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Echos du Forum des luttes féministes africaines

Le 4 février 2011, pas moins de 600 personnes ont pris le chemin de Kaolack pour participer au Forum des luttes féministes africaines organisé par le CADTM Afrique, l’APROFES (Association pour la promotion de la femme sénégalaise) et le Forum Social de Kaolack.
Réuni-e-s sous une grande bâche occupant toute une rue de Kaolack, femmes et hommes, jeunes et moins jeunes, immigré-e-s, migrant-e-s et “locaux”, citadin-e-s et ruraux/ales venant des quatre coins de l’Afrique et d’autres continents, des Caravanes des Mouvements sociaux en route pour le FSM de Dakar, de villes et villages situés parfois à l’autre bout du Sénégal, |1| ont toutes et tous affirmé d’une même voix : ” Nous sommes là, présent-e-s et mobilisé-e-s pour ensemble lutter contre les multiples chaînes d’oppression qui entravent l’émancipation des femmes africaines et d’ailleurs “.

Binta Sarr, coorganisatrice de l’évènement, a ancré la rencontre dans la tradition d’accueil de la ville et dans l’héritage des luttes féministes sénégalaises. Elle a salué les femmes dans leurs luttes pour un monde plus juste, dénonçant la systématisation des violences contre elles, la féminisation de la pauvreté, l’exclusion des femmes des sphères de décisions alors que ” l’avenir de l’homme, c’est la femme ! “, que ” le monde ne pourra évoluer sans leur participation effective “. Binta a souligné l’importance de réinventer le féminisme dans le contexte actuel de la mondialisation et la nécessité pour les communautés rurales et les banlieues de se le réapproprier. Elle a appelé les femmes à la rejoindre dans son combat contre la dette illégitime et odieuse qui ” marginalise l’Afrique et la met sous tutelle du commerce mondial “. Elle a conclut son propos en rendant hommage à deux héroïnes des luttes des femmes sénégalaises pour leur droits et libertés : Aline Sitö Diatta et Djemete Mbodj. Cette séance d’ouverture du Forum fut parachevée par quelques mots de bienvenue de quelques officiel-le-s.

D’entrée de jeu, Solange Koné, de la Côte d’Ivoire (Forum national sur la Dette et la Pauvreté /FNDP et membre de la Coordination Afrique du CADTM) lança un appel fort à abolir la dette. Lorsqu’au micro, Solange débuta son intervention par un tonitruant : ” Annulez Annulez Annulez la dette ! Elle tue, elle pille, elle assassine ! “, toute la salle, convaincue et enthousiaste, repris spontanément ces mots. Ensuite, elle enchaîna en affirmant haut et fort : ” Nous ne devons RIEN, nous ne payerons RIEN ! “. Solange illustra ses propos en parlant des effets dévastateurs du ” Système dette ” qui, par les privatisations, et donc la marchandisation des services publics qu’il impose, empêche aux femmes, filles et enfants d’avoir accès à la santé et à l’éducation. Des pratiques, comme la retenue en otages des mamans au sein des maternités jusqu’à ce qu’elles parviennent à payer les soins gynécologiques qui leur ont permis d’avoir un accouchement dans de ” bonnes conditions ” sanitaires, se généralisent. Sans assistance médicale, beaucoup de femmes africaines perdent la vie en voulant la donner…

Coumba Touré (Forum féministe africain, ASHOKA/ Mali) attirera l’attention de la plénière sur l’extrême pénibilité des conditions de vie des femmes rurales africaines. Elles n’ont accès à aucune sorte de source de revenu : la terre ne peut leur appartenir, elles sont exclues de l’héritage et des moyens de production. Alors que ce sont principalement ces femmes qui, par leur travail, assurent la sécurité alimentaire de leur famille. Elles ne sont ni reconnues, ni encore moins rétribuées pour leur dur labeur. Afin qu’elles bénéficient enfin des fruits de leurs efforts, Coumba appela les participant-e-s du Forum à rejoindre le combat du CADTM pour l’abolition de la dette, combat qui permettra, entre autre, d’assurer l’autonomie financière et économique des femmes rurales africaines.

Après cette plénière intense et emplie d’émotions, les participant-e-s se répartirent au sein de cinq ateliers qui, en raison de l’énorme retard prévalant à l’ouverture des travaux du Forum, furent les seuls, sur les neuf initialement prévus, à avoir effectivement lieu. Nous vous invitons à parcourir quelques éléments clés de leurs interventions et débats |2| :

Atelier 1 : Situations et luttes des femmes au Nord et au Sud

Intervenantes :

Penda Ndiaye (CERPAC – Centre de recherches populaires à l’action citoyenne – CADTM Sénégal)
Pauline Imbach (CADTM Belgique)

Penda attira l’attention des participant-e-s sur le fait que les luttes féministes en Afrique ne datent pas d’hier. Les féministes africaines se sont fortement investies dans les combats pour les indépendances de leurs pays. Leurs mouvements en sont ressortis renforcés, une nouvelle génération de leaders féministes en a émergé. Progressivement, d’un niveau national, les féministes sénégalaises ont intégré les mouvements internationaux de lutte des femmes. Au Sénégal, arrachée de hautes luttes, l’application effective de la loi sur la parité est un des enjeux actuels majeurs des mouvements féministes. Un autre défi pour les femmes sénégalaises sera la vulgarisation du Protocole Maputo de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples relatif aux droits des femmes (2003).

La nécessité pour les mouvements féministes, comme pour TOUS les autres mouvements sociaux d’articuler leurs luttes contre les trois systèmes d’oppressions majeurs du patriarcat, du capitalisme et du racisme, fut explicitement posée par les intervenantes. Elles accordèrent également une attention particulière à la dérégulation du marché du travail imposée par les IFI (Institutions Financières Internationales – Banque mondiale et FMI), mesure néolibérale à l’origine d’une détérioration drastique des conditions de travail des hommes mais surtout des femmes et ce partout sur cette planète.

Afin de contrer le “système dette” et de stopper le cercle vicieux de l’endettement, les intervenantes on appelé à la réalisation d’audits citoyens : ces audits, en permettant aux citoyen-ne-s de contrôler activement la masse et surtout l’utilisation des “prêts” “octroyés”, empêchent l’enrichissement illicite sur le dos des populations des corrupteurs, des dirigeant-e-s corrompu-e-s et des intérêts du capital. Cette pratique de l’audit citoyen est tous bénéfices pour les populations qui se réapproprient ainsi la gestion de leurs propres finances publiques.

Enfin, Pauline et Penda soulignèrent que ce sont bien les femmes les véritables créancières. De fait, sans leur travail gratuit de production et de reproduction, nos sociétés péricliteraient tout simplement. Les femmes n’ont, dès lors, à payer aucune dette de quelque nature soit-elle ! Lors des débats, les participent-e-s ont partagé quelques unes de leurs préoccupations : trop souvent subsiste une absence ou, pour le moins, une insuffisance d’échanges entre les différentes organisations populaires et citoyennes qui freine toute dynamique d’action commune ; l’inégalité quant à la liberté de circulation ENTRE toutes les femmes fut dénoncée : “pourquoi les femmes d’Afrique qui assurent le travail domestique de certaines femmes du Nord n’ont-elles pas la possibilité de voyager aussi librement qu’elles ?”. “Sont-elles à ce point des citoyennes de seconde zone ?” ; les textes religieux et les coutumes ne sont pas vues par les participant-e-s comme étant systématiquement néfastes pour les femmes ; ce n’est pas parce qu’on est femme qu’on sera nécessairement en faveur de l’émancipation des femmes (cf. beaucoup de discriminations sexistes sont reproduites par les femmes elles-mêmes, exemple : certaines belles-mères n’acceptent pas de confier leurs petits-enfants à leurs gendres, etc.)

Quelques propositions furent émises pour soutenir les luttes des femmes du Sud comme du Nord : à l’instar de la Marche mondiale des femmes, il faut renforcer les mises en réseaux des groupements de femmes et des associations féministes aux niveaux régionaux, nationaux et internationaux afin, entre autre, d’améliorer la communication entre ces organisations ; en combattant les stéréotypes sexistes, on permettra aux femmes de prendre conscience qu’elles aussi elles peuvent accéder à des postes de travail qui ne sont pas nécessairement la continuation de leur rôles domestiques, qu’elles aussi peuvent s’orienter vers des filières scientifiques, techniques, économiques, décisionnelles, etc. Il n’existe pas que la solidarité entre les femmes comme facteur de pression. D’autres types d’actions comme les grèves sont efficaces (cf. grèves du travail ménager, grèves du sexe, grèves de…)

Atelier 2 : Impact de la dette sur la vie des femmes africaines

Intervenantes :

Yvonne Ngoyi (Union des femmes pour la dignité humaine/UFDH RDC – CADTM Afrique) _ Audrey Dye (CADTM Belgique)

Après avoir bien campé le thème de la dette illégitime et odieuse, Yvonne rappela que sans le pillage systématique des ressources de la RDC orchestré par la colonisation et perpétué par le mécanisme de la dette, les jeunes africains et africaines n’auraient pas à prendre le chemin de l’exil économique pour assurer leur propre survie ainsi que celle de leur famille et parfois celle de tout leur village. L’une des premières mesures imposées par les Plans d’ajustements structurels (PAS), par les Institutions financières internationales aux pays endettés pour s’assurer le recouvrement de leurs créances, fut la privatisation des entreprises publiques et l’application de coupes budgétaires des plus sévères dans les domaines sociaux (éducation, santé, infrastructures, transports publics, électricité, etc.). Pour les femmes, les effets de ces politiques furent immédiats.

Auparavant gratuits, ou très largement subventionnés par l’Etat, les soins de santé devinrent inaccessibles pour les femmes qui représentent 70% des personnes pauvres. Au point où en RDC souvent on dit : “Mieux vaut acheter le linceul que d’aller à l’hôpital, cela coûte moins cher !”. “L’Etat préfère voir mourir ses enfants que de les prendre en charge dans un système social et sanitaire digne de ce nom”. La RDC occupe la sinistre troisième place des pays les plus touchés par la mortalité infantile et maternelle de par le monde. “Parce qu’on cherche à satisfaire le FMI et la Banque mondiale, si une future mère n’est pas en mesure de payer les soins pour l’accouchement, on la laissera mourir avec son enfant aux portes de l’hôpital !” Aucun programme réel pour le “développement” des femmes n’a été élaboré. Non seulement les femmes congolaises continuent à passer l’essentiel de leur temps à assurer le travail domestique (non payé) mais, de plus, lorsqu’elles ont l’occasion d’avoir une activité génératrice de revenu, elles sont de plus en plus reléguées au secteur informel où règne l’exploitation à outrance dans le déni le plus total de toute protection sociale. Le système capitaliste n’a jamais voulu transformer les tâches domestiques en professions rémunérées par un salaire et/ou en services à vendre sur le marché. Cette division sexuelle du travail, qui confine les femmes au secteur reproductif (travail gratuit et invisible) et permet aux hommes d’occuper la sphère productive qui elle, permet la formation d’un revenu, d’un capital, est un véritable tour de force du système patriarcal. Sous son influence, les sociétés ont intériorisé et développé la conviction selon laquelle les femmes auraient de par leur “nature” une prédisposition à l’accomplissement des tâches domestiques, tâches qui, en les empêchant d’accéder à un revenu, leur interdit de sortir du cercle vicieux et dégradant de la pauvreté.

Un autre des secteurs clés attaqués par les PAS est celui de l’éducation. Les gouvernements prennent de moins en moins en charge les frais liés à la scolarisation des jeunes (frais d’inscription, de fournitures scolaires, cantines scolaires, logements pour les étudiant-e-s, etc.). Les filles sont les premières à faire les frais de cette privatisation forcée : souvent elles sont obligées de quitter l’école fort tôt pour aider leurs parents dans les tâches ménagères et agricoles ou garder leurs frères, sœurs, aîné-e-s, personnes malades de la famille, etc. Ce manque d’instruction atténue fortement les possibilités futures des jeunes filles à pouvoir accéder à l’autonomie économique et aux informations relatives à leurs droits ainsi qu’aux procédures à suivre pour se battre pour leur application effective. Notons qu’en RDC, comme dans de trop nombreux pays, les femmes, parce qu’elles sont les plus pauvres, ont un accès très limité à la justice. L’analphabétisme des jeunes filles (80% des filles sont analphabètes en RDC et 52% au Sénégal) rend tout le travail de sensibilisation sur la thématique de la dette plus ardu et les éloigne des alternatives et des luttes qu’elles pourraient porter contre l’oppression spécifique de la dette.

La totalité des pays endettés accordent une part généralement trois fois plus élevées au remboursement de leur dette illégitime et odieuse qu’au financement de leurs services sociaux. Les femmes, pour contrer la disparition des services publics, sont obligées de les prendre elles-mêmes en charge en augmentant la part de leur travail gratuit et invisible. C’est pourquoi, en RDC (et malheureusement à bien d’autres endroits au Sud…), pour assurer l’approvisionnement en eau potable de leur famille, les congolaises doivent de plus en plus aller chercher l’eau sur leur tête et parcourir de longues distances pour accéder aux puits. La généralisation de ce phénomène amène les féministes congolaises à dénoncer le fait que “la tête des femmes soit désormais devenu le tuyau de raccordement de la famille”. Ce travail de puisage infériorise les femmes et les jeunes filles, les empêche de s’instruire tout en accentuant leur exposition à de multiples violences et viols.

Yvonne rappelle que, non seulement le poids de la dette repose sur les épaules des femmes, accentue les inégalités entre les hommes et les femmes, mais renforce également la division sexuelle du travail.

En fin d’exposé, elle invite les participant-e-s à s’intéresser à la question des emprunts publics, à contrôler la manière dont ils sont contractés, à être vigilant-e-s quant à la manière dont l’argent de ces prêts est utilisé et à exercer une pression sur les gouvernement afin de lutter contre les pots-de-vin et la corruption qui entourent généralement la gestion de la dette. Elle invite toutes et tous à adhérer au CADTM et clôture son exposé en reprenant une citation de Thomas Sankara : “Si nous payons la dette nous mourons, si nous ne payons pas la dette, les créanciers ne mourront pas !” “L’Afrique sans dette c’est possible, le Congo Kinshasa sans dette c’est possible, le Sénégal sans dette c’est aussi possible !”

Audrey décortiqua plus spécifiquement les effets des principales mesures macroéconomiques au menu des programmes d’ajustement structurel sur les femmes avec un focus sur les femmes africaines. Elle expliqua pourquoi les femmes sont les premières à porter le fardeau de la dette. Comme à cause de la culture patriarcale, les femmes sont responsables du bien-être de la famille, lorsque les PAS imposeront des coupures dans les budgets de la santé et de l’éducation, ce seront bien elles qui assureront désormais ces services. On passe ainsi du concept de l’ “Etat social” à celui de la “mère sociale”. Ensuite, elle expliqua les conséquences de la dérèglementation du marché du travail sur les femmes. De plus en plus, les femmes sont reléguées au secteur informel, secteur de la survie pour ne pas dire de la sous-vie. Enfin, elle analysa les liens entre la libéralisation du commerce mondial, toujours imposée par les PAS, la disparition de revenus pour les femmes et la destruction de l’économie locale.

S’il est fort difficile de synthétiser les débats consécutifs à ces exposés tant ils étaient diversifiés, riches et témoignant d’un intérêt fort pour la dette, ses mécanismes et conséquences spécifiquement pour les femmes, nous pouvons toutefois préciser qu’à plusieurs reprises furent discutées les relations entre la dette et les conflits, la dette et la corruption, la dette et toutes les régressions socio-économique qu’elle impose aux femmes africaines. Le microcrédit – tel que celui soutenu par la Banque mondiale – fut énergiquement dénoncé. Il asservit et appauvrit les femmes qui, à cause des crédits dont elles doivent seules assurer le remboursement, ne dorment plus, ne mangent plus et parfois même se suicident.

Atelier 3 : Diversité des féminismes

Trois militantes ont présenté ce qu’est le féminisme dans leur région d’origine.

Codou Bop (Forum féministe Sénégalais, Groupe de Recherche sur Femme et droit musulman, Charte des Féministes Africaines) a présenté les analyses du féminisme africain, un féminisme radical défini comme ” féminisme sans mais ni si “. Ce féminisme est une lutte des femmes et des hommes contre le patriarcat, système social et politique qui empêche l’égalité entre les sexes, les générations et les classes sociales. Le patriarcat est bien un système de domination fondé sur le contrôle du corps des femmes (mariages d’enfants, mutilations génitales, grossesses nombreuses et forcées), la violence contre les femmes et la privation d’accès aux ressources, légitimée par les traditions et les religions. Codou Bop précise que le féminisme est autant une lutte pour l’émancipation individuelle qu’une lutte politique puisqu’elle vise une transformation radicale des structures de sociétés. En cela, selon l’intervenante, la lutte féministe se différencie des mouvements féminins qui se limitent à l’amélioration des conditions de vie des femmes dans leurs aspects matériels sans remettre en question les structures sociales. Le féminisme africain a comme objectif actuel de démasquer l’utilisation des traditions et des religions pour justifier l’oppression des femmes, de lutter pour l’accès des femmes aux sphères de décisions (empowerment) ainsi que pour leur accès aux richesses et ressources (terre, moyens de production, pouvoir politique).

Monika Karbowska (CADTM Coordination Europe, Réseau Femmes de l’Est et des Balkans) et Maria Elena Saludas (ATTAC Argentine et CADTM Abya Yala Nuestra América) ont ensuite retracé l’histoire des luttes féministes et de leurs acquis dans deux régions différentes : l’Europe de l’Est, en particulier la Pologne, et l’Argentine. Monika Karbowska a souligné combien en Europe de l’Est, partie pauvre et dominée de l’Europe, les mouvements féministes furent partie prenante des luttes sociales et politiques qui permirent d’aboutir à des transformations améliorant radicalement la vie des femmes. Ainsi, le système communiste a instauré un code de la famille égalitaire en 1960. Les femmes ont pu bénéficier massivement de l’éducation, du plein emploi et de services publics matériels et culturels. Elles ont également lutté et obtenu le droit à l’avortement et à la contraception. Tous ces acquis sont menacés de destruction depuis le retour du capitalisme consécutif à la crise de la dette des années 80 et au retour en force des nationalismes et des fondamentalismes religieux. Ainsi, les femmes ont subi des violences terribles dans les guerres en Yougoslavie, les polonaises ont perdu le droit à l’IVG et toutes les femmes de la région ont été appauvries par les stratégies politiques et économiques néolibérales supprimant les emplois et les services publics. Selon Monika, l’enjeu actuel en Europe de l’Est est la construction d’un féminisme populaire capable d’inverser ces tendances et de reconquérir les acquis perdus.

Maria Elena nous révéla qu’en Amérique latine, le modèle capitaliste patriarcal d’accumulation et de production prive les êtres humains des biens naturels, cultures et symboliques et ne cesse de se renforcer. Le mouvement féministe en Argentine se structure autour de plusieurs activités annuelles phares (cf. les Rencontres nationales des femmes) et organisations. Il comprend des thématiques variées : droits sexuels et reproductifs, violences faites aux femmes, traite des personnes à des fins d’exploitation sexuelle, campagne nationale pour le droit à un avortement légal, sûr et gratuit, “budgets sensibles au genre”, etc.
En Argentine, les combats féministes bien souvent s’articulent avec les militances contre le libre-échange, la dette, la militarisation et le soutien aux alternatives (ALBA, Sucre, Banque du Sud, etc.). Parce qu’il est nécessaire de s’acheminer vers un autre monde, et vite !

Le débat a révélé une forte exigence des femmes jeunes d’aller de l’avant : certaines ont réclamé des propositions innovantes et un agenda d’actions internationales à l’issu de l’atelier. Cependant la question de la tradition est revenue sur le devant de la scène : d’autres femmes de cette génération ont assuré que les pratiques traditionnelles et religieuses telles que le port du voile, la polygamie ou la dot, pouvaient être vécues positivement en tant que choix. Cependant, de nombreux-es militant-e-s ont rappelé que les traditions étaient des constructions sociales qui pouvaient dès lors être modifiées et que chaque jour, nos pratiques créent des traditions ! Codou Bop, en particulier, a insisté sur la liberté d’interpréter les textes religieux et de faire du respect des droits des femmes de nouvelles traditions en Afrique. Elle a exhorté de façon émouvante les jeunes militantes à faire preuve d’audace et de liberté. La question du rapport Nord-Sud entre femmes a également été évoquée notamment par l’injustice ressentie par les femmes sans-papiers du Sud qui, par leur travail en tant que travailleuses domestiques, permettent aux femmes du Nord de “faire carrière” et éventuellement d’être actives sur la scène politique. Une telle émancipation individuelle exploitant les inégalités Nord-Sud est préjudiciable à la solidarité internationale des femmes et au mouvement féministe dans son ensemble. Enfin, des expériences de lutte ont été échangées : la lutte des femmes du Sud sans-papiers en France, la lutte des polonaises pour le droit à l’IVG et la lutte actuelle des tunisiennes contre la dictature et l’oligarchie néolibérale. Clairement, un féminisme politique mondial est nécessaire contre les politiques néolibérales qui ravagent tous les continents. Cette vision exige la création d’un calendrier politique commun et le développement des échanges d’expériences Nord /Sud et Sud/Sud afin de construire ensemble nos savoirs et nos pratiques, parce que, comme l’a dit Codou Bop, en ce qui concerne l’effectivité de nos droits : “nous voulons tout !”.

Atelier 4 : Atelier Droits des femmes et leurs accès à la justice

Intervenantes :

Rokaya GAYE (RADI – Réseau africain pour le développement intégré) GF2D (Groupe de réflexion et d’action Femmes, Démocratie et Développement – Togo)

Il existe au Sénégal, comme encore partout ailleurs, une justice de classe : les plus pauvres (et donc pour l’essentiel, les femmes) n’ont pas accès à la justice.

Partant de ce constat, les intervenantes partagèrent leurs expériences en termes d’initiatives mises en place pour assurer un réel accès des femmes (et tout particulièrement des femmes rurales) aux Cours et Tribunaux. Trop souvent démunies et n’”osant” ou ne trouvant pas d’interlocuteurs/trices vers lesquel-le-s se tourner lorsqu’elles sont victimes de faits que la loi condamne, les femmes se taisent, gardent en elles leurs souffrances et traumatismes.

Il a été remarqué et dénoncé que souvent les femmes ne font pas spontanément appel à la justice suite à des violences, abus et maltraitances, car elles ignorent tout simplement que des lois les “protégeant” contre ces fléaux existent. On voit à ce niveau combien il est important de permettre aux femmes d’avoir accès aux informations relatives à leurs droits. Tout un travail de vulgarisation des textes de loi favorables aux droits et libertés des femmes surtout auprès des femmes analphabètes et/ou vivant dans des zones excentrées est essentiel.

Quand bien même les femmes connaissent leurs droits, il reste tout un combat à mener pour assurer leur effectivité.

D’autres thèmes furent abordés, tels que la discrimination au niveau des traitements salariaux, les difficultés à trouver des preuves pour les violences morales ou encore le silence quasi-permanent observé au niveau des familles des victimes de violences (sexuelles et autres). Bref, un moment de partage d’expériences, et surtout un appel à ne pas baisser les bras.

Atelier 5 : Accès des femmes aux ressources productives, foncières, financières…

Le non accès au crédit, à la terre, aux moyens de production et, très difficilement, à l’héritage, furent identifiés comme étant parmi les principaux obstacles à l’autonomie économique et financière des femmes africaines. Lorsqu’elles peuvent posséder quelques terres ce sont, pour la plupart, les terres les moins fertiles qu’on leur “concède”.

Un renforcement de la solidarité entre les femmes ainsi que du leadership féminin en Afrique permettra d’accroître les possibilités pour les femmes africaines d’avoir enfin accès à des ressources leur permettant de gagner un revenu susceptible de contribuer à leur émancipation. Si cet atelier fut riche d’autres contributions et apports, n’ayant pas, jusqu’à présent, pu recevoir de synthèses écrites, nous ne vous présentons qu’un résumé des travaux qui y furent réalisés.

La lecture en plénière de la ” Déclaration du Forum des luttes féministes africaines de Kaolack ” clôtura cette intense journée d’échanges, de mobilisations, de propositions et d’espoirs portés par des femmes et des hommes d’horizons très divers mais uni-e-s dans la même volonté de combattre toute forme d’oppression avec une attention particulière pour celle qui contraint plus de la moitié de notre humanité : le patriarcat.

Soyons bien certain-e-s qu’en différents lieux et activités du FSM de Dakar, résonneront les échos des travaux de ce ” Forum des luttes féministes africaines “.

Notes

|1| Ont afflué vers Kaolack des associations de Louga, de Saint-Louis, de la Casamance, de Dakar, de Mbour, etc.

|2| Un tout grand merci à Aurélie Dumortier et Pierre Edouart pour leurs contributions à la centralisation des synthèses de ces ateliers.

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