Alain Philoctète, 18 mai 2016
Il y a un an déjà, notre camarade Alain nous a quitté pour le long voyage. Avec sa compagne Chantal Ismé, nous sommes plusieurs à garder un souvenir vif de ce militant “non-repenti”, toujours prêt et toujours aux aguets, qui savait aussi, avec la poésie, la musique et la peinture jouir de la vie. Le récit de son dernier tournant est merveilleusement raconté par Will Prosper dans le documentaire Kenbe la (disponible gratuitement sur le site de l’ONF) (https://www.onf.ca/film/kenbe-la-jusqua-la-victoire/). Alain nous a laissé plusieurs réflexions où il s’appliquait à comprendre la dynamique de la révolution haïtienne tout en explorant les liens avec les legs du matérialisme historique.
Dans ses œuvres, Marx ne nous a pas laissé le mode d’emploi pour sortir du capitalisme. Or, les tentatives historiques de « construction du socialisme » au XXe siècle n’ont été qu’une « modernisation de rattrapage » du capitalisme. Il semblerait que la conquête du pouvoir d’État ne fait que reproduire la domination des catégories du capitalisme, à savoir la marchandise, le travail abstrait, la valeur, l’argent et l’État. Le mouvement d’émancipation ne semble disposer d’aucune référence constituant un modèle de dépassement de la dynamique historique de la production industrielle capitaliste. L’histoire nous a enseigné que la conquête de l’État par une « avant-garde » dont l’objectif est d’accélérer la « transcroissance vers le socialisme » n’est en fait qu’une illusion politique et n’aboutit qu’aux échecs stratégiques du mouvement émancipateur. Dès lors, peut-on penser une alternative au capitalisme, qui serait enracinée dans les pratiques socio-historiques et culturelles de lutte de classes des masses populaires haïtiennes ?
En effet, notre pays s’enfonce dans une crise généralisée en lien avec la crise du capitalisme globalisé. Les classes populaires, tant dans les campagnes que dans les villes, sont les plus affectées. En même temps malgré sa position de dominé, le «pays en-dehors», en fait les petits et moyens paysans et leurs alliés, les sans terre, ainsi que les classes populaires urbaines peuvent, paradoxalement, changer les rapports de forces en leur faveur. De leur position de subalternes, il s’agit d’articuler la dynamique d’appropriation populaire des forces productives respectueuses de la vie et de la nature à une nouvelle éthique (anti)politique ainsi qu’une nouvelle vision de la lutte révolutionnaire qui ne se réduit pas, seulement, à prendre le pouvoir d’État par un parti ou un leader charismatique.
« État de droit »?
L’État n’est pas un simple lieu ou une chose malléable à volonté, mais un rapport social où s’entremêlent institutions et appareils qui reproduisent en permanence la dynamique d’expansion et de dépossession engendrées par le capital. La démocratie représentative ne saurait être, alors, la démocratie des dominés, mais celle des dominants : c’est la démocratie du capital ou plutôt la dictature du capital. Elle exclut les masses populaires au lieu de les inclure. En fait, les élections, inscrites dans le champ de la lutte des classes, offrent aux « citoyens et citoyennes » la possibilité de choisir un représentant qui se charge de parler à leur place. Ainsi ces derniers s’excluent eux-mêmes. Autrement dit, nous entretenons la séparation de la société entre représentant et représenté, ce qui reflète une autre plus profonde entre dominant et dominé. En tant que « sujet », nous remettons notre destin entre les mains de politiciens qui se différencient du reste de la majorité du peuple. Ils parlent en notre nom, mais au fond ils règlent leurs affaires, dans leur propre langage avec leur logique qui est celle de leur position de pouvoir. La soit disant démocratie représentative et les « élections honnêtes » ne sont que les termes de référence de la domination des classes dominantes. Les élections-sélections à tous les niveaux ne sont rien d’autre que le partage du pouvoir en fonction des intérêts stratégiques des dominants locaux et internationaux. Comme l’a écrit le sous-commandant Marcos dans le Monde diplomatique d’août 1997 (2) :
« La politique, en tant que moteur de l’État-nation, n’existe plus. Elle sert seulement à gérer l’économie, et les hommes politiques ne sont plus que des gestionnaires d’entreprise. Les nouveaux maîtres du monde n’ont pas besoin de gouverner directement. Les gouvernements nationaux se chargent d’administrer les affaires pour leur compte. Le nouvel ordre, c’est l’unification du monde en un unique marché. Les États ne sont que des entreprises avec des gérants en guise de gouvernements, et les nouvelles alliances régionales ressemblent davantage à une fusion commerciale qu’à une fédération politique. L’unification que produit le néolibéralisme est économique ; dans le gigantesque hypermarché planétaire ne circulent librement que les marchandises, pas les personnes.»
En relisant la critique radicale que Marx effectue des catégories du capitalisme, il importe aussi de questionner les représentations idéologiques qui dominent dans la société bourgeoise. Fondamentalement, elles se trouvent dans le discours de l’économie qui véhicule, dans l’imaginaire, l’occultation de l’interdépendance sociale en la renvoyant hors du discernement des « sujets », dans la production marchande, l’échange, le marché. La socialité ne fonctionne que sous la forme de droits abstraits, de moralité abstraite. L’État haïtien, qui en première instance devrait réguler la marchandisation de la force de travail, cède le rapport capital/travail aux aléas de la concurrence, sans égard à un salaire minimum. Les travailleurs sont simplement abandonnés au sein d’une totalité qui suce leur sang. Il faut comprendre que le capitalisme a un esprit. Son esprit institutionnalisé est fondé sur l’abstraction des attributs sociaux humains. Ceux-ci sont substitués par la médiation de l’économie, de la production pour la production, du travail, de la valeur. En ce sens, Marx insiste sur la dimension sociale de toute activité, de toute pratique que « l’ontologie libérale s’applique à nier ». (3).
Par ailleurs, la compétition entre les capitaux, dans le cadre du capitalisme globalisé et financiarisé, les pousse à s’installer là où ils pourront poursuivre leur recherche folle de profit. Ce besoin vampirique est le moteur du capitalisme et encourage à mettre en mouvement« des innovations technologiques » qui permettent d’économiser du travail vivant. C’est à dire, produire plus en moins de temps. Signalons que « Les technologies ne créent pas de la valeur nouvelle : seul le travail humain au moment de son exécution a ce pouvoir» (4). Or, l’État haïtien mise sur les capitaux étrangers pour développer les « forces productives » axées sur les sweatshops ou zones franches d’exportation (ZFE), l’agro-business et l’exploitation minière. Pour ce faire, les dominants tentent par tous les moyens licites et illicites de mettre à genoux les classes populaires.
Séparation des producteurs avec leurs moyens de productions
Dans cette veine ouverte, le premier acte, dans l’extension du capitalisme consiste à déposséder les paysans de la terre. Ce déploiement du système capitaliste, aujourd’hui dans sa phase néolibérale, est une stratégie d’affaiblissement des États-nation pour dominer les peuples et les sociétés. Cependant, dans un pays comme Haïti, la séparation, la dépossession des paysans n’est pas arrivée à terme, de façon systématique. Le deuxième acte consiste à séparer les villes des campagnes. La dynamique du capitalisme structure les villes de manière à ce que celles-ci subordonnent la campagne tout en appauvrissant les paysans qui, ainsi, deviennent une potentielle main d’œuvre à bon marché. Donc, il faut vider les campagnes, déposséder les paysans et les transformer en ouvrier taillable et corvéable. La logique du capital est bien un processus permanent qui vise à retirer les agriculteurs de la terre. Chaque jour, pendant des décennies, des siècles, partout dans le monde, le capitalisme arrache les paysans à leur mode de vie pour créer une réserve de main d’œuvre qui, paradoxalement, tend à devenir inutile, superflue quant à la trajectoire de développement techno-économique du capitalisme globalisé, cybernétique, et financiarisé.
Cette forme d’exclusion, de négation historique, nous a permis de découvrir, justement, qu’elle porte, dialectiquement, en elle-même la puissance sociale qui lutte contre la subordination au capital. Cela signifie que les forces sociales du peuple en dehors est une possible alternative qui serait capable d’empêcher le capitalisme de séparer complètement les travailleurs de la terre avec la production de leur vie. Dans ce contexte, il est important que la stratégie émancipatrice soit dirigée sur la création de l’autonomie des cultivateurs sur les terres qu’ils cultivent. L’appropriation des forces productives, une certaine technologie adaptée aux réalités de l’autonomie, est un atout fondamental. Il renforce la vie du paysan et sa force collective de lutte, d’opposition. Ainsi, la création de communautés autonomes, les néolakous, dans les campagnes, et dans les villes, se conjugue avec organisation de la lutte contre le capitalisme globalisé.
Forces sociale et politique des néolakous
Parce que les petits et moyens paysans constituent une force sociale et politique, nous soutenons qu’ils ont un rôle historique au XXIe siècle dans le processus de lutte des classes et de construction des contre-pouvoirs populaires face à l’oligarchie, l’État haïtien et les impérialismes. De cette manière, se transforme ce qui était négation historique du peuple en-dehors par l’exclusion, l’isolement, en possibilité de renversement de la négation. À la forme de domination impersonnelle des catégories abstraites au fondement du capitalisme globalisé (Temps, travail, marchandise et valeur) (5) se juxtapose celle de la domination directe des grands propriétaires terriens capitalistes et féodaux (Grandon) et des agents de l’État (Députés, sénateurs, maires etc.). Ainsi, les luttes d’émancipation, dans les périphéries du système capitaliste, ne peuvent considérer les pays capitalistes avancés, les pays du centre, comme horizon, comme modèle. Le premier objectif stratégique des acteurs populaires consiste à « camper » en face du pouvoir d’État, un projet contre-hégémonique. Pour ce faire, il s’agit d’engager « une guerre de position » et de créer une situation de double pouvoir. La durée de ce rapport de forces dépend de la manière dont les luttes vont évoluer entre les communautés autonomes, les néolakous, et l’oligarchie alliée des impérialistes.
En Haïti l’oligarchie et le capital étranger ne sont pas parvenus à éliminer totalement la petite et moyenne production agricole. Ce terrain de luttes reste donc ouvert pour une nouvelle approche de l’agriculture qui pourrait s’articuler aux connaissances scientifiques disponibles aujourd’hui, en ce qui a trait à la production agricole sur de petites superficies rassemblées en réseau de mise en commun. Plusieurs expériences montrent qu’il est possible de soutenir l’agriculture biologique intensive en permaculture et développer les forces productives qui ne détruisent pas la nature tout en augmentant la production. Cette démarche, qui s’inscrit dans la construction de relations sociales de contre-pouvoirs face à l’État, veut ouvrir le chemin pour sortir des réseaux de relations politiques traditionnelles semi-féodales et capitalistes. La démocratie représentative n’a pour raison d’être que de renforcer ce réseau de pouvoirs des dominants sur les travailleurs et la société. Dans cette perspective, l’idée est de fonder une autre démocratie qui ne se réduit pas à la sphère politique seulement, mais qui s’applique tant au niveau économique que social et culturel. Une démocratie basée sur l’individu, la collectivité et qui arrose les nouvelles communautés autonomes ou néolakous établies dans les sections communales.
C’est pour cette raison que la matrice du lakou, la vie communautaire, constitue une dynamique dans laquelle émerge dans la lutte la conscience radicale du mouvement réel de notre tradition primordiale. Elle se conçoit comme une communauté générique qui habite en chacun de nous, consciemment ou inconsciemment. Cette communauté en se transformant, par l’apport de forces productives respectueuses de la vie et de la nature, en néolakous, veut, pour épanouir notre humanité, que les êtres humains vivent dans une communauté humaine intégrale. Ce mouvement réel des luttes, des désirs, nous traverse de part en part pour renouer avec notre être commun qui remonte au temps d’avant l’esclavage des Taïnos et des Africains. Ainsi, il ne s’agit pas de découvrir une alternative à la grande détresse généralisée du capitalisme en reprenant ses catégories, mais plutôt impulser un mouvement qui vise leurs abolitions. Les néolakous veulent reconquérir des pratiques sociales historiques de l’humanité avant la dépossession des humains des moyens de production de leur vie. Ils placent les hommes, les femmes et les enfants dans une perspective de désaliénation en procès, de réappropriation des puissances que nous avons créées et qui dans ce monde capturé par la dynamique de la valorisation de la valeur, le capital, nous détruit ainsi que la nature. Selon Marx : « Les innombrables formes contradictoires de l’unité sociale ne sauraient être éliminées par de paisibles métamorphoses. Au reste toutes nos tentatives de les faire éclater seraient du donquichottisme, si nous ne trouvions pas enfouies dans les entrailles de la société telle qu’elle est, les conditions de production matérielles et les rapports de distribution de la société sans classes. »(6)
De ce point de vue, le mouvement social, constitué en contre-pouvoir dynamique, engage les transformations contraires à la subordination, à la dictature des marchés et de l’État. Il crée d’autres rapports de forces. D’où le second objectif stratégique qui est de faire disparaitre les liens de domination en mettant les bases matérielles pour pousser le plus loin que possible, chaque jour, les actions qui visent à éliminer toute forme de domination de la société marchande. Toute cette période porte la marque des associations des producteurs et de leurs multiples créativités. Ainsi, elles pourront prendre en main leur destin, leur propre pouvoir sur la vie par leur « puissance d’agir ». Car, « Nous ne pouvons pas nous associer avec des gens qui disent ouvertement que les travailleurs sont trop ignorants pour se libérer eux-mêmes et doivent être libérés d’en haut. »(7) Les germes de cette révolution, éparpillée dans le pays en-dehors, s’ouvrent au monde dans une perspective internationaliste et modifient les rapports de forces face aux dominants. Dans le combat de chaque jour, pour reprendre nos capacités à produire de façon autonome, contre le système capitaliste, pour la liberté et le bien-être, la violence des puissants de ce monde est infinie.
Contre-pouvoirs et autonomie populaire
L’autonomie est la mise en acte de la puissance d’agir de la liberté par la construction des conditions matérielles de l’émancipation humaine, du bien-être. Cette notion nous permet de prendre en considération, d’une part le développement des forces capables de remettre en question l’hégémonie de l’oligarchie et des impérialismes. D’autre part, de construire les fondations matérielles et spirituelles d’un autre monde dont les piliers sont la démocratie directe communautaire à partir des conseils de développement des assemblées des sections communales. C’est bien en ce sens que la constitution des contre-pouvoirs populaires à comme forces sociales les classes populaires, le peuple en-dehors. L’ancrage territorial désigne le déploiement dans les sections communales, en partant des habitations, des lakous en vue de les transformer en néolakous. La construction des contre-pouvoirs devrait créer un encrage politique d’autodéfense. Le temps et l’espace de cette construction, son rythme doit le plus que possible éviter la confrontation directe avec les forces contraires, les forces rétrogrades : classes dominantes, l’État capitaliste et les impérialistes.
Ainsi, l’ancrage social sera capable de se renforcer en solidarité avec les mouvements sociaux sur le plan international et de développer une alliance avec les intellectuels progressistes afin de renforcer l’encrage culturel au niveau local et national. D’où l’idée d’appliquer une stratégie générale de transformation sociale en dehors de l’État et la construction de différents espaces de contre-pouvoirs populaires. Il s’agit d’éclore des projets contre-hégémoniques qui bâtissent des contre-pouvoirs issus de la volonté des hommes et des femmes lucides. Le peuple dominé est spontanément contre l’exploitation de l’Homme par l’Homme. Les classes populaires deviennent, chaque jour, de plus en plus, conscientes que tout ce que fait la société dominante au niveau politique, économique, social et culturel ne les concerne pas. D’ailleurs, depuis plus de deux cent ans ils n’ont rien bénéficié de la société féodale et capitaliste. Le peuple dominé a le sentiment qu’il vit encore au lendemain de 1804.
L’autonomie populaire signifie la mise en place de contre-pouvoirs qui permettent de développer l’appropriation sociale des forces productives par le peuple en-dehors, c’est-à-dire l’ensemble des hommes et des femmes conscients inscrit dans une dynamique antiféodale et anticapitaliste. L’autonomie, à partir de la base, des lakous et néolakous, des habitations, des localités, des sections communales, aux niveaux économiques, politiques, sociaux et culturels, concerne fondamentalement les territoires stratégiques de la révolution en partant du pays en-dehors. Ce processus une fois engagé s’oriente vers la prise du pouvoir sur notre économie, notre agriculture, notre éducation nos connaissances locales, notre médecine, notre justice, notre cosmogonie, notre architecture etc. Cette démarche permettra la mise sur pied d’un ensemble de réseau national qui aura l’appui des révolutionnaires au niveau international. Il s’agit de mener une lutte locale à partir des habitations, avec pour objectif la création de sanctuaires qui seront autant d’espaces de liberté et de bien-être: Les« néolakous » dont les piliers sont l’autogestion, l’expérimentation sociale et l’innovation.
« Conscience sociale »
En général, la problématique de la conscience de classe peut être posée à partir de deux catégories philosophiques : la classe en soi et la classe pour soi. « Classe en soi », ensemble d’individus qui la compose et qui y joue un rôle identique dans le processus de production de biens matériels. Mais, n’est pas « Classe pour soi » quand les individus qui la composent n’ont pas encore accédé à la conscience de leurs intérêts de classe, ni aux luttes politiques au nom de leur objectif de classe. Champs de la lutte des classes, où se livre le combat pour l’hégémonie politico-idéologique, « la conscience sociale » prend un caractère mondial, ici et aujourd’hui, de luttes pour l’appropriation concrète des capacités objectives de la réalisation de l’être humain, c’est-à-dire l’émancipation de l’humanité de toutes les aliénations du capitalisme. Les expériences concrètes du XXe siècle, au cours de leur développement, eurent à se heurter à la problématique fondamentale de la conscience sociale dans l’action politique. Donc, à la forme organisée de cette conscience sociale, le parti politique, capable de la cristalliser pour mener les actions nécessaires en vue d’atteindre des objectifs de conquête du pouvoir d’État. La question aujourd’hui n’est pas de savoir qui va prendre le pouvoir d’État, mais sa remise en question en tant que pouvoir des dominants. Il s’agit de créer maintenant une « civilisation » fondée sur la reconnaissance de relations entre les humains qui ne correspondent pas aux rapports de domination.
« Forme-parti »
La normalisation du fonctionnement des partis politiques est une question cruciale pour l’État, pour la démocratie représentative. Leur principal objectif est de s’emparer du pouvoir d’État, ainsi, ils instrumentalisent les luttes populaires en inscrivant dans leurs programmes des axes qui tendent à réformer le système capitaliste puisqu’ils sont institués en fonction de l’État capitaliste. Donc, pour être efficace le parti doit créer en son sein des niveaux hiérarchiques qui ressemblent à ceux en vigueur dans la société. C’est ce qui explique que nos partis, mêmes progressistes, reflètent notre société. La forme-parti suppose une structure organisationnelle qui reflète l’État, sinon elle n’a pas de sens en dehors de l’État. Les révolutionnaires, en Haïti, qui optent pour cette voie, partent perdant, car la logique du pouvoir devient la logique du révolutionnaire malgré toute la bonne volonté affichée.
Généralement, les personnes engagées dans cet impasse ne se rende pas compte à quel point leur pensée et leur comportement sont dictés par la logique même des positions de pouvoir, de la domination et de la subordination. Les activités militantes en se réduisant à la conquête du pouvoir les formatent à partir de concepts élaborés seulement pour exercer le pouvoir. Or, la lutte contre le système capitaliste ne vise pas à établir un autre pouvoir mais à changer cette société en créant une autre où il n’existe aucune forme de pouvoir sur les Hommes. L’échec des révolutions du XXe siècle est dû, entre autres, à l’illusion que les révolutionnaires pourraient bâtir une société nouvelle avec les moyens, les relations de pouvoir de l’ancienne société. L’idée traditionnelle de créer un parti en formant des cadres ensuite passer à l’assaut du pouvoir et à partir de l’État dit révolutionnaire changer la vie des dominés à échouer. Cet échec pousse plus d’un à affirmer que la révolution est impossible, c’est la fin de l’histoire. L’idée de prendre le pouvoir d’État ne tient pas compte de l’objectif qui est de faire disparaitre les rapports de domination, de pouvoir. La révolution consiste à rompre les relations de pouvoir, à remettre en question le rapport révolution et conquête du pouvoir d’État. Aujourd’hui, il s’agit de donner un contenu nouveau au concept de révolution en constituant une force sociale et politique de combat et de construction de la liberté, du bien-être sur la base du bien commun avec les formes organisationnelles enracinées dans les pratiques socio-historiques et culturelles des classes populaires.
Conclusion
Le capitalisme est une dynamique qui se reproduit en assujettissant en permanence le travail vivant. L’argent-fétiche domine la vie des masses et crée chaque jour d’avantage de pauvreté, de misère, de violence et de « marchandisation » même des élections et des électeurs. La critique radicale marxienne, de l’économie et du travail, qui les appréhende en tant que sphère totalisante des médiations sociales, est la seule base réaliste pour sortir du capitalisme globalisé. Comme le remarque, justement, Anselm Jappe, cité par Clément Homs :« La seule chance est celle de sortir du capitalisme industriel et de ses fondements, c’est-à-dire de la marchandise et de son fétichisme, de la valeur, de l’argent, du marché, de l’État, de la concurrence, de la Nation, du patriarcat, du travail et du narcissisme, au lieu de les aménager, de s’en emparer, de les améliorer ou de s’en servir. » (8). Cette lutte pour l’émancipation ne pourra se matérialiser qu’à partir de rudes batailles. Il est clair qu’il faut engager la lutte sur le terrain de l’imaginaire des gens. Mieux, il faut dépasser l’identification populaire de l’abondance marchande avec la richesse réelle « possible de la vie »(9).
Références
1-En ligne : http://www.haiti-liberte.com/archives/volume9-39/Haiti_Liberte_Apr_6_2016_web.pdf
2-En ligne : http://www.monde-diplomatique.fr/1997/08/MARCOS/4902
3- Éric Martin. 2013. L’esprit des institutions. Le problème de la médiation institutionnel dans la théorie critique contemporaine. P, 246. Thèse de doctorat. En ligne : [https://www.ruor.uottawa.ca/bitstream/10393/23638/3/Martin_Eric_2013_these.pdf
4- Anselm Jappe. 2014. Éloge de la « croissance des forces productives » ou « critique de la production pour la production »? En ligne : http://raisons-sociales.com/articles/eloge-croissance-forces-productives-critique-production-production-double-marx-face-crise-ecologique/
5-Repenser la critique du capitalisme à partir de la domination sociale du temps et du travail. Entretien avec Moishe Postone réalisé par Stephen Bouquin. En ligne : http://sd-1.archive-host.com/membres/up/4519779941507678/Grand_entretien_avec_Moishe_Postone_Repenser_la_critique_du_capitalisme_2.pdf
6- Karl Marx. 2011. Manuscrits de 1857-1858, dits « Grundrisse ». Chapitre sur l’argent, Tome 1, Editions 10/18, p.157-158.
7-Jérôme Baschet. 2009. Construire l’autonomie : le commun sans l’État. L’expérience zapatiste. Citation de Karl Marx : Critique du programme de gotha. En ligne :http://www.editionspapiers.org/publications/construire-l-autonomie-
8-Clément Homs. 2011. Crédit à mort. La décomposition du capitalisme et ses critiques. Recension du livre d’Anselm Jappe. En ligne : http://variations.revues.org/107
9- Anselm Jappe. 2014. Éloge de la « croissance des forces productives » ou « critique de la production pour la production »? En ligne : http://raisons-sociales.com/articles/eloge-croissance-forces-productives-critique-production-production-double-marx-face-crise-ecologique/