Il semble bien qu’il y ait deux poids deux mesures dans les considérations politiques et économiques du gouvernement. Mais ceci n’est peut-être pas étranger non plus au fait que le PDG de Postes Canada Deepak Chopra nommé par le gouvernement Harper, siège aussi au Conference Board du Canada, organisme qui a recommandé au printemps dernier exactement les mêmes mesures que celles actuellement appliquées par Postes Canada.
L’annonce faite par la direction de Postes Canada de mettre fin à la livraison à domicile au cours des prochaines années est un mépris envers la population qui paiera plus cher pour un service diminué. La responsable Anick Losier ne peut même pas expliquer comment ni où seront installées les boîtes postales groupe dans les quartiers à forte densité de population. Elle ne sait pas non plus comment on pourra accommoder les personnes âgées ou ayant un handicap.
La ministre Lisa Raitt quant à elle a affirmé que « Le gouvernement du Canada appuie Postes Canada dans ses efforts pour remplir son mandat d’assurer son autonomie financière afin de protéger les contribuables. » Mais elle ne pourra cependant répondre aux questions des parlementaires puisque cette décision a été rendue publique après la fin de la session.
À prime abord il est faux de croire que le travail des facteurs et factrices diminue lorsque le volume diminue. Le système de livraison de courrier actuel est conçu de façon à s’adapter à la variation du volume de courrier.Des mesures de volumes sont effectuées de façon régulière de façon à modifier la charge de travail et s’assurer que le temps requis pour la livraison soit toujours identique sinon équivalent.
Il en résulte un accroissement ou une diminution du nombre de portes à livrer et par conséquent du nombre de facteurs et factrices. C’est un système qui s’auto régularise et qui a fait ses preuves. La diminution du volume de courrier n’a donc rien à voir comme telle avec la diminution du service de livraison.
Des questions importantes se posent quant à l’avenir du service postal. Mais selon Alain Duguay, président de la section locale de Montréal du STTP, la sois disant consultation publique à laquelle Postes Canada fait allusion pour justifier la fin de la livraison à domicile est une véritable mascarade : « Seules les entreprises et des personnes triées sur le volet ont été invitées. Le syndicat n’était même pas au courant. Nous revendiquons au contraire un véritable examen public de Postes Canada et l’ajout de services lucratifs comme les services bancaires et non pas des réductions. »
Postes Canada a généré des profits de 1,7 milliards de dollars au cours des 15 dernières années et a versé 1,2 milliard en impôt et dividendes au gouvernement. Selon Sylvain Lapointe, directeur national de la région de Montréal, « 2011 a été la seule année où Postes Canada a connu un déficit. Il a dû mettre 250 millions de dollars de côté pour défrayer les coûts de l’équité salariale (qu’il n’avait pas respectée) et le lock-out qu’il a décrété lui a coûté 50 à 60 millions$. Dans les grands centres urbains comme Montréal, la grève n’avait duré que deux jours. »
Le Conference Board a émis des projections au printemps dernier selon lesquelles Postes Canada courait vers un gouffre déficitaire. Mais selon Sylvain Lapointe, ces projections ont été établies sur des prévisions de déficit de 250 millions$ en 2012 alors que Postes Canada a connu en réalité un bénéfice de 98 millions$. Fait à noter, Postes Canada a commandé et payé le rapport du Conference Board sur lequel siège le PDG de Postes Canada.
Selon lui l’augmentation faramineuse du prix du timbre de 60% prendra les entreprises en otages : « Elles n’auront pas le temps de trouver d’autres alternatives à court terme. Les énormes profits ainsi générés risquent d’aller remplir les coffres du gouvernement Harper au moyen des impôts et des dividendes afin de l’aider à présenter un budget équilibré pour les prochaines élections dans deux ans. »
Le régime de retraite est également dans la ligne de mire du gouvernement qui pointe du doigt le déficit s’élevant à 6,5 milliards de dollars, mais selon Sylvain Lapointe : « La crise des papiers commerciaux en 2008 ainsi que le faible taux d’intérêt a nui au fonds de retraite et a ralenti sa croissance.
Mais en situation normale on n’aurait jamais remis en cause la solvabilité de Postes Canada, on a toujours considéré que la société d’état va toujours exister. Mais les coupures incessantes créent un climat d’incertitude politique où la fermeture de Postes Canada devient une éventualité possible pour les créanciers. C’est uniquement pour cette raison que la question de la solvabilité se pose. »
Mais il est important de se rappeler que le régime de retraite de Postes Canada avait subi un régime minceur dans les années 1990. En effet si Postes Canada avait conservé la part qui lui revenait de l’ancien régime de la fonction publique fédérale, il accuserait actuellement un surplus d’au moins 5,5 milliards de dollars (sans calculer l’indexation), une réserve suffisante pour passer au travers des années « difficiles ».
En effet à la fin des années 1990 le ministre des finances Paul Martin avait retiré du fonds fédéral le solde appartenant à Postes Canada qui représentait environ 18 milliards de dollars mais en avait soutiré les surplus accumulés de 12 milliards pour le verser dans les coffres du gouvernement, laissant à Postes Canada un maigre 6 milliards.
Il faut finalement considérer quelle doit être la vocation première d’un service public. Est-ce d’assurer un service ou de remplir les coffres du gouvernement ? Il faut savoir que Postes Canada paie des impôts sur les revenus au gouvernement comme une compagnie privée et qu’elle verse également des dividendes importants.
Le terme autonomie financière prend dans ce contexte un sens plutôt biaisé pour un service public. Surtout quand le gouvernement fédéral accorde des millions en subventions et diminutions d’impôt aux entreprises sans création d’emploi en retour. Selon une étude du CTC faisant état de données de Statistique Canada publiée l’an dernier, les impôts sur le revenu des sociétés comptaient pour seulement 8,3 pour cent de tous les revenus des gouvernements fédéral et provinciaux combinés en 2011, en baisse de 8,8 pour cent par rapport à 2010.
Ainsi le total des réserves de liquidités des sociétés privées non financières du Canada est passé à 575 milliards $ au dernier trimestre de 2011, alors qu’il était de 187 milliards $ lors du premier trimestre de 2001 — malgré le fait que trois de ces années furent marquées par une profonde récession. Selon son rapport, les entreprises ont plutôt accumulé des liquidités au lieu de créer des emplois et ont versé des rémunérations exorbitantes à leurs PDG.
Alors il faut se poser la question, quelle est l’urgence de mettre fin unilatéralement à un service de livraison efficace et utile pour la population qui abolira entre 6000 et 8000 emplois stables qui permettent d’alimenter t la vie économique de toutes les régions du Québec et du Canada ? Surtout quand le syndicat est ouvert à la discussion pour apporter des solutions.
Il faut surtout se demander si on veut conserver un système postal universel, parce que c’est bien cela dont on parle finalement. Les entreprises privées qui assurent la livraison du courrier lettre mais surtout le colis, s’accaparent le courrier surtout dans les zones économiquement rentables, là où il y a beaucoup de profit à réaliser sur des distances relativement courtes.
Laissant à Postes Canada l’obligation d’effectuer la livraison partout ailleurs dans les régions plus éloignées. Cela contribue également à priver Postes Canada de revenus importants, lui laissant les zones déficitaires. Dans un pays peu densément peuplé comme le Canada, cette question est cruciale.
17 décembre 2013