités entre les pays ; de lier écologie et solidarité internationale.

Les premières caractérisations, et différenciations, des réponses et des politiques écologiques se définissent dans la manière de lier écologie et social, écologie et libertés, écologie et solidarité internationale.

Dans chacune des crises particulières qui marquent les déclinaisons de la crise globale, les implications de l’écologie sont considérables. Ainsi des crises financières, boursières, économiques, de l’emploi, énergétique, climatique, immobilières, etc. La liaison entre ces crises a déjà ses répercussions. L’approfondissement des inégalités et des discriminations, dans chaque société et entre les pays, atteint un niveau critique et se répercute sur l’intensification des conflits et des guerres et sur la crise des valeurs. Les institutions responsables de la régulation du système international ont perdu leur légitimité. Une des tâches des mouvements écologistes, en liaison avec les autres mouvements, et particulièrement avec le mouvement de solidarité internationale, consiste à identifier pour chacune de ces crises particulières le rôle de l’écologie dans sa genèse et son approfondissement, et d’analyser les conséquences de chacune de ces crises sur les réponses écologiques à la crise globale.

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La crise climatique occupe aujourd’hui une place particulière, tant par ses conséquences et son urgence que par l’importance de la prise de conscience des enjeux. Cette prise de conscience a dépassé les instances et les milieux avisés pour gagner l’opinion publique et peser sur les gouvernements. Elle accroît la tendance de certaines associations à privilégier les actions de lobbying, d’expertise, de plaidoyer et d’influence sur les gouvernements. Cette action ne manque pas d’intérêt et peut donner des résultats à court ou moyen terme. Mais elle a aussi ses dangers. Le lobbying et l’influence jouent dans les deux sens et peuvent renforcer, au nom du réalisme, la tendance aux compromis majeurs. La confiance dans la volonté des gouvernements à changer les choses, parfois contre leurs intérêts a des limites. Dans la durée, seule la mobilisation et la détermination des mouvements, leur capacité à lier les propositions aux résistances, peut conduire à modifier durablement les politiques.

La crise climatique n’est pas la seule dimension de la crise écologique, même si elle est aujourd’hui première. Les autres questions conservent leur importance et leur urgence. Elles ouvrent des champs de réflexions et nécessitent des décisions. Il en est ainsi de l’eau, de l’air, des sols, de l’énergie, des ressources naturelles, des matières premières, de la biodiversité, du nucléaire, des déchets, des pollutions urbaines, des risques industriels, etc. Chacune de ces questions est liée à la crise climatique, et la crise climatique modifie les réponses à y apporter. A l’inverse, les propositions spécifiques ne sont pas complètement déterminées et subordonnées aux réponses à la crise climatique. L’articulation des réponses de chaque dimension spécifique avec la crise climatique permet de compléter et d’enrichir la stratégie proposée pour en faire une réponse écologique globale.

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L’urgence est de faire face aux dangers de la crise. Le premier danger concerne la pauvreté. Les sorties de crise habituelle consistent à faire payer la crise aux pauvres, et d’abord aux discriminés et aux colonisés. Le deuxième danger concerne la restriction des libertés et de la démocratie. Des politiques de sortie de crise fondées sur des orientations antisociales s’appuient en général sur les mesures de répression, de criminalisation des mouvements sociaux, de pénalisation de la solidarité. Cette évolution peut aller dans certaines régions vers des régimes autoritaires et répressifs. Le troisième danger cible des pays qui seront marginalisés et ruinés. Les risques de guerre sont aussi une issue classique des grandes crises. Les formes de guerre ont changé avec la militarisation des sociétés, l’apartheid global, la guerre des forts contre les faibles, la banalisation de la torture. Chacun de ces dangers a ses conséquences sur les questions écologiques et correspond à des politiques écologistes spécifiques. Ainsi, les inégalités permettent de maintenir un niveau de consommation pour les plus riches. De même que la déstabilisation garantit aux pays riches l’accès aux ressources naturelles. La restriction des libertés peut prendre pour prétexte l’urgence écologique.

La perspective est d’approfondir les opportunités ouvertes par la crise. Elles peuvent être identifiées à partir de l’analyse des impasses de la période néolibérale, des échecs du soviétisme, des limites du keynésianisme des « trente glorieuses », de la crise de la décolonisation. Retenons six opportunités ouvertes par la crise. D’abord, la défaite idéologique du néolibéralisme favorise la montée en puissance de la régulation publique. Ensuite, la redistribution des richesses et le retour du marché intérieur redonnent une possibilité de stabilisation et de garantie des revenus et de la protection sociale, de redéploiement des services publics. De même, l’urgence écologique nécessite une mutation du mode de développement social. Dans le même sens, la crise du modèle politique de représentation renforce la nécessité de la démocratie sociale et de la démocratie participative et une nouvelle réflexion sur les pouvoirs. De plus, le rééquilibrage ente le Nord et le Sud ouvre une nouvelle phase de la décolonisation et une nouvelle géopolitique du monde. Il s’accompagne d’une nouvelle urbanisation et des migrations qui sont les nouvelles formes du peuplement de la planète. Enfin un système de régulation mondiale permettant de penser et de réguler la transformation sociale à l’échelle de la planète et ouvrant la perspective d’une citoyenneté mondiale. Le mouvement altermondialiste est porteur de ces opportunités.

Les opportunités n’offrent pas de solution toute faite ; elles ouvrent la possibilité d’avenirs différents. La dimension écologique est au cœur de ces opportunités. Elle sert à qualifier la cohérence des sorties possibles ; elle y trouve aussi son sens. Elle s’inscrit dans les horizons à venir et modifie leur perception. A court terme, il s’agit de répondre aux dangers ; l’urgence climatique oblige à penser les dangers par rapport au long terme. A moyen terme, les politiques économiques et sociales ne peuvent être réservées aux questions économiques. A long terme, la définition des alternatives trouve avec l’impératif écologique de nouvelles perspectives. Les variables écologiques, la consommation durable, le capitalisme vert, les industries vertes, l’investissement vert, l’emploi vert ne sont pas seulement des conséquences des choix politiques, ils sont aussi à la source de certains de ces choix. Pour autant, aucune de ces variables ne conduit à des orientations complètement définies, elles deviennent aussi des variables d’ajustement et de décision dans la définition des différentes issues possibles à la crise.

L’écologie dans les issues stratégiques à la crise

Les issues à la crise ne sont pas prédéterminées. Le débat sur les orientations stratégiques s’organise autour de trois pôles. Ces trois pôles que nous proposons de retenir sont celui d’un Green New-Deal, celui du mouvement syndical international et celui du mouvement altermondialiste. []

Nous laissons de côté les propositions du G20 surtout préoccupées par des considérations tactiques et attentistes Elles ne critiquent d’aucune manière les politiques économiques imposées, fièrement revendiquées et toujours marquées du sceau du néolibéralisme. Or, il ne fait aucun doute que les discours sur la sortie imminente de crise seront bientôt infirmés. La reprise boursière cache mal la crise économique et le chômage. Le temps des crises structurelles est long. On peut se rappeler qu’en 1929, après la crise ouverte et la Grande dépression de 1930, c’est en 1933 que le programme du New-Deal a été défini et adopté. Et qu’il a fallu attendre 1945 pour qu’il soit appliqué, après une guerre mondiale.

Le Green New-Deal, une refondation du système international.

Le pôle d’un Green New Deal est organisé autour des instances les plus ouvertes des Nations unies. Les recommandations de la Commission Stiglitz s’y inscrivent (« Recommandations de la Commission d’experts au président de l’Assemblée générale des Nations unies sur la réforme du système monétaire et financier international » -19 mars 2009- ) et sont confortées par deux rapports du système des Nations unies : celui de l’OIT qui propose un plan mondial pour l’emploi (« Tendances mondiales de l’emploi » (janvier 2009) ) et celui de la CNUCED qui propose une réforme du commerce mondial et des politiques de développement (« The global economic crisis : Systemic Failures and Multilateral Remedies » -19 mars 2009- ).

Ces trois documents sont porteurs d’un programme réformateur de l’économie mondiale. Leur approche, qualifiée de Green New Deal, préconise une régulation publique qui s’inspire de l’esprit originel de Bretton Woods et qui reprend à son compte quelques-uns des paradigmes keynésiens adaptés à une économie ouverte plutôt qu’à une régulation nationale, et à la prise de conscience des limites écologiques. Le rapport de l’OIT met l’accent sur la lutte contre le chômage, dont il prévoit une explosion. Il préconise l’extension des systèmes d’assurance et d’indemnisation des chômeurs, la promotion du travail décent pour lutter contre la précarité, des investissements publics dans les infrastructures et le logement ainsi que dans les emplois verts (voir son rapport « Emplois verts : Pour un travail décent dans un monde durable, à faibles émissions de carbone » -septembre 2008 ).

Le mouvement syndical international, la situation des producteurs salariés et paysans.

Le mouvement syndical insiste sur la nécessité d’en finir avec le modèle néolibéral. Il considère qu’une réponse radicale par les gouvernements est nécessaire. Ses recommandations sont énoncées dans la « Déclaration syndicale internationale pour le Sommet de Londres » (26 mars 2009) , laquelle complète une réflexion engagée depuis plusieurs mois par le TUAC sur la réglementation financière (voir notamment «  [] » -novembre 2008- ).

Le mouvement syndical inscrit ses revendications de court et moyen terme dans une perspective explicite de développement durable. Il s’agit de travailler non seulement à enrayer la crise au plus vite, mais aussi à organiser une économie mondiale « verdie », plus juste et plus soutenable pour les générations futures. Il préconise un plan international de relance et de croissance durable coordonné, qui recoupe, en les précisant, une partie des propositions du plan de l’OIT et articule très court et moyen termes : investissements massifs pour l’emploi dans le développement d’infrastructures stimulant la croissance de la demande et la productivité de moyen terme ainsi que dans le soutien aux bas revenus, politiques actives du marché du travail, développement des filets de sécurité sociale, investissement dans une « économie verte » visant une croissance à faible émission de carbone, développement de l’accès aux ressources et renforcement des marges de manœuvre politiques permettant aux économies émergentes et en développement de poursuivre des stratégies anti-cycliques.

Le mouvement paysan inscrit aussi ses revendications dans le court et moyen terme. A titre d’illustration, dans sa « Déclaration de Maputo » [], le mouvement paysan international Via Campesina affirme la convergence de plusieurs crises : alimentaire, climatique, énergétique et financière, qui trouvent leurs origine commune dans la dérégulation économique. Il prône la souveraineté alimentaire comme l’une des réponses essentielles à ces quatre crises. Basée notamment sur la promotion de circuits locaux de production et de consommation (qui permet de lutter contre l’émission des gaz à effets de serre générée par le transport des aliments sur grande distance et l’agriculture industrialisée), et la lutte pour la terre, la souveraineté alimentaire se fonde sur « le changement de modèle productif vers une production agro-écologique et durable, sans pesticides et sans OGM et fondée sur les connaissances paysannes et indigènes. Comme principe général, la souveraineté alimentaire se construit à partir de nos expériences concrètes au plan local, c’est-à-dire du local au national ». Ces revendications paysannes réinterrogent utilement le lien entre les différentes crises actuelles, entre agriculture et industrie, salariat industriel et petites producteurs, ancrage d’alternatives locales et exigences mondiales. On retrouve là un point de la réflexion du syndicalisme international par rapport aux enjeux climatiques et écologiques. Les positions du mouvement syndical de salariés et des mouvements paysans ouvrent les perspectives d’une alliance fondamentale, celle des producteurs.

Le pôle altermondialiste, des pistes alternatives au système dominant.

Il regroupe ceux qui considèrent que la régulation n’est pas une réponse suffisante à la crise. Il est formé par ceux qui estiment qu’une réponse radicale à la crise nécessite une rupture avec le système dominant, le capitalisme, et qui inscrivent leur action dans la durée, ce qui influe sur les actions à court terme à mener d’urgence. Comme les deux autres pôles du débat, il ne s’agit pas d’un bloc homogène mais d’une situation dans le débat stratégique qui recouvre des positions et des appréciations différentes sur les opportunités et sur les alliances.

Il est porté par les mouvements sociaux et citoyens, associations, syndicats et réseaux dont plus de 300 ont signé au Forum Social Mondial des propositions que l’on trouvera dans la Déclaration de Bélem du 1er février 2009 « Pour un nouveau système économique et social. Mettons la finance à sa place ! » , déclaration que plusieurs ATTAC du monde ont approfondie dans le « Document de référence. Pour un nouveau modèle économique et social. Mettons la finance à sa place » (26 mars 2009) . Il est aussi porté par plusieurs mouvements qui ont rédigé, également à Belem, le 1er février 2009, des déclarations sur plusieurs questions, notamment la déclaration de l’Assemblée des mouvements sociaux, la déclaration des peuples indigènes, la déclaration des femmes, la déclaration pour les droits des migrants .

Les propositions discutées à Bélem esquissent des alternatives qui doivent être avancées dès maintenant. Celles de la première déclaration concernent le rôle prédominant à attribuer aux Nations unies dans la réglementation du système international, la socialisation du système bancaire, le contrôle strict des mouvements de capitaux, l’évolution des formes de propriété, la nécessité de lier les revenus au travail. Elles rejoignent la commission Stiglitz et le pôle syndical international sur la création de monnaie de réserve régionale. Mais elles dessinent une perspective de démocratisation radicale de l’économie. Elles restent pour autant évasives sur les formes de l’implication citoyenne et civile dans la régulation et sur les implications radicales d’une prise en compte des contraintes écologiques. Mais elles se prolongent dans les discussions actuelles qui explorent une démarche radicalement alternative, celle de « la prospérité sans la croissance » (Sustainable Development Commission UK, « Prosperity without growth ? The transition to a sustainable economy » -30 mars 2009- ). Le caractère institutionnel de cette dernière réflexion, très avancée dans la mise en discussion du rapport entre croissance, développement et contraintes écologiques, en renforce considérablement la légitimité, dans la mesure où elle démontre la progression des propositions défendues par les sociétés civiles et les mouvements sociaux, écologistes et citoyens. Elle ouvre la réflexion sur le concept de prospérité, met en cause le consumérisme et insiste sur la nécessaire prise en compte des limites écologiques en amont des choix de politiques économiques.

La Conférence de Copenhague soulève des questions déterminantes. Au-delà, l’enjeu de l’issue de la crise, pour le 21ème siècle, c’est la définition d’un nouveau projet d’émancipation. Après le projet national et la souveraineté populaire des Lumières, après le projet de libération sociale du communisme, il faut définir un projet qui associe la libération sociale et la question écologique, à une pensée des libertés et à l’impératif de la paix. Le mouvement altermondialiste se présente comme un prolongement et un renouvellement des trois mouvements historiques précédents : le mouvement de la décolonisation ; le mouvement des luttes ouvrières et sociales ; le mouvement des luttes pour la démocratie et les libertés à partir des années 1960-70. La prise en charge du paradigme écologique introduit là une rupture par rapport aux séquences précédentes ; il contraint à innover. Il ne s’agit pas de remplacer un modèle unique par un autre modèle unique. Il s’agit de changer les comportements individuels et collectifs. La solidarité, dans ses différentes conceptions, est le fondement des valeurs de référence : solidarité écologique, solidarité sociale, solidarité politique, solidarité internationale.

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