Maristella Svampa[1]
La dynamique des luttes socio-environnementales en Amérique latine débouche sur un « tournant éco-territorial », s’exprimant par un récit commun sur la résistance collective et la défense de la terre et du territoire. Ce que nous appelons le tournant éco-territorial se réfère à la construction de cadres d’action collective, où se formulent des structures de sens et des systèmes d’interprétation contestataires.
L’un des concepts les plus mobilisateurs érigé ces dernières années est le « Buen Vivir » (en kichwa : sumak kawsay, et en aymara : suma qamaña). Intraduisible, l’idée indique un horizon utopique, en référence à une pluralité de visions du monde autochtone. En fait, ce concept en construction postule de nouvelles formes de rapports entre humains, entre ceux-ci et la nature, ainsi qu’avec d’autres formes de vie. Dit autrement, c’est le passage d’un paradigme anthropocentrique à un autre d’un caractère socio-biocentrique. Dans les lignes directrices de ce nouveau paradigme, la civilisation abandonne l’idée de développement, de la croissance économique illimitée, en faveur d’une économie solidaire et durable et d’autres rapports de production n’impliquant pas l’exploitation de l’homme par l’homme.
Buen vivir définit le rapport de l’homme avec la nature en tant que partie intégrante de celui-ci. De cette façon, il implique d’autres langages de valorisation (écologiques, religieux, esthétique, culturel) par rapport à la nature, où la croissance économique doit être soumise à la préservation de la vie. Cela conduit à la reconnaissance des droits de la nature, et donc le respect intégral de son existence et le maintien et la régénération de ses cycles de vie, structure, fonctions et processus évolutifs. Reconnaître les droits de la nature implique un changement civilisationnel en profondeur, qui remet en question les logiques anthropocentriques dominantes.
[1] Extraits d’un texte de Maristella Svampa, Del Cambio de epoca. Al fin del ciclo. Gobiernos progresistas, extractivisnmo y movimientos sociales en America Latina, Buenos Aires, Edhasa 2017. (Traduction par Pierre Beaudet)