Démocratie et syndicalisme sont deux termes qui vont de pair pour les uns alors que pour d’autres, leur association ne va pas de soi. Je ne saurais prétendre résoudre la tension qui existe entre ces deux pôles. Déjà plusieurs écrits récents ont abordé cette question. C’est à la lumière de ma pratique syndicale ainsi que des questionnements soulevés en regard de la démocratie syndicale que je tenterai de circonscrire les causes menant à l’affaiblissement de la démocratie syndicale. Les deux composantes de cette problématique ici étudiées concernent l’institutionnalisation du syndicalisme et ses orientations politiques. Quelques pistes de réflexion compléteront mon propos.
L’institutionnalisation du syndicalisme
Les syndicats fonctionnent dans un cadre institutionnel déterminé par des lois et des règlements. La reconnaissance des syndicats, leur droit de négocier et de faire la grève n’allaient pas de soi. Ce sont des droits obtenus de haute lutte au Québec et hors Québec à compter du début du XXe siècle. Ces droits politiques ont toutefois été encadrés et codifiés à compter des années 1940. Ainsi, le gouvernement et le patronat acceptaient une reconnaissance limitée du droit des salarié-e-s de se syndiquer en contrepartie d’un engagement du syndicat à ce que ses membres respectent le contrat de travail négocié et inscrit dans une convention collective. Toute grève et tout moyen de pression devait être écarté entre les périodes de négociation et des griefs déposés si le patron ne respectait pas sa signature en cours de route.
Avec les années, le droit à la négociation, qui est une prérogative associée au droit d’association, peine de plus en plus à pleinement s’exercer. Ce droit est amoindri, voire réduit à sa plus simple expression, par les gouvernements tant québécois que canadien qui prennent parti pour les employeurs au détriment des salarié-e-s et de leurs syndicats. Au Québec comme au Canada[2], plusieurs lois spéciales ont été adoptées lors des négociations des salarié-e-s de l’État[3], certaines l’ont été sous le bâillon[4], sans compter les injonctions accordées aux patrons et les lockout de ceux-ci – ils en font un usage fréquent dans le secteur privé –, réduisant d’autant la portée des moyens de pression (grèves ou autres) exercés par les syndiqué-e-s. L’État amoindrit de ce fait la capacité des syndicats à exercer un réel rapport de force avec le patronat ou l’État.
La convention collective
Une fois accrédité, le syndicat négocie une convention collective avec le patron. Elle comporte des clauses obligeant ce dernier à restreindre son droit de gérance, ce qui permet aux membres représentés par le syndicat de voir des clauses telles que les salaires, l’attribution de poste, la durée de la journée de travail et les vacances, être précisées et garanties pour la durée de la convention collective.
Certaines des clauses négociées sont porteuses de droits nouveaux pour les salarié-e-s, par exemple, les clauses sur les droits parentaux, la santé et sécurité au travail ou, plus récemment, le salaire de base à 15 $ de l’heure. D’autres avantagent les syndicats eux-mêmes telle la formule Rand[5] qui assure leur stabilité financière.
Toutefois, toutes les clauses des conventions collectives ne sont pas progressistes. Elles résultent du rapport de force établi en négociation, et là où l’arbitraire patronal n’est pas contenu, elles peuvent alors porter atteinte à l’égalité de droit. Ces clauses sont dites « clauses de disparité de traitement » et l’on en retrouve dans bon nombre d’ententes collectives. Le salaire ou l’accès à la retraite sont ainsi modulés différemment au désavantage des personnes nouvellement en emploi alors que celles qui étaient déjà en poste ne sont pas visés par ces restrictions. Les syndicats qui souscrivent à de telles clauses suscitent une grogne justifiée en leurs rangs et fragilisent la solidarité entre leurs membres. Il en est de même pour les clauses qui comportent des exigences spécifiques à un poste de sorte que seule une personne donnée qui est à l’emploi peut y accéder au détriment de l’ensemble des salarié-e-s de l’entreprise.
Avec le temps, les conventions collectives se sont complexifiées, ce qui est particulièrement le cas dans le secteur public. L’historique des clauses que l’on retrouve dans les conventions collectives n’est connu que de quelques militantes, militants, permanentes et permanents aguerris. C’est un savoir méconnu qu’il y aurait avantage à valoriser et à rendre transmissible.
Le pouvoir décisionnel dans un syndicat
Les syndicats sont régis par des statuts et des règlements qui déterminent les responsabilités des divers paliers de décision (assemblée générale, assemblée de délégué-e-s, conseil exécutif, etc.), leurs responsabilités respectives et le mode électif de chacune de ces instances. Le processus électoral dans les organisations syndicales est formel et bien balisé. Malgré cela, il est rare que des élections syndicales soient contestées, et il est d’usage dans maints syndicats que les dirigeants préparent ensemble le remplacement des départs annoncés.
Les instances syndicales sont à n’en pas douter des lieux de pouvoir. Ce pouvoir est partagé entre les membres, les délégué-e-s, les élu-e-s et les permanentes et permanents. Là où les élu-e-s ont une conscience de classe, où la direction syndicale fait primer les intérêts de toutes et tous avant les siens, il est possible que le pouvoir exercé soit celui de l’assemblée délibérative qui mandate ses représentantes et représentants pour qu’ils mènent à bien les mandats qui leur sont confiés.
Cependant, on retrouve aussi dans ces instances syndicales des élu-e-s plus soucieux de leur avancement personnel que des intérêts de leurs membres. Ils peuvent même migrer du côté patronal en cours ou en fin de mandat. Des permanentes et permanents syndicaux pourront aussi se substituer aux élu-e-s locaux à la direction d’un syndicat, là où l’exécutif syndical manque de formation politique, là où les militantes et les militants syndicaux se font rares.
Plusieurs membres de syndicats dénoncent le contrôle exercé par le bureau syndical en leur nom, faisant d’eux des spectateurs dans les débats qui expressément les concernent. « Dans quelques syndicats, les dirigeants et les permanents ne se contentent pas de supprimer les divergences en envoyant des signaux sur les avantages de la fidélité aux dirigeant-e-s en place et sur les coûts de la dissidence; ces personnes vont plus loin. On malmène les gens, on les humilie en public, les gens ne veulent plus jamais parler. C’est de la brutalité[6]. »
Cette situation, décriée entre autres chez les TCA[7], se retrouve dans des syndicats de base ou dans les instances des centrales syndicales. Ainsi, au Syndicat de Champlain (CSQ[8]), il y a quelques années, des enseignantes ayant défié les représentants syndicaux en poste lors d’une élection ont subi une mise à l’écart, plus personne ne leur adressant la parole. Le caucus de gauche de la CSQ, composé principalement de syndicats de l’enseignement très actifs dans les années 1990, a été ostracisé lui aussi, ce qui a jeté les bases du départ de la centrale de bon nombre d’entre eux menant à la création de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE).
Enfin, plus on s’éloigne du syndicat local, plus il est difficile pour les membres d’avoir du pouvoir sur les décisions qui les concernent. Ainsi, malgré toute la bonne volonté du monde, un syndicat pourra difficilement faire entendre sa voix au sein de sa fédération ou de sa centrale syndicale s’il défend un point de vue dissident de celui de la direction de ces instances.
Un projet de société évanescent
La démocratie syndicale s’inscrit non seulement dans un cadre formel, mais aussi dans une conjoncture politique déterminée. Le patronat a autorisé certaines avancées syndicales devant la combattivité des salarié-e-s jusque dans les années 1960. Depuis, l’appétit patronal pour amenuiser les conditions salariales et de travail de leurs employé-e-s n’a eu de cesse. Alors qu’ils ne comptaient auparavant que sur l’appui des divers paliers de gouvernement, les patrons ont maintenant de nouveaux outils entre leurs mains pour domestiquer davantage les syndicats.
L’idéologie néolibérale impose aux syndicats et aux gouvernements les règles du marché, le nouveau maître à honorer. Celui-ci fait table rase de tout ce qui entrave les profits des capitalistes : normes minimales de travail, salaire minimum décent, programmes sociaux de soutien aux chômeuses et aux chômeurs, aux immigrantes et immigrants, aux accidenté-e-s du travail, aux entreprises d’État, aux règles environnementales contraignantes pour les entreprises, aux services publics de santé qui défavorisent l’entreprise privée, aux études non marchandes tels les arts, la philosophie, les lettres ou les sciences sociales.
Les syndicats ont combattu vaillamment les premières salves de ces attaques. De la fin des années 1980 jusqu’en 1995, les organisations syndicales, aux côtés des organisations populaires, communautaires, féministes, étudiantes et de solidarité regroupées au sein de Solidarité populaire Québec (SPQ)[9], ont tout d’abord tracé le dossier noir des attaques gouvernementales à l’encontre des services publics et des programmes sociaux en place (1987-1989) pour élaborer collectivement un projet de société émancipateur de la mainmise des multinationales et du patronat (1992-1994).
Au cours de cette période de virage néolibéral, les secousses les plus sévères ont été ressenties dans le secteur privé. Les entreprises, petites, moyennes et grandes, faisaient face à une concurrence internationale accrue, et pour garantir leurs profits, voire assurer leur survie, elles ont amené les syndicats à conclure des ententes dites de contrat social. Une négociation « raisonnée » appelle à aplanir les antagonismes entre syndicats et employeurs au profit de la survie de l’entreprise. Cette approche s’est généralisée et a atteint le secteur public. Les centrales syndicales qui participaient à maintes tables où syndicats, patronat et gouvernement se concertaient en sont venues progressivement à délaisser le front social entre syndiqué-e-s et non-syndiqué-e-s au sein du SPQ au profit de l’acceptation des enjeux patronaux soulevés par l’économie néolibérale.
Ce « partenariat social », qui sous-tend une nécessaire adaptation de chacune des composantes de la société à l’économie néolibérale en mutation, s’est avéré une stratégie syndicale perdante. Cette orientation promue par les centrales syndicales laissait croire que le patronat et les syndicats avaient des intérêts convergents. C’est ainsi que le mouvement syndical a été amené à entériner en 1996[10] la politique du « déficit zéro » au profit des entreprises et de l’État.
Depuis, les centrales peinent à développer des réponses à la hauteur des attaques subies par le mouvement ouvrier. Elles se portent tout au plus à la défense de leurs membres au détriment des luttes et gains nécessaires pour que la « vie bonne » soit accessible à toutes et à tous. Bon nombre de salarié-e-s qui n’ont pas la possibilité de se syndiquer en viennent « à croire que les syndicats défendent les intérêts particuliers des syndiqué-e-s, au lieu de se battre pour les intérêts de l’ensemble des travailleurs et des travailleuses[11]».
Les intérêts du Capital et du Travail ne sont pas convergents, tel que certains le prétendent, ils sont stratégiquement opposés. Les syndicats ne doivent pas contribuer à niveler ces divergences, mais plutôt participer activement à l’émancipation des salarié-e-s. Comme l’avancent avec justesse les auteurs de Renouveler le syndicalisme[12] : « Un syndicat est à la fois une institution défendant les intérêts immédiats de ses membres sur leur lieu de travail, mais aussi le véhicule d’un projet de société que les syndiqué-e-s portent et défendent dans l’espace public ». Les luttes menées limitées au maintien des conditions de travail et des avantages sociaux de leurs membres ont fait perdre de vue aux syndicats la nécessité de se battre pour des programmes sociaux et des droits pour l’ensemble des travailleuses et des travailleurs, syndiqués ou non, en emploi ou non.
La lutte pour le maintien des retraites à prestations déterminées pour tous est un bon exemple de cette dérive malsaine. Les syndicats avaient obtenu que la rente de retraite de leurs membres soit déterminée au pourcentage de leur salaire et du nombre d’années travaillées. Plutôt que de tirer profit de ce gain pour revendiquer une retraite décente pour toutes et tous, ils en sont venus à accepter que les nouvelles personnes syndiquées ne soient pas couvertes par les mêmes avantages que les personnes déjà en emploi et à valoriser les investissements pour la retraite dans les fonds de travailleurs et travailleuses qui sont des fonds spéculatifs intégrés au capitalisme financier qui dicte ses règles et contraintes aux États et aux entreprises, au détriment des syndiqué-e-s qu’ils représentent et de l’ensemble de la classe des salarié-e-s.
Mais alors ?
La démocratie est un élément indispensable à la vie associative. Pour que les militantes et les militants ainsi que les membres à la base fassent leur cette organisation, ils doivent pouvoir y être actifs. Les salarié-e-s doivent pouvoir orienter les stratégies et les actions de leur syndicat, non seulement dans chacune des unités de travail, mais dans toutes les sphères de l’activité syndicale. Des liens doivent se tisser avec les autres unités syndicales qui partagent des luttes et revendications semblables, de même qu’avec les organisations populaires qui poursuivent des objectifs semblables.
Des espaces démocratiques méconnus existent. La mission du syndicat telle que définie dans les statuts du Syndicat de l’enseignement de la région de Laval en témoigne :
La mission du syndicat est l’étude, la défense et le développement des intérêts économiques, sociaux et professionnels de ses membres, particulièrement la négociation, l’application des conventions collectives ainsi que la promotion des intérêts des travailleuses et travailleurs et l’appui à toute organisation ayant des buts et des intérêts similaires à ceux du syndicat[13].
Des expériences qui vont en ce sens sont en place sur une base régionale et permettent que des espaces démocratiques, de mobilisation et d’actions s’enracinent. Ainsi, en 2016, le Comité intersyndical du Montréal métropolitain (CIMM)[14] a amorcé une réflexion porteuse d’espoir dans le cadre des États généraux régionaux du syndicalisme. La démocratie syndicale a été l’objet de débats en ateliers en février 2017; les jeunes syndicalistes qui y participaient identifiaient clairement l’écart qui existe entre leurs revendications, les luttes qu’elles et ils sont prêts à mener et l’appareil syndical. Ce dernier tend à contenir leur fougue et à instrumentaliser leurs revendications, en les tenant loin de l’action, de l’information de pointe et des outils de réseautage essentiel au développement et à l’enracinement d’une lutte.
Il y a lieu d’inventorier ces lieux où la démocratie syndicale s’exerce, des lieux où les membres d’un syndicat peuvent jouer un rôle actif dans leur milieu immédiat de travail, leur syndicat ou leur centrale. Les syndicats sont porteurs d’une histoire, de luttes, de défaites et de victoires dont nous pouvons nous inspirer. Des espaces sont offerts pour permettre d’apprendre de ces luttes. L’atelier « Travailleuses et travailleurs contre l’État » tenu lors de l’université populaire des Nouveaux Cahiers du socialisme en août 2017 était de ceux-là. Des représentants des syndicats du Vieux-Port, de Radio-Canada et de Postes Canada y expliquaient la spécificité de leurs conflits, leur besoin de tactiques d’actions diversifiées essentielles pour enraciner et développer les luttes et la vigilance requise pour débusquer les arnaques patronales. Le camp de formation de Lutte commune[15] tenu en janvier 2017 faisait de même en favorisant des échanges entre militantes et militants où les principes de démocratie et de combativité dans les syndicats ont été mis au jeu.
Les expériences de solidarité régionale telle celle de COTON 46[16], qui réseaute toutes les organisations syndicales du Suroît doivent être connues. Les expériences de luttes acquises au fil des ans par les militantes et les militants doivent être recensées. Les faits d’armes de ces luttes syndicales et ouvrières doivent être mieux connus pour que l’on puisse s’en inspirer. Les expériences de luttes et de solidarité menées au sein de Solidarité populaire Québec en témoignent. Une vive histoire des luttes syndicales permettrait qu’une juste critique des acquis et des faiblesses du mouvement syndical se développe et contribue à inventorier de nouvelles avenues à l’encontre des attaques portées aux droits syndicaux. De nouveaux espaces sont à créer comme les assemblées de travailleurs et de travailleuses (ATT) que propose Léo Panitch dans « Repenser le syndicalisme, s’inscrire dans le socialisme[17]» qui permettraient de sortir du cadre syndical institutionnalisé. Ces regroupements d’individus insérés dans une communauté donnée et non d’organismes pourraient développer un nouvel agir politique qui redynamiserait les syndicats.
En ce sens, nous devons convenir que le rôle d’un syndicat n’est pas d’être garant de l’application de la convention collective. La convention collective est un minimum gagné qui permet à un moment donné de faire reculer l’arbitraire patronal. Les problèmes vécus au quotidien dans un lieu de travail ont plus de chance de se régler par une action directe lorsque le problème se présente que dans le suivi d’un grief qui désapproprie les membres de la résolution des problèmes rencontrés. Une telle approche permet de briser l’omerta qui entoure les réprimandes patronales, les réductions de traitement et permet de mettre à l’épreuve les potentats locaux. Pour y arriver, le syndicat doit former ses membres à la connaissance de leurs droits, encourager leur application et soutenir les résistances locales exprimées. La pratique syndicale nous enseigne en effet qu’un droit inscrit dans une convention collective n’a de portée que s’il est mis à l’épreuve.
Philippe de Grosbois, dans « Retrouver la force démocratisante du syndicalisme[18]», ouvre une perspective intéressante lorsqu’il redéfinit le pouvoir au sein des organisations syndicales comme étant non pas un pouvoir à exercer sur l’organisation, sur les membres, mais plutôt le pouvoir d’agir, de transformer son unité de travail tout comme son environnement.
Des espaces de délibération et de prises de décision doivent permettre au plus grand nombre de membres de comprendre les enjeux derrière une décision à prendre, d’y réfléchir et de décider des actions à entreprendre. La logique patronale visant à conclure en urgence une négociation locale, sectorielle ou nationale sans laisser le temps aux représentantes et représentants syndicaux de retourner devant leurs instances doit être contrée. La démarche syndicale qui priorise la participation des membres à la résolution de questions qui les concernent selon un échéancier qui leur permette de participer doit être encouragée. Cette démarche doit favoriser la tenue de débats dans une perspective de « transformation sociale »[19].
La démocratie syndicale ne peut être examinée ni restaurée en vase clos ni de la tête vers la base. Des caucus à l’intérieur des fédérations et centrales doivent s’appuyer sur un travail militant dans les syndicats locaux. Les points de vue dissidents doivent être entendus et la prise de parole favorisée. Il doit y avoir des débats sur les luttes à mener, sur les alliances à faire et sur les actions à inventer pour qu’elles répondent aux besoins des membres. Cette démocratie syndicale au cœur des principes syndicaux doit être ravivée. C’est dans l’action qu’elle peut s’exercer, que le mouvement syndical peut se redéfinir. Ce mouvement doit être souple, pluriel, invitant et inclusif.
En cela, les syndicats doivent en sus de leurs luttes pour une amélioration des conditions de vie et de travail de leurs membres, valoriser l’intangible, le « non mesurable » telles la dignité, la solidarité, la protection de l’environnement ou de la culture. Une analyse étroite du fonctionnement de notre société segmentée interpelle la conscience de classe des syndicalistes, comme le dit Alain Deneault, « à savoir leur capacité d’agir en fonction de stratégies qui ne sont pas restreintes au contexte de leur entreprise, mais généralisées à l’échelle du monde, de façon à participer à l’élaboration du cadre social dans lequel on prend des décisions plutôt qu’aux décisions que ce cadre nous amène à prendre[20]». La démocratie syndicale s’en trouvera vivifiée.
Bien qu’il ne réponde pas toujours aux attentes des militantes et militants, le mouvement syndical dans sa forme présente est nécessaire, malgré des dysfonctionnements évidents dans le respect des droits démocratiques des membres. Le pouvoir décisionnel doit revenir vers la base pour que reprenne vie un syndicalisme de transformation sociale. Le syndicalisme doit se transformer pour redevenir un agent de changement.
Ghislaine Raymond[1]
Notes:
[1] Politicologue et militante syndicale retraitée du secteur de l’enseignement de la région de Laval.
[2] Le gouvernement Harper soumet le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP) à une loi spéciale forçant leur retour au travail en juin 2011. Il fait de même en 2012 avec les syndicats d’Air Canada et du Canadien National.
[3] Le gouvernement du Québec force, entre autres, le retour au travail des syndicats du Front commun en 1972, 1983, 1993 et 2005.
[4] En 2003, le projet de loi 31 modifie l’article 45 du Code du travail à la faveur de la sous-traitance. Dans le secteur de la santé, les projets de loi 7, 25 et 30 empêchent la syndicalisation de certains travailleurs, fusionnent les établissements de santé et imposent de nouvelles unités d’accréditation. Les projets de loi 8 et 32 ciblent le réseau des garderies, portent atteinte au droit à la syndicalisation et haussent les tarifs de 5 $ à 7 $.
[5] La formule Rand qui permet la retenue à la source des cotisations syndicales est introduite dans le Code du travail du Québec en 1977 à la suite de la grève de 20 mois des travailleurs de la United Aircraft (aujourd’hui Pratt & Whitney). La CSQ, Formule Rand : foire aux questions, <www.lacsq.org/fileadmin/user_upload/csq/documents/documentation/enjeux_sociaux/formule_rand/FAQ_formule_Rand__questions_.pdf>.
[6] David Camfield, La crise du syndicalisme au Canada et au Québec, Montréal, M éditeur, 2014, p. 83.
[7] TCA : Syndicat national de l’automobile, de l’aéorospatial, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada.
[8] CSQ : Centrale des syndicats du Québec.
[9] Solidarité populaire Québec (SPQ) était une coalition en lutte contre le désengagement de l’État de 1987 à 2001 et qui regroupait plus de 100 organismes nationaux, régionaux et locaux. Voir <https://blogocram.wordpress.com/2014/02/01/la-charte-dun-quebec-populaire-1994/>.
[10] Ghislaine Raymond, Le « partenariat social ». Sommet socio-économique de 1996, syndicats et groupes populaires, Mont-Royal, M éditeur, 2013.
[11] Jim Stanford, « When in doubt, blame unions », The Progressive Economics Forum, juin 2009, <www.progressive-economics.ca/2009/06/29/when-in-doubt-blame-unions/> (notre traduction).
[12] Philippe Crevier, Hubert Forcier et Samuel Trépanier (dir.), Renouveler le syndicalisme. Pour changer le Québec, Montréal, Écosociété, 2015, p. 16.
[13] Syndicat de l’enseignement de la région de Laval, Statuts du Syndicat de l’enseignement de la région de Laval, 2014, <http://sregionlaval.ca/wp-content/uploads/2013/12/STATUTS-3-juin-2014.pdf>.
[14] Depuis sa création en 1972, le Comité intersyndical du Montréal métropolitain (CIMM) se veut avant tout un regroupement des forces syndicales de la grande région du Montréal métropolitain (Montréal, Laval et Rive-Sud). Il intervient sur les enjeux syndicaux, mais aussi sociaux, économiques et politiques. <http://alliancedesprofs.qc.ca/fileadmin/user_upload/CIMM_2011%20pour%20Web.pdf>.
[15] Lutte commune est un espace de convergence entre tous les groupes et toutes les personnes en lutte contre l’austérité et les politiques néolibérales, <http://luttecommune.info/>.
[16] COTON 46, Fonds régional d’innovations communautaire, est un organisme sans but lucratif, fondé et incorporé en 1993 par une coalition d’organisations syndicales de la région du Suroît, <http://coton46.com/wp/?page_id=95>.
[17] Leo Panith, Greg Albo et Vivek Chebber, Quelle stratégie? Résurgence des mouvements sociaux, combativité et politique, Ville Mont-Royal, M éditeur, 2013, p. 21-52.
[18] Philippe de Grosbois, « Retrouver la force démocratisante du syndicalisme », dans Démocratie : entre dérives et recomposition, Nouveaux Cahiers du socialisme, n° 17, 2017, p. 165-172.
[19] David Camfield dans La crise du syndicalisme au Canada et au Québec (op. cit.) apporte une contribution majeure à cette réflexion en prônant un syndicalisme de transformation sociale qui cible une vie meilleure pour toutes et tous en élargissant l’action syndicale au-delà des relations de travail pour l’inscrire dans un projet de société émancipateur.
[20] Alain Deneault, « Si le syndicalisme opérait un virage politique », dans Renouveler le syndicalisme, op. cit., p. 41.
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